09 - LES SACRIFICES HUMAINS SUR LES MONTAGNES ANDINES

Compléments pour l’Éthique et Cultures Religieuses
par Andrea De Vico, prêtre aumônier des jeunes                            

correction française: merci à mes amis

 

 

L’histoire d’Abraham s’annonce avec un bel espoir pour l’humanité: il y a un Dieu Très Haut qui souhaite entrer en relation avec l’homme et établir une Alliance (Testament) avec lui. Ce Dieu n’exige pas le sang des premiers-nés, comme les esprits et les divinités des basses collines, mais il ne veut que la Foi. Les sacrifices de sang ont été aboli! Non au sang, mais oui à la Foi! 

 

Toutefois, il y a encore 500 ans, en Amérique du Sud, il y eut de grandes cultures et civilisations qui pratiquaient des rituels de sang très complexes. Évidemment il s’agit de populations et de cultures qui ne pouvaient pas connaitre Abraham et son histoire d’Alliance. Au long des millénaires, l’océan Atlantique a empêché toute rencontre entre ce qu’on appelle aujourd’hui l’ Europe et les Amériques. Ces gens avaient des prêtres très habiles pour découper la poitrine des victimes, en extraire le coeur encore vif et palpitant, pour ensuite l’offrir à la divinité. Les victimes étaient des prisonniers de guerre, des conspirateurs, des notables tombés en disgrâce, des ouvriers qui venaient de terminer la construction d’un temple ou d’une ville.

 

Ces peuples avaient des systèmes de pensée, des cultures, des sciences, des architectures, des arts, des religions … bien sophistiquées. Mais leurs observations scientifiques se limitaient à l’observation directe des étoiles et des phénomènes de la nature. Ils avaient par exemple établi un calendrier précis pour régler l’agriculture, besoin primaire pour la population. Ils pensaient que les conditions atmosphériques, l’abondance des cultures et la fertilité des animaux, dépendaient essentiellement de l’humeur des montagnes qui dispensaient les pluies. C’était leur façon de voir la nature: ils constataient que les montagnes engendraient les nuages comme les animaux engendrent leurs petits, et ils en déduisaient scientifiquement que les montagnes donnaient naissance aux pluies. Avec l’évolution des instruments d’observation, les hommes ont vérifié qu’en réalité les pluies descendent des montagnes a cause du soleil qui chauffe les coteaux humides, en soulevant des masses d’air qui se refroidissent en hauteur et déclenchent les précipitations.

 

Mais en ces temps-là, en cas de retard des pluies et de sécheresse, pour ces anciennes sociétés d’outre-Atlantique c’était la catastrophe: le dieu de la montagne est fâché! Peut-être a-t-il besoin d’être éveillé de son état de torpeur? Donc elles mettaient en place des rites propitiatoires qui se déroulaient sur de très hauts sommets. Les prêtres choisissaient souvent des enfants comme ambassadeur du peuple pour demander la pluie aux dieux. Les jeunes étaient considérés comme étant plus purs et plus aptes à la besogne. Ils étaient pris de force ou cédés par leur famille qui voyaient cela comme un honneur, comme un signe d’appartenance, d’acceptation au monde dieux.

 

En 1995 une expédition scientifique (1) eut lieu au sommet du Cerro Llullaillaco, à 6749 m. d’altitude, le site archéologique le plus haut du monde. Durant cet été andin les chercheurs y travaillèrent jusqu’à -37 degrés. Ils y trouvèrent la momie congelée d’une petite fille de huit ans que quelqu’un nomma: la vierge de glace (sacrifiée au cours d’un ancien rituel inca). On en trouva d’autres dans les montagnes voisines. Les momies des enfants, même s’ils étaient tués violemment, montrent encore des regards de confiance, l’expression sereine d’un doux adieu. Ils moururent dans la certitude de l’immortalité. 

 

Ils n’ont pas dû souffrir à cause de l’air raréfiée qui étourdit le cerveau et d’une feuille de chicha sous le nez pour aller dans l’au-delà le plus paisiblement possible, étranglés ou tués d’un coup sur la tête, comme la vierge de glace. Grâce aux analyses de l’ADN on peut même identifier les actuelles relations de parenté de ces enfants. Il s’est donc avéré qu’un faux présupposé scientifique ait donné lieu à une pratique religieuse détestable parce qu’inhumaine, parce que elle ne correspondait pas du tout à la réalité. 

 

Cela se passait dans un monde très proche de nous, mais qui n’avait pas connu Abraham. Le simple constat visuel d’une montagne qui engendrait la pluie, était un constat scientifique, si primitif soit-il. La question: pourquoi sommes nous soumis à la sécheresse et a la famine, emmenait une réponse directe et simple: parce-que la montagne refuse de nous donner la pluie. 

 

La science, en général, permet une compréhension du monde et de ses phénomènes de la manière la plus élémentaire possible, grâce aux instruments qu’on a à disposition à un certain moment de l’histoire. L’esprit active deux niveaux différents de cognition: le premier se limite à la perception sensible (voir le phénomène), le second pose le problème du pourquoi (la recherche des causes). La science nécessite donc à la fois le dépassement du plan purement empirique et l’intervention du raisonnement. Les instruments qui évoluent dans le temp ne sont que des extension de nos sens, tandis que le vrai travail scientifique est confié à l’esprit. 

 

[Les trois paragraphes suivantes: pour la quatrième année] Ce passage d’une fausse science à une fausse religion est un important témoin d’alerte, parce que nous les modernes nous tombons dans le même piège des Incas inconscients, disposés à sacrifier des vies humaines pour des assertions éthiques qui découlent d’une mauvaise science. Par exemple, dire que j’ai droit d’avoir un enfant parce que je le désire, est une affirmation qui a la même valeur scientifique que la suivante: je sacrifie au dieu de la montagne pour avoir la pluie. Si en vérité on recourt aux connaissances de la science juridique, on découvre qu’un droit à l’enfant n’existe vraiment pas, parce que un enfant n’est pas une chose qui peut être donné en échange d’argent ou de prestations diverses, même si la sécheresse, ou le besoin, sont importants.  

 

Dans le monde où nous habitons, de nouvelles divinités se substituent aux anciennes et s’installent. Une culture de mort rivalise avec le Dieu de la vie, s’appuyant sur les mythes du profit facile, du sport dopé, du jeu de hasard, de l’abus de drogue et d’alcool … Les pratiques idolâtres sont à la mode, elles se portent à merveille: le sexe irresponsable, la famille dénaturée, la production d’êtres humains donnés pour orphelins dès le départ dans la vie … Certaines chapelles de la non-procréation, qui prétendent bâtir l’humanité aux frais de l’humanité, font l’office des autels précolombiens. Si d’un côté, les nouveaux prêtres qui président cette église du marché et du divertissement ont perdu l’art de découper les poitrines et d’extraire les coeurs encore vivants et palpitants, d’un autre côté, ils se révèlent bien capables de brûler le cerveau des jeunes pour le bon plaisir de ces nouvelles divinités qui viennent régulièrement retirer leur tribut de sang humain. De fait, quelle différence entre une exécution rituelle sur les montagnes andines et la mort absurde d’un jeune sur les rails, sur les routes du samedi soir, après une soirée de discothèque? Si quand il se passe quelque chose de sanglant on vous parle de victimes, osez demander: qui est le Moloch qui est venu retirer le prix du sang? 

 

Ce sont des questions immensément délicates, et elles reviennent chaque fois qu’un jeune quitte ce monde de manière abrupte et dramatique. Ainsi, un respect et une délicatesse sans égale sont nécessaires. Les parents ont parfois la sensation de revivre le même chemin d’Abraham, la même montagne du Moria: pourquoi Dieu réclame-t-il la vie de mon enfant? C’est pas juste! Il n’y a rien qui puisse consoler la perte. En général, il est bien étonnant que nous tous, hommes du XXI siècle, nous avons encore de la peine à comprendre une chose qui date de quatre mille ans: le Dieu biblique ne veut pas le sang, mais la Foi! Toutefois, comme le diable met ses cornes partout, il faut également rester en veille, pour que la Foi ne devienne pas elle-même un Moloch au nom duquel nous manipulons la vie et les consciences des autres. Même la plus grande des bontés, ou la plus majestueuse des constructions humaines, risquent à tout moment de virer au pire … Si nous arrivons à comprendre cela, le sacrifice des innocents n’aura pas été vain, et la science ne sera plus taché de sang.

 

(1) Cf. “National Geographic” Italia, vol. 4 n. 5, novembre 1999, pp. 30-48

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08 - LE NON-SACRIFICE D'ABRAHAM

Compléments pour l’Éthique et Cultures Religieuses

par Andrea De Vico, prêtre aumônier des jeunes                                                                                      correction française: merci à mes amis

 

 

Avec Abraham, le mythe s’achève et l’histoire commence. Le mythe a pris les premiers onze chapitres de la Genèse. Au douzième, la figure et d’Abraham prend le relais, mais en ce moment nous allons directement au chapitre 22: 

 

Après ces événements, Dieu mit Abraham à l’épreuve. Il lui dit: “Abraham!” Celui-ci répondit: “Me voici!” Dieu dit: “Prends ton fils, ton unique, celui que tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la montagne que je t’indiquerai”. Abraham se leva de bon matin, sella son âne, et prit avec lui deux de ses serviteurs et son fils Isaac. Il fendit le bois pour l’holocauste, et se mit en route vers l’endroit que Dieu lui avait indiqué. Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, vit l’endroit de loin. Abraham dit à ses serviteurs: “Restez ici avec l’âne. Moi et le garçon nous irons jusque là-bas pour adorer, puis nous reviendrons vers vous”. 

 

Abraham prit le bois pour l’holocauste et le chargea sur son fils Isaac; il prit le feu et le couteau, et tous deux s’en allèrent ensemble. Isaac dit à son père Abraham: “Mon père! - Eh bien, mon fils?” Isaac reprit: “Voilà le feu et le bois, mais où est l’agneau pour l’holocauste?” Abraham répondit: “Dieu saura bien trouver l’agneau pour l’holocauste, mon fils”. Et ils s’en allaient tous les deux ensemble. Ils arrivèrent à l’endroit que Dieu avait indiqué. Abraham y bâtit l’autel et disposa le bois; puis il lia son fils Isaac et le mit sur l’autel, par-dessus le bois. Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils. 

 

Mais l’ange du Seigneur l’appela du haut du ciel et dit: “Abraham! Abraham!” Il répondit: “Me voici!” L’ange lui dit: “Ne porte pas la main sur le garçon! Ne lui fais aucun mal! Je sais maintenant que tu crains Dieu: tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique”. Abraham leva les yeux et vit un bélier retenu par les cornes dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place de son fils. Abraham donna à ce lieu le nom de “Le-Seigneur-voit”. On l’appelle aujourd’hui: “Sur-le-mont-le-Seigneur-est-vu”.

 

Du ciel, l’ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham. Il déclara: “Je le jure par moi-même, oracle du Seigneur: parce que tu as fait cela, parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, je te comblerai de bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel et que le sable au bord de la mer, et ta descendance occupera les places fortes de ses ennemis. Puisque tu as écouté ma voix, toutes les nations de la terre s’adresseront l’une à l’autre la bénédiction par le nom de ta descendance” (Gn 22,  1-18)

 

Habituellement cet épisode si rude, difficile et inquiétant, est indiqué sous le titre: Le sacrifice d’Abraham, mais, comme la division des textes bibliques par chapitres et paragraphes est arbitraire et successive, le titre pourra plus paisiblement être changé en: Le non-sacrifice d’Abraham. En effet, comme on le constate facilement, ce sacrifice n’a pas vraiment eu lieu. Si d’un côté Abraham n’a pas refusé son fils face à une requête cruelle en apparence, de l’autre son vrai sacrifice s’avère ailleurs: dans la foi. Dès alors, le vrai sacrifice offert à Dieu ne sera pas le sang, mais la foi

 

Dans ce passage, on y entrevoit des croyances et des habitudes cultuelles des temps lointains. Certaines populations orientales pratiquaient le sacrifice des premiers-nés comme forme normale de culte. Quand on élevait un nouveau sanctuaire ou une nouvelle ville, le corps sacrifié d’un premier-né était placé dans les fondations, pour lier un dieu ou un esprit, et s’en assurer la protection.Des rites similaires se déroulaient aussi dans l’agriculture et pour la chasse, sous forme d’offrande des prémices, réservées au dieu du lieu concerné. Rappelons-nous que dans l’Euthyphron de Platon nous avons trouvé que la religion est l’art de sacrifier et de prier. Sacrifier, c’est donner aux dieux; prier, c’est leur demander. Et cela se passait même par le moyen des sacrifices des premiers-nés!

 

Pourquoi l’homme a-t-il élaboré cette terrible idée du sacrifice, comme un prix à payer aux dieux? C’est simple: il a observé la nature. Dans la nature les lionnes par exemple chassent et tuent les proies, tandis que le premier à s’en servir est le mȃle dominant; une fois rassasié, c’est le tour des lionnes et des lionceaux. Les hommes ont dû en déduire que le chef mange le premier et ils durent penser que le monde des esprits se basait sur la même logique: le droit du plus fort. En fait tout ce qui est premier, prémices ou premier-né n’était pas destiné au monde humain, mais on s’en servait pour gagner les bonnes grâces des esprits et des dieux.

 

Environ deux mille ans avant notre ère, un Dieu Très Haut se révèle à un homme, Abraham, pour établir avec lui une Alliance d’une ampleur universelle. C’est la première fois que ça se passe, mais ce Dieu mystérieux, après une belle présentation de soi, après avoir promis de lui donner un fils sorti de lui, semble se comporter comme une vieille divinité des basses collines, qui réclame le sang des premiers-nés. On pourrait le voir comme un Dieu sadique qui cherche à mettre l’homme à l’épreuve: il lui permet bonheur d’avoir  un fils, puis il réclame sa vie. Quelle cruauté!

 

Il se peut aussi qu’Abraham, dans une circonstance difficile pour tout le clan ou un danger qui menaçait sa famille (une guerre, une famine, un voyage dangereux), ait, dans un premier temps, mal compris ou mal interprété la volonté de ce Dieu inconnu qui venait de paraître dans sa vie. En effet comme on peut le constater par la suite, ce Dieu Très Haut ne réclamera jamais la vie des hommes, mais bien au contraire: il la donne! Il est le Dieu de la vie, pas de la mort! Il veut la foi et non le sang des hommes! C’est Lui qui trouve un bélier retenu par les cornes dans un buisson facile à capturer. Abraham n’a donc pas même besoin de faire un effort pour manifester son attitude cultuelle: toute son histoire s’inscrira dans une dynamique de foi!

 

Ainsi, avec le non-sacrifice d’Abraham, on constate un passage capital dans l’histoire de l’humanité: le sacrifice humain est aboli, pour faire place à un sacrifice animal. C’est ce que les chrétiens appellent le Premier Testament, c’est à dire l’Alliance avec Dieu par le moyen du sang animal, la vie animale. Comme les hommes du temps des Patriarches ne possédaient évidemment pas une notion scientifique de la vie, ils estimaient que la vie est dans le sang. À la question qu’est-ce que la vie?, ils répondaient: le sang, l’élément le plus précieux qui puisse garantir (sceller, tenir en vie) les relations entre les hommes: les alliances, les contrats, les mariages, les réconciliations.

 

Deux mille ans plus tard il y aura un autre Fils, un autre sacrifice et un autre sang versé de la part d’un homme que l’on connaît bien sous le nom de Jésus. Les Pères de l’Église ont vu en lui un deuxième Isaac ou ils ont vu dans le premier une préfiguration du deuxième. S’instaure alors une nouvelle Alliance, le Deuxième Testament, ratifié par son sang. Á partir de Jésus il n’y a même plus besoin de tuer une bête et d’en faire couler le sang sur l’autel pour  entrer en relation avec Dieu ou ratifier un ordre social. Jésus l’a fait une fois pour toutes, pour tous. Cela implique une bonne nouvelle pour les non-croyants, les défenseurs des animaux et les hommes des autres religions. Il n’y a plus besoin ni de tuer qui ou quoi que ce soit, ni de verser son sang. “Et antiquum documentum Novo cedat ritui” (l’ancien document signé par les sang des animaux cède sa place au nouveau rite signé par le sang de Jésus).

 

Pour les spécialistes de la Bible, le récit du non-sacrifice d’Abraham pourrait être reporté à la fondation d’un sanctuaire (sur la montagne du Moira, non identifiable) où le rachat des premiers-nés était légitimé au moyen de sacrifices d’animaux, contrairement aux sanctuaires environnants (d’autres aimeraient identifier ce lieu sur la partie la plus haute de Jérusalem). Le Dieu d’Abraham n’est donc pas du tout sadique, tout au contraire, il a libéré les hommes de l’obligation et de l’horreur des sacrifices humains! 

À suivre                                   

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07 - LE MYTHE DE LA TENTATION

Compléments pour l’Éthique et Cultures Religieuses

par Andrea De Vico, prêtre aumônier des jeunes                                                                                      correction française: merci à mes amis

 

      Le Seigneur Dieu donna à l’homme cet ordre: ‘Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin; mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas; car, le jour où tu en mangeras, tu mourras’. Le serpent était le plus rusé de tous les animaux des champs que le Seigneur Dieu avait faits. Il dit à la femme: ‘Alors, Dieu vous a vraiment dit: ‘Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin?’ La femme répondit au serpent: ‘Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. Mais, pour le fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, Dieu a dit: ‘Vous n’en mangerez pas, vous n’y toucherez pas, sinon vous mourrez’. Le serpent dit à la femme: ‘Pas du tout! Vous ne mourrez pas! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal’. La femme s’aperçut que le fruit de l’arbre devait être savoureux, qu’il était agréable à regarder et qu’il était désirable, cet arbre, puisqu’il donnait l’intelligence. Elle prit de son fruit, et en mangea. Elle en donna aussi à son mari, et il en mangea. Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et ils se rendirent compte qu’ils étaient nus. Ils attachèrent les unes aux autres des feuilles de figuier, et ils s’en firent des pagnes. Ils entendirent la voix du Seigneur Dieu qui se promenait dans le jardin à la brise du jour. L’homme et sa femme allèrent se cacher aux regards du Seigneur Dieu parmi les arbres du jardin. Le Seigneur Dieu appela l’homme et lui dit: ‘Où es-tu donc?’ Il répondit: ‘J’ai entendu ta voix dans le jardin, j’ai pris peur parce que je suis nu, et je me suis caché’. Le Seigneur reprit: ‘Qui donc t’a dit que tu étais nu? Aurais-tu mangé de l’arbre dont je t’avais interdit de manger?’ L’homme répondit: ‘La femme que tu m’as donnée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’en ai mangé’. Le Seigneur Dieu dit à la femme: ‘Qu’as-tu fait là?’ La femme répondit: ‘Le serpent m’a trompée, et j’ai mangé’ ” (Gn 2, 16-17; 3, 1-13)

 

      Nous avons déjà vu que l’ancienne image du jardin protégé correspond à notre notion de relation (Gn 2, 8). Il est clair que une relation exige des règles et pose des limites qui ne doivent pas être dépassées: on peut manger les fruits de tous les arbres, mais pas de ces deux arbres-là. Pourquoi cette réserve? Que signifie-t-elle? Fantaisie illogique de la part d’un dieu sadique qui voudrait tester l’obéissance de sa créature? Ou d’un un dieu cruel qui montre le bonbon à un enfant, pour le goût de le lui soustraire? Non, le motif de l’interdit est bien plus simple et raisonnable: par rapport aux filles et aux fils, les parents sont l’ Arbre de Vie, parce qu’ils leur donnent l’existence. Ils représentent en même temps l’ Arbre de la science du bien et du mal, parce qu’il appartient aux parents de donner une norme à leurs enfants, en leur indiquant le bien à faire et le mal à éviter. Dieu exige le respect de la relation, comme s’il disait: souviens-toi que je suis ton père, et que toi tu es mon fils. 

 

      Mais le serpent tentateur bouleverse la relation, en insinuant en Adam l’idée que la prohibition du fruit est due à une sorte de jalousie. Certes, Adam est tiré de la terre, et son souffle vient de Dieu, il pouvait donc légitimement aspirer au statut divin. Habiter la demeure de Dieu et communiquer avec lui fait partie de sa vocation, pour qu’il devienne lui-même un être divin. Mais Adam a fait l’erreur de se mettre debout contre le Créateur, il a voulu rivaliser avec Lui comme un adolescent stupide qui veut transformer la relation père-fils en relation paritaire. Mai ’68 n’a rien inventé. 

 

      Dieu descend dans le jardin et constate l’absence d’Adam. Où es-tu, pourquoi te caches-tu, qu’as-tu fait? Et que répond l’homme? J’ai mangé, mais c’est la faute de la femme! Et elle: J’ai mangé, mais c'est la faute du serpent ... Encore aujourd’hui, pour échapper nos responsabilités, nous jouons le même jeu d’Adam et Eve. En cas de défaillance, la faute est toujours celle des autres, de la société, des parents, de l’éducation … 

 

      Cela déclenche la jalousie de Dieu: mais comment, je t’ai fait, je t’ai créé, et tu préfères suivre un autre, un dieu-fantoche? Je t’ai donné la vie, je t’ai donné la norme, pour que tu puisse habiter mon palais, et tu te retournes contre moi? Au lieu de suivre ton créateur, tu as décidé d’écouter un semblant de dieu, quelqu’un qui n’est pas Dieu?

 

      En effet, Adam a tendu la main et il a enfreint la norme, il a cueilli le fruit interdit et il a bouleversé, il a rompu l’équilibre relationnel. En refusant de reconnaître que Dieu seul est la norme et que personne ne possède la vie en lui-même, Adam contraint Dieu à prendre des mesures ultérieures. Le texte décrit avec une certaine ironie la surprise du père constatant le comportement irréfléchi du fils, qui a eu la hardiesse d’étendre la main, de prendre et de manger. Pour finir, le Créateur décide de le mettre à la porte: écoute-moi bien, pour ton propre intérêt: avant que tu fasses d’autres dégâts, sors d’ici, sors du jardin, va-t-en dehors, gagne ta vie, puis on en reparlera.

 

      En effet, on dirait que tout homme est en exil, qu’il a toujours de la peine à trouver sa place, qu’il ne se sent jamais vraiment chez lui, qu’il se sent comme un étranger quel que soit l’endroit où il va. Mais il est heureux que Dieu ait mis Adam à la porte. Si Adam avait réussi à cueillir aussi le fruit de l’Arbre de Vie, il aurait atteint l’immortalité, et la révolte du genre humain aurait connu une progression sans limites, des proportions inimaginables. Il s’avère que Dieu a été miséricordieux et compréhensif envers l’homme, jusqu’à mettre une limite, en ordonnant la mort pour empêcher le mal de gagner le monde. La mort est donc une médecine, une médecine amère, administrée par le Créateur afin de mettre fin au mal dont l’humanité est capable. L’éloignement d’Adam du jardin de la vie ne décèle donc rien d’une punition: il s’agit plutôt d’une mesure providentielle, et nous devrions dire merci à Dieu de nous avoir donné la grâce de pouvoir mourir. 

 

      Si l’Arbre de Vie et l’Arbre de la Norme n’existent pas physiquement, ils existent néanmoins: ils représentent les attributs divins. C’est une manière symbolique pour dire que Dieu est la Vie, que Dieu est la Loi. Dans la Genèse, l’Arbre de Vie se distingue de l’Arbre de la Loi, même si parfois ils sont présentés comme un seul arbre divisé en deux troncs. Peu importe: la métaphore est claire. Le fait qu’Adam (chaque homme, moi en premier) aspire au fruit de l’Arbre de Vie et de la Norme, signifie que l’homme est toujours tenté de s’approprier les attributs divins, de devenir lui-même le petit dieu qui se fait de lui-même, un self-made-god qui établit ses propres règles. 

 

      Les physiciens par exemple, quand ils perdent le sens de leurs limites, ont été visiblement tentés de produire le monstre nucléaire (années ’40-’50) pour anéantir l’ennemi. Les chimistes, de leur côté, avaient la magnifique intention de fertiliser la terre, mais malheureusement avec la tentation de maximiser leurs profits. Ils l’ont donc effrontément polluée (à partir des années 60-70). Actuellement, c’est au tour des biologistes et de la technologie appliquée aux processus vitaux et reproductifs. La biotechnologie est une chose excellente et bien utile, mais le biologiste risque la même l’ivresse et présomption d’Adam, quand il transforme la liberté de la recherche en arbitraire sur la vie humaine.

 

      Les hommes ont une faible mémoire: il leur faut forcément une bombe qui leur tombe sur la tête, il leur faut forcément les poisons qui polluent l’agriculture, il leur faut forcément produire des clones à la manière d’Ellen Ripley dans le film Alien, pour constater qu’on ne plaisante pas impunément avec le feu. Les hommes sont des Adam qui oublient facilement la limite qui a été posée à leurs choix et leurs actions. Cette tentation ancestrale se reproduit aujourd’hui dans tout type d’organisation hiérarchique, qu’elle soit religieuse, ecclésiale, politique, scientifique, médicale ou industrielle. On y retrouve la même étrange arrogance, une pernicieuse violence, une hybridation entre le bien et le mal, un mélange délibéré d’âne et de cheval pour produire une mule utile, mais stérile. Ce sont des choses qui font penser à la hideuse présomption du serpent tentateur. Est-ce cela que nous recherchons? 

 

      À suivre

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06 - LE MYTHE DE LA CÔTE D’ADAM

Compléments pour l’Éthique et Cultures Religieuses

par Andrea De Vico, prêtre aumônier des jeunes                                                                                      correction française: merci à mes amis

 

 

      Le Seigneur Dieu dit: ‘Il n’est pas bon que l’homme soit seul. Je vais lui faire une aide qui lui correspondra’. Avec de la terre, le Seigneur Dieu modela toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel, et il les amena vers l’homme pour voir quels noms il leur donnerait. C’étaient des êtres vivants, et l’homme donna un nom à chacun. L’homme donna donc leurs noms à tous les animaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes des champs. Mais il ne trouva aucune aide qui lui corresponde. Alors le Seigneur Dieu fit tomber sur lui un sommeil mystérieux, et l’homme s’endormit. Le Seigneur Dieu prit une de ses côtes, puis il referma la chair à sa place. Avec la côte qu’il avait prise à l’homme, il façonna une femme et il l’amena vers l’homme. L’homme dit alors: ‘Cette fois-ci, voilà l’os de mes os et la chair de ma chair ! On l’appellera femme - Ishsha -, elle qui fut tirée de l’homme - Ish’. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un” (Gen 2, 18-24)

 

     Les fleurs en général ont donné lieu à beaucoup de différentes légendes, comme celle de Narcisse, que nous venons d’analyser. En Mésopotamie et en Egypte, dans les eaux calmes des grands fleuves, il y a une fleur que les botanistes nomment Zantedeschia aethiopica - ou calla - qui fut introduite en Europe vers 1700 et qui est devenue aujourd’hui très commune dans nos jardins. Pour les Européens, cette fleur exprime l’élégance, la discrétion, l’innocence, la pureté, la finesse de l’esprit. 

 

      Par contre, les anciens habitants de la Mésopotamie et de l’Egypte associaient la tige de cette fleur caressée par le vent à la cȏte d’un être vivant. Un homme est vivant parce qu’il respire, et cela se voit grâce au mouvement de ses côtes. Il pensaient donc que la vie se situait ici, dans la cage thoracique. A notre mort, la vie s’enfuit et le thorax ne bouge plus. Il respire? Il est vivant! Il ne respire plus? Il est mort, évidemment!

 

      Si nous allons en Egypte visiter les tombes des pharaons, nous trouvons facilement sur les parois le mot vie dans un signe facile à reconnaître: un idéogramme avec une forme de calla, ou une côte, ce qui est identique. En fait - dans ces anciennes cultures - dire calla et dire vie, cela a la même signification.

 

      En Israël, nous trouvons que l’homme a été créé par Dieu à son image et ressemblance, qu’il est seigneur de toute chose et qu’il peut mettre le nom à tout être vivant. Il est le surintendant et le responsable du jardin de Dieu, mais n’est accompagné par aucun être avec qui il pourrait dialoguer. Dieu s’aperçoit de ce manque, et il fait naître la femme à partir d’une de ses côtes, c’est à dire de son thorax, donc de la vie même d’Adam. La femme ne vient donc pas d’une nature étrangère ou accessoire par rapport à l’homme, mais elle est tirée de la même chair, de la même vie, de la même dignité! 

 

      On voit la finesse: c’est lui, le Seigneur Dieu, qui s’aperçoit de la solitude de l’homme! En effet, l’homme laissé à lui-même ne sait pas interpréter ses besoins; il ne sait pas vraiment ce dont il a besoin. Dans le coeur de l’Eden, le royaume de la beauté et de la gratuité, Dieu découvre un manque qui précède la faute des origines: la solitude! 

 

      Dieu ne veut pas la solitude, et en effet, au cours de l’histoire biblique, nous trouverons un Dieu qui est relation, alliance, exode, amour, communion, extase, lien trinitaire: “Je vais lui faire une aide qui lui correspondra” (Gn 2, 18). Cette correspondance offre un autre motif de Relation. Lorsque l’homme rencontre la femme, une nouvelle histoire commence. L’histoire du monde commence par un beau mariage: “À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un” (Gn 2, 24)

 

      Tout homme et toute femme, quand ils s’aiment et donnent la vie,  revivent le moment de l’origine. Tout couple est appelé par le Créateur à n’être qu’un. Il faut que la relation entre l’homme et la femme cultive cette aspiration à l’unité, qu’ils ne soient pas l’un à l’autre comme des narcisses, quand l’un cherche dans l’autre le reflet de son image, sinon ils vont se noyer dans une petite flaque d’eau! Il faut plutôt qu’ils soient comme un calla: la vie l’un de l’autre!

 

      Il a fallu cinq jours à Dieu pour créer le monde. Le soir, il voit son travail et il dit que cela est bon. Le sixième jour, Dieu crée l’homme et la femme et dit: cela est très bon! Dieu voit les choses et en voit la bonté. Il voit l’homme et la femme, et voit un superlatif de bonté. 

 

      Pourquoi le monde existe-t-il et le rien n’existe-t-il pas? En physique on s’interroge: pourquoi est-ce que quelque chose existe? La réponse est simple: parce que le monde est bon! Et pourquoi un homme abandonne-t-il son père et sa mère et rejoint une femme pour l’accueillir comme épouse? C’est très simple: parce que c’est une très bonne chose! 

 

      Ainsi, dans une société machiste, quelque chose de surprenant est écrit dans le Talmud des hébreux: “Prend bien garde de ne jamais faire pleurer une femme, parce que Dieu compte ses larmes. La femme est sortie de la côte de l’homme, non de ses pieds pour être son paillasson, ni de sa tête pour lui être supérieure, mais de son flanc pour être son égale, juste au-dessous de son bras pour être protégée et à côté de son cœur pour être aimée!"

 

      À suivre

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05 - LE MYTHE DE LA CRÉATION DE L’HOMME

Compléments pour l’Éthique et Cultures Religieuses

par Andrea De Vico, prêtre aumônier des jeunes                                                                                      correction française: merci à mes amis

 

 

      “Lorsque le Seigneur Dieu fit la terre et le ciel, aucun buisson n’était encore sur la terre, aucune herbe n’avait poussé, parce que le Seigneur Dieu n’avait pas encore fait pleuvoir sur la terre, et il n’y avait pas d’homme pour travailler le sol … Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. Le Seigneur Dieu planta un jardin en Éden, à l’orient, et y plaça l’homme qu’il avait modelé. Le Seigneur Dieu fit pousser du sol toutes sortes d’arbres à l’aspect désirable et aux fruits savoureux; il y avait aussi l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal … Le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin d’Éden pour qu’il le travaille et le garde” (Gn 2, 4-9; 15)

 

      Après la création du monde, Dieu est présenté comme un potier qui façonne l’être humain avec de la poussière de la terre et lui insuffle un souffle de vie. En effet, l’art du potier constituait l’une des technologies les plus avancées de l’époque. Dans la modernité, on imaginera le Créateur comme un grand horloger, un architecte, un mathématicien, un informaticien qui insuffle son savoir-faire dans son oeuvre. Il est vrai que l’être humain est constitué d’un mélange d’opposés: il est à la fois une créature faible et vulnérable parce qu’il vient du sol, mais il a quand-même reçu quelque chose de précieux: un souffle de vie divine! L’être humain est fragile, comme un pot d’argile, fruit du travail d’un artisan, qui peut se briser et se casser facilement. Pourtant, il est vivant, car il y a en lui ce souffle de création qui vient de Dieu!   

 

      Au commencement de cette histoire, il est dit que la terre était informe et vide: aucun buisson, aucune herbe, aucune pluie, aucun Adam pour travailler le sol! Il n’y avait quasiment rien: c’était l’absence totale de relation! En créant Adam, Dieu instaure un rapport avec lui, comme de père à fils, ou de seigneur à vassal, et il le place dans un jardin entouré d’une haie de protection. Ce jardin, cette haie, signifie l’espace protégé de la relation (Gn 2, 8). Cette ancienne image du jardin protégé (le paradis), outre qu’un lieu physique, correspond à notre notion de relation. Le jardin est la plus petite parcelle du monde et, en même temps, il est la totalité du monde. Tout le monde et tout l’amour qui est en nous peut être représenté et contenu dans un beau jardin.

 

      Et c’est ainsi que, après avoir préparé cet enclos protégé, Dieu se comporte un peu comme un roi babylonien du VI siècle av. J.C: il descend dans ses jardins pour se promener et converser avec celui qui a nommé son jardinier personnel, le surintendant des lieux: l’homme. Ce surintendant qui a la responsabilité de la terre et de ses créatures, en termes modernes, correspond à la fonction du premier ministre. Et ce n’est pas tout: ce Seigneur-Dieu, si content de sa plus belle créature, souhaite l’inviter dans son palais, il offre à l’homme sa propre demeure, la possibilité d’être comme lui, ce que les anciens théologiens appelaient: la divinisation! Il est donc inscrit dans la nature de l’homme de devenir un dieu! Quelque chose de divin est en lui!

 

      L’homme ne peut pas se passer de cette dignité qui lui a été donnée, il ne peut pas minimiser sa présence au monde, comme s’il n’était qu’une partie de la nature, qu’un animal comme les autres, un animal qui se donne trop d’importance. Si l’être humain ne voit pas la différence entre lui-même et la nature animale, sa dignité est en jeu. “Nomen est omen”, le destin est dans le nom. 

 

      Pour donner accès à sa demeure, Dieu confie à l’homme la tâche de servir le sol, c’est-à-dire de le cultiver. Ce n’est pas par hasard que la culture de la terre corresponde au culte:  le mot est le même. Par rapport à la terre, l’homme ne peut donc pas agir en maître, mais plus simplement en jardinier. Plus tard, cette idée de culture-culte englobera notre notion de culture.

 

      Cependant, il ne faut pas oublier que cet homme est tiré de la poussière. En fait, en araméen, ‘adamà signifie boue, limon, terre fine, la bonne terre déposée le long des rives des fleuves et des plaines alluviales. Si donc je dis Adam, je dis terre. En fait, Adam n’est pas un nom propre de personne, mais il est un terme générique pour désigner l’homme, tout homme, fait de terre. Je suis donc Adam-Homo, et mon vrai nom est: fait de bonne terre, de la partie la plus fertile et noble de la terre! La terre accumulée le long des rivières est toujours en mouvement. L’évolution du monde est continue, imparable. La genèse du cosmos a préparé la genèse de la vie, et la genèse de la vie a posé les conditions pour la genèse de la conscience. 

 

      Voilà la raison pour laquelle le Créateur est si fier de sa meilleure oeuvre: l’homme! La matière inanimée, le cosmos organisé, et la nature des êtres biologiques, se retrouvent unis dans l’homme, ou plutôt dans le Moi pensant de l’homme. Le Moi que je suis, est la terre qui a atteint son plus haut degré de perfection! 

 

      Je peux le dire en toute modestie: je suis poussière, je suis fait de terre, la meilleure part de la terre. Si à la fin de mes jours je serai in-humé (mis sous terre, humus), il n’y a qu’une poignée de terre qui restera de moi. Et si je veux être prompt en affaire et je me fais mettre au four crématoire, le résultat sera le même: une poignée de cendres. Devrais-je en m’en plaindre? Devrais-je en pleurer?

 

      Je peux danser la danse de la vanité comme on le faisait au Moyen Âge, pour détourner la pensée de la mort qui, en temps de peste, se présentait avec une faux à la main: “Je suis la mort et j’en porte la couronne, je suis votre dame et maîtresse, et devant ma faux la tête vous devrez incliner, et danser au rythme de la mort sombre”. 

 

      Je peux m’abandonner à un triste soliloque sur l’être et le non-être comme Hamlet. Le mystère de la mort de l’acte III est au cœur de la pièce: “to be or not to be”. “Mourir, dormir, rêver peut-être. Mais avant, la peur, elle, est là pour retenir. Penser que le sommeil finira la souffrance. Être, ou n’être pas? C’est la question”. 

 

      Je peux encore mener ma méditation sur la Préparation à la mort avec un crâne dans les mains, genre littéraire et figuratif très à la mode au XVIIIe siècle. La littérature spirituelle de l’époque aborde souvent le thème dit: “Memento mori”: “Rappelle-toi, mon frère, que tu devras mourir!” J’étais un jeune collégien comme vous, et pendant les semaines du Carême, on sortait une tête de mort qui demeurait dans un placard le reste de l’année, et on la mettait sur l’autel. Sa fonction était de nous rappeler la réalité de la mort, pendant notre demi-heure de méditation.  Eh, toi (peut- être avait-il vécu en 1700-1800 …) j’étais comme tu es, et tu seras comme je suis. Un jour peut-être on se rencontrera. Prie pour moi, et moi je prierai pour toi. Pourriez-vous imaginer un jeune de votre âge qui se met en méditation silencieuse devant une tête de mort? Pourtant, aujourd’hui les têtes de mort sont un peu partout, sur les t-shirts et les murs de la ville  par exemple, mais moi j’ai eu le privilège d’en connaître une vraie! 

 

      À la fin de la trilogie du Seigneur des anneaux, Frodon est avec Gandalf sur un quai, pour prendre une barque et partir. C’est là que Gandalf dit à Frodon: “Il est temps, Frodon!” Il est temps de quoi? Pourquoi Frodon s’en va-t-il avec Gandalf en bateau avec les elfes au lieu de rester avec ses compagnons? Où vont-ils? Que vont-ils faire? Pourquoi doivent-ils partir en bateau? Pourquoi ne vivent-ils pas jusqu’à la fin de leurs jours une belle vie dans la Contée? Et bien,  il est temps de partir, c’est à dire: il est temps de mourir. Frodon doit partir car il a reçu des blessures trop profondes. Le port de l’Anneau l’a complètement rongé. Il était à deux doigts de devenir un Gollum bis. La Contée qui lui était si chère, est désormais un endroit qu’il ne peut plus apprécier. Il n’arrive plus à savourer les parfums de sa terre natale, son fardeau l’a anéanti à jamais. Il n’a plus sa place là-bas, donc il décide de partir, et il part en quasi-parfait inconnu.

 

      Auparavant Gandalf s’était déjà prononcé, sur le thème de la mort. Comme Pippin avait peur de mourir dans la bataille, le plan se resserre sur le visage du Gandalf et sur son épée baignée d’une lumière magnifique. Gandalf dit à Pippin: “Death is just another path ... One that we all must take…” “La mort n’est qu’un autre chemin ... Un chemin que nous devons tous emprunter. Le rideau de pluie gris de ce monde recule, et tout change en verre argenté … Vous le voyez ... le pays bien vert sous un lever de soleil rapide”. C’est quoi ce pays, dans les oeuvres de Tolkien? Il s’agit de Valinor, le paradis des elfes. La mort n’est donc pas si terrible. La mort est un médicament qui guérit les blessures de notre vie. Mais nous avons tous une mission à accomplir, tout comme les protagonistes de la Compagnie de l’Anneau.

 

      Ce constat de la poussière que nous sommes n’est donc pas une menace, ni une affirmation triste, pessimiste ou nihiliste: c’est une prise de conscience. Cette conscience implique le fait que je suis fait de la meilleure partie de la terre, la partie humide et fertile, de laquelle on tire les mots de humus, homo, c’est à dire la terre qui libère la vie et se prête à être cultivée, à donner son fruit. Il est donc bien de marcher sur le chemin de l’humilité, en hommage à l’humus, à la terre fertile, à la poussière que je suis! Si j’assume cela, un autre chemin, un autre horizon, une autre mer à traverser s’ouvre à mes yeux: la divinisation!

 

      Malheureusement, dans le texte biblique, les événements prennent subitement une autre tournure, à cause d’un manque de reconnaissance de la part d’Adam. On va voir ça.

 

      À suivre

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04 - LE MYTHE DE L’ANDROGYNE

Compléments pour l’Éthique et Cultures Religieuses

par Andrea De Vico, prêtre aumônier des jeunes                                                                                      correction française: merci à mes amis

 

 

      Dans Le Banquet de Platon, nous retrouvons le comique Aristophane, célèbre auteur de comédies, qui veut savoir pourquoi cet Eros dont on parle tant, exerce une si mystérieuse force sur les hommes, une impulsion si violente et tumultueuse, jusqu’à s’imposer à la nature humaine, une force à laquelle rien ne peut se comparer. Aristophane construit son hypothèse fantastique à la manière des fabricants de mythes (nos actuels scénaristes de Hollywood - Walt Disney - Marvel etc.)

 

      Aristophane élabore le mythe des Androgynes, ces hommes orbiculaires, qui présentaient la forme d’un œuf, une forme circulaire rappelant leur origine astrale. Chacun était double: quatre mains, quatre pieds, deux visages et deux sexes. Il s’agissait d’êtres d’une vigueur prodigieuse, dotés d’un orgueil immense, qui roulaient si vite, qu’ils pouvaient rejoindre les lieux célestes. Ces êtres osèrent même essayer de s’emparer des lieux célestes, mais leur arrogance fut châtiée par Zeus: ils furent divisés en deux et affaiblis, de manière à ne pas pouvoir tenter une deuxième fois cet exploit. Zeus coupa donc ces êtres sphériques comme on le fait “avec un cheveu pour partager un œuf dur”.

 

      Cette division qui fit deux êtres à partir de l’entier primitif, bouleversa la vie des êtres humains: chaque moitié rêve de rejoindre son autre moitié, éprouve le désir de refaire un, mais ce désir reste inassouvi;  l’unité est perdue et chaque moitié succombe à l’inanition et à l’incapacité d’agir: c’est l’amour! C’est cette cause qui a conduit les hommes à marcher sur deux jambes au lieu de quatre, comme les quadrupèdes. Et si leur insolence ne cessait pas, Zeus les menaça d’une division ultérieure, qui les obligerait à marcher sur une jambe, à cloche-pied. Voici le texte:

      

“D’abord il y avait trois espèces d’hommes, et non deux, comme aujourd’hui: le mâle, la femelle et une troisième, composée des deux autres. Le nom en reste, aujourd’hui, [mais] l’espèce a disparu: l’androgyne, qui avait la forme et le nom des deux autres. De plus, chaque homme était dans son ensemble de forme ronde […] quatre mains, quatre jambes, deux visages tout à fait pareil sur un cou rond […] Il marchait droit […] et, quand il se mettait à courir vite, il faisait comme les saltimbanques qui tournent en cercle et lancent leurs jambes en l’air; […] Ils étaient aussi d’une force et d’une vigueur extraordinaires, et comme ils avaient un grand courage, […] ils tentèrent d’escalader le ciel pour combattre les dieux.

 

      Alors Zeus délibéra avec les autres dieux sur le parti à prendre. Le cas était embarrassant: il ne se pouvaient se décider à tuer les hommes,  à détruire la race humaine à coup de tonnerre, […] car c’était anéantir les hommages et les cultes que les hommes rendent aux dieux; d’un autre côté, ils ne pouvaient pas non plus tolérer leur insolence. Enfin, Zeus, ayant trouvé, non sans peine, un expédient, prit la parole: ‘Je crois tenir le moyen de conserver les hommes tout en mettant terme à leur insolence; c’est de les rendre plus faibles. Je vais immédiatement les couper en deux l’un après l’autre; nous obtiendrons ainsi le double résultat de les affaiblir et de tirer d’eux davantage, puisqu’il seront plus nombreux. Ils marcheront droit sur leurs jambes. S’ils continuent à se montrer insolent et ne veulent pas se tenir au repos, je les couperai encore une fois en deux, et je les réduirai à marcher sur une jambe à cloche-pied’.

 

      Ayant ainsi parlé, il coupa les hommes en deux, […] comme on coupe un oeuf avec un cheveu. Et chaque fois qu’il en avait coupé un, il ordonnait à Apollon de retourner le visage et la moitié du cou du côté de la coupure, afin qu’en voyant sa coupure, l’homme devînt plus modeste, et il lui commandait de guérir le reste. Apollon retournait donc le visage […] et liait la peau au milieu du ventre; c’est ce qu’on appelle le nombril […] en souvenir de l’antique châtiment. 

 

      Or quand le corps eut été ainsi divisé, chacun, regrettant sa moitié, allait à elle; et, s’embrassant et s’élançant les uns les autres avec le désir de se fondre ensemble, les hommes mouraient de faim et d’inaction, parce que ils ne voulaient rien faire les uns sans les autres; […] Alors Zeus, touché de pitié, imagine un autre expédient […] c’est de ce moment-là que date l’amour […] l’amour recompose l’antique nature, s’efforce de fondre deux êtres en un seul, et de guérir la nature humaine” (Platon, Le Banquet, trad. E. Chambry, 189d-193d)

 

      Ce mythe existait déjà au niveau populaire. Platon le reprend et le met dans la bouche d’Aristophane, pour exprimer d’une façon ludique la force de l’Eros, qui cherche à recomposer ce qui à l’origine a été divisé, secatum, sexué. Chez les hommes, Eros est donc né du désir d’unité que l’individu - seul - a perdu pour toujours. Eros est une divinité qui, malheureusement pour elle, se fatigue infiniment pour récréer une jonction des sexes. Son souci est que ce travail ne réussit même pas toujours bien! Le mythe des androgynes, dans la bouche d’Aristophane, n’est qu’un prétexte littéraire pour se moquer de ces drôles d’hommes qui se jouent des tours, entre eux, homosexuels, ou hétérosexuels, quand ils cherchent leur moitié manquante: voilà une chronique bien actuelle!  

 

      Le mythe de l’Androgyne fonctionne un peu comme le mythe de la tour de Babel, qui nous rappelle une histoire similaire d’insolence humaine et de châtiment divin, qui est à l’origine de la division des langues. Scientifiquement, les mythes ne sont pas vrais, mais en fait, ils véhiculent un message, ils expriment une vérité. La sphéricité des hommes primitifs n’est pas forcément vraie, mais elle exprime une conception religieuse, ésotérique, réservée aux initiés: le bien est dans l’unité, comme le mal est dans la division (ou division dyadique). De ce fait, l’âme jumelle que chacun cherche n’existe pas, ce n’est qu’une illusion de l’amour, une façon de dire, une fiction. Pour finir, chacun reste soi-même, et la fusion de deux personnes qui s’aiment en un seul être se révèle impossible. En effet, après les gags d’Aristophane, écoutons plus sérieusement Platon, qui d’une manière poignante conçoit l’amour comme une guérison de la nature humaine. En actualisant la vieille traduction de Cousin, cela donne: 

 

      “On entend un certain discours qui dit: ceux qui aiment, sont ceux qui cherchent leur moitié. Par contre, mon discours dit que l’amour n’est ni l’amour de la moitié, ni l’amour de l’entier, à moins que, mon cher ami, il ne s’agisse pas du Bien. En effet, il n’y a pas d’autre chose que les hommes n’aiment, si non le Bien” (Le Banquet, 205 D - 206 A). 

 

      Il est évident que pour Platon, la fusion sur le plan sexuel est impossible, toutefois, on peut chercher à la réaliser sur le plan du Vrai, du Beau, du Bien. Cela ne comporte pas une dévalorisation du sexe, bien au contraire: pour satisfaire les dynamiques naturelles et animales liées à la procréation, il se construit une métaphore sur la conjonction des sexes, une plateforme pour lancer des conquêtes philosophiques ultérieures. De ce fait, dans la successive tradition platonique, Eros devient la voie privilégiée de la philosophie. 

 

      En fait, la dévalorisation du sexe survient avec les modernes, par exemple avec Freud qui a réduit le sexe au plan naturaliste, en dépersonnalisant et détournant l’ Eros en une Libido (ou énergie sexuelle) aveugle et larvée. 

 

      À suivre

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03 - LE MYTHE DE NARCISSE

Compléments pour l’Éthique et Cultures Religieuses

par Andrea De Vico, prêtre aumônier des jeunes                                                                                      correction française: merci à mes amis

 

 

      Si l’on veut s’approcher d’une culture ou d’une religion, il faut connaître ses mythes et histoires sacrés. Le mythos est un instrument de connaissance, de communication et d’éducation. On le voit encore aujourd’hui encore à travers la littérature, les spectacles, le cinéma ou la bande dessinée qui nous offrent des éléments pour comprendre l’esprit de notre culture et de notre temps. Grâce au mythe, toute communauté humaine, au long de son histoire, retrouve ses origines et ses motivations pour agir. Les mythes se déposent au fond de l’imagination, subsistent de façon autonome, et dirigent les habitudes de notre vie quotidienne. Ce sont des parchemins qui nous donnent des repères communs dans le chemin de la connaissance, de la sagesse, de l’éthique. Le mythos (connaissance par le moyen d’un récit) est aussi puissant que le logos (connaissance rationnelle) et le pathos (connaissance affective - couche émotionnelle).

 

      Notre intérêt pour Narcisse dans un cours de religion s’explique par le fait que ce mythe nous montre l’accès - mal réussi! - à l’ autre. La vie humaine se manifeste toujours dans un cadre de dépendance à un autre. Pour se nourrir, la vie a besoin de la vie d’un autre. Je grandis et je deviens adulte par la présence d’un autre. Je suis heureux grâce à une autre personne, un ami, une amie, un conjoint. Même tous les autres, mis ensembles, dans mon esprit, ne font qu’un.

 

      L’histoire de Narcisse est dès l’Antiquité un grand classique repris sous diverses versions. Narcisse était le fils d’une nymphe et d’un dieu fleuve. En grandissant, il devint un magnifique jeune homme, tellement plaisant que toutes les nymphes et les jeunes filles espéraient recevoir de sa part un baiser, une étreinte d’amour. Mais le rêve vire au drame. Ce brave jeune homme était en effet indifférent aux beautés qu’il croisait. La nymphe Echo, qui l’aimait aussi, l’observait dans l’espoir d’en être un jour aimée en retour. 

 

      Un matin, elle tenta de se faire remarquer. Narcisse, qui était à la recherche de ses amis, les appelait: êtes-vous ici? y a-t-il quelqu’un par ici?, et Écho lui répondit de sa jolie voix: ici … ici … ici … Narcisse lui demanda alors de venir et Écho, le cœur battant, apparut au jeune homme. Mais celui-ci s’en détourna immédiatement, en criant: jamais! penses-tu qu’un jour il se pourrait que je te donne pouvoir sur moi? Et la voix de la nymphe, entrecoupée de larmes, répéta: … je te donne pouvoir sur moi … je te donne pouvoir …  je te donne … je… Méprisée par celui qu’elle aimait, Écho s’enfuit à travers le bois, jusqu’à trouver une grotte dans laquelle elle voulut cacher sa honte et son désespoir. Éconduite si durement, elle décida de se venger. Elle fit appel à Némésis, déesse de la colère et du châtiment divin, celle qui n’oublie jamais le méfait, toujours prête à déchaîner une froide vengeance en faveur de ceux qui lui sont dévoués. En effet, Némésis écouta les pleurs d’Echo et exauça son vœux: que Narcisse tombe amoureux de la seule personne avec qui il ne peut être, c’est-à-dire, lui-même.

 

      Il fut ainsi qu’un jour Narcisse décida de s’abreuver à une source. En se penchant, il aperçut  son reflet, et en tomba subitement amoureux. Son visage beau comme une figure divine lui apparut  pour la première fois, et son cœur s’enflamma. L’objet de son amour semblait si bien répondre à ses attentes: il souriait quand il lui souriait; il s’approchait de lui lorsque son geste se faisait plus aimable et proche. Il oublia de partir, et il resta durant de longs jours à contempler son reflet, désespérant de ne pouvoir concrétiser cette idylle impossible. Pour la première fois, Narcisse connut la souffrance. Pris par sa passion inassouvissable, il dépérit peu à peu et finit par mourir au bord du ruisseau. Lorsque l’on retira son corps, là où il demeurait couché, on découvrit quelques jolies fleurs, qui portent aujourd’hui le nom de narcisses. En effet, Narcisse signifie narcose, allusion évidente à l’étourdissement produit par le parfum de la fleur si fort, soporifique et paralysant qui représente bien le repli sur soi-même. L’ égotisme est bel et bien une drogue! 

 

      Quant à la nymphe, la pauvre devint bientôt incapable de parler. Ni phrase ni rire ne sortait plus de sa bouche. Elle se limitait à répéter seulement les derniers mots qu’elle entendait. Cette punition lui fut infligée par la déesse Héra pour le fait d’avoir aidé Zeus, avec ses bavardages infinis, à commettre ses infidélités. Cela veut dire: attention les filles bavardes, vous risquez de devenir ‘ékhoistes’, incapables de dire un discours, une phrase ou un mot qui soit le vôtre!

 

      Le mythe de Narcisse est passé dans le langage courant. D’un côté, dans la psychologie moderne, le narcissisme indique positivement une étape du stade du développement de l’enfant, une phase importante pour la construction de l’image de soi. L’enfant se construit en prenant d’abord conscience de son être, avant de prendre conscience des autres. Même chez l’adulte, une petite dose de narcissisme peut être une aide non négligeable à la confiance en soi et à l’estime de soi. Négativement, le terme de narcissique désigne une personne qui fait une fixation sur lui-même. L’amour de soi en excès l’amène à s’éloigner des autres qui s’estompent dans son paysage intérieur. En agissant d’une manière individualiste, la personne dépérit lentement, elle se tue à petit feu, sans qu’elle s’en aperçoive. Le narcissique se prend pour le centre du monde, il pense être un être spécial, se croit supérieur, veut que tous soient en accord avec lui, se met en colère quand il ne parvient pas à ses fins. Il surestime ses capacités, ressent le besoin d’être admiré, utilise l’autre pour parvenir à ses fins et accomplir ses désirs. Il se sent invulnérable, ne reconnaȋt jamais ses torts, a peur de l’échec, est arrogant, n’a pas d’humour et ne rit jamais. Il est dépourvu d’empathie, ne vit qu’au travers de l’admiration qu’il se porte et que les autres lui portent.

 

      Un narcissique se comporte facilement en petit chef: il lui faut une victime à dénigrer, dévaloriser, humilier, à qui faire ressentir de la culpabilité. Comme le petit chef manque d’estime de soi, il s’attaque aux autres, mais il faut que les autres soient petits, démunis ou handicapés. En effet, le petit chef narcissique ne supporte pas de voir le handicap des autres, parce qu’il y voit la possibilité de son propre handicap, de sa propre limite, de son propre échec, éventualité qu’il s’applique à exorciser en s’attaquant au handicap des autres.

 

      L’amour des miroirs - et des selfies actuels - renvoie à la question fondamentale: qui suis-je? Les jeunes, par le moyen de la mise en scène d’eux-mêmes, se donnent la possibilité de tester plusieurs identités, de découvrir de nouvelles facettes de leur personnalité: qui suis-je? quelle est l’impression que je donne? Ils sont particulièrement friands d’autoportraits qui leur permettent de répondre à leur besoin d’être reconnus, mais aussi de s’affirmer en publiant une photo et en étudiant les likes et les commentaires que l’image va susciter. La construction du futur adulte passe par l’extimité, c’est-à-dire par le fait de révéler certains aspects intimes de soi. Toutefois, les ados savent souvent garder une grande maîtrise de ce qu’ils font, ce que montre par exemple le succès des applications qui permettent d’envoyer des clichés éphémères.

 

      On pourra arguer que la culture du selfie est dangereusement narcissique. Mais chez les ados l’écran du téléphone ne joue pas forcément le rôle du miroir d’eau de Narcisse. Le jeune ne risque en effet pas de s’y noyer car la question qui suis-je? est posée aux autres: les autres sauront me dire. Il s’agit donc d’une relation. Le côté pathétique de cette culture vient d’adolescents attardés - en âge d’être adultes - qui jouent aux ados, armés d’une perche télescopique et se faisant d’innombrables selfies cherchant ainsi la raison de leur existence, en essayant de produire une improbable autopromotion … Si les vrais ados ont les ailes aux pieds, ils bougent continuellement et changent leur posture à tout instant, l’adulte manqué semble avoir besoin d’une éternité: sa maladie est là. Ce culte de l’image parfaite définit notre société comme narcissique. Ce sont nous les adultes narcissiques prêts à provoquer la colère des dieux par notre incapacité à nous incliner devant d’autres dieux que nous-mêmes! Heureusement, les ados d’aujourd’hui construisent les adultes de demain. Un monde nouveau se prépare. Si on ne sait pas à quoi il ressemblera, il sera certainement meilleur que ce que l’on pense!

 

      À suivre

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02 - LA RELIGION CHEZ PLATON

Compléments pour l’Éthique et Cultures Religieuses

par Andrea De Vico, prêtre aumônier des jeunes                                                                                      correction française: merci à mes amis

 

     

      La première fois que le problème de la définition de religion a été sérieusement posé dans l’histoire de la littérature, c’est un dialogue juvénile de Platon, l' Euthyphron,  composé entre l’an 399, juste avant le procès de Socrate, et l’an 395 av. J.C, quelques années après sa mort. Dans le dialogue, Socrate demande plusieurs fois à Euthyphron ce que sont l’eusébie (dévotion, piété) et l'hosiòtês (rectitude, droiture, justice). 

 

      Les circonstances de cette rencontre sont spéciales. Socrate est attaqué en procès public, on lui reproche de corrompre la jeunesse par ses discours et ses idées subversives, notamment en matière de religion. Il croise Euthyphron, lequel s’étonne de le voir là. Le dialogue est entamé. 

 

      Socrate s’enquiert à son tour de la raison pour laquelle Euthyphron se rend au même endroit que lui. Euthyphron dit qu’il s’apprête à donner suite à un acte d’une grande piété. Il vient en effet porter une accusation contre son propre père. Un des ouvriers de leur famille avait trop bu et a commis l’irréparable sur un autre ouvrier en lui coupant la gorge. Le père d’Euthyphron a alors fait lier le criminel, en le jetant dans une fosse, le temps d’envoyer quelqu’un auprès des juges pour savoir ce qu’il convenait de faire. Cependant, le fautif avait malheureusement déjà trouvé la mort par la faim et le froid. Socrate fait semblant de se réjouir de la circonstance: si Euthyphron agit avec tant de détermination, c’est qu’il a une vision claire et précise de ce qui est pieux et de ce qui ne l’est pas. Sans quoi, il n’oserait pas porter une accusation aussi grave contre son père. Il le prie donc de l’éclairer sur la nature de la piété, afin de pouvoir se défendre lui-même de son accusation.

 

      Ne comprenant pas tout de suite la requête de Socrate, Euthyphron lui propose une première définition bien trop étroite: “J’appelle saint, par exemple, ce que je fais aujourd’hui, [à savoir] de poursuivre en justice tout homme qui commet des meurtres, des sacrilèges et autres choses pareilles; père, mère, frère ou qui que ce soit: ne pas le faire, voilà ce que j’appelle impie”. Et la meilleure preuve est que les dieux agissent tout comme lui, Cronos ayant castré son père Ouranos avant d’être lui-même réduit à l’impuissance par son fils Zeus. 

 

      Mais Socrate, en homme rationnel, n’accorde pas d’importance à ces contes, et prie Euthyphron de bien vouloir donner une idée plus générale de la piété. Euthyphron lui répond: “Eh bien! je dis que le saint est ce qui est agréable aux dieux, et que l’impie est ce qui leur est désagréable”. Mais, objecte Socrate, les dieux ne sont-ils pas tout le temps en train de se quereller sur de nombreux sujets? Il arrive que ce qui est cher à un dieu peut ne pas l’être à un autre. Les mêmes choses pourraient alors être pieuses et impies, ce qui prouve que la définition proposée est mauvaise.

 

      Euthyphron plonge dans l’embarras. Socrate intervient, faisant semblant de l’aider, mais en réalité il va le coincer dans un problème encore plus difficile. Comme il ne fait aucun doute que tout ce qui est pieux est juste, la piété est une partie de la justice. Mais de quelle partie s’agit-il? Euthyphron répond: “Pour moi, Socrate, il me semble, que la sainteté est cette partie du juste qui concerne les soins que l’homme doit aux dieux, et que toutes les autres parties du juste regardent les soins que les hommes se doivent les uns aux autres”. 

 

      Socrate se montre intéressé par cette idée, mais en même temps il se déclare gêné par le concept de soins. Lorsqu’un esclave fournit des soins à son maître, ou un cavalier à son cheval, c’est toujours en vue de lui porter un bénéfice. Et quels bénéfices les dieux retirent-ils de la piété des hommes? En deviennent-ils meilleurs? Socrate insiste: “Dis-moi, oserais-tu avancer que, lorsque tu fais une action sainte, elle profite à l’un des dieux?” 

 

      Euthyphron: “Ce que je puis te dire en général, c’est que la sainteté consiste à se rendre les dieux favorables par ses prières et ses sacrifices, et qu’ainsi elle conserve les familles et les cités; que l’impiété consiste à faire le contraire, et qu’elle perd et ruine tout”. Socrate en déduit donc que la sainteté est l’art de sacrifier et de prier. Sacrifier, c’est donner aux dieux; prier, c’est leur demander. Cela pose un problème énorme: la sainteté serait donc une espèce de trafic entre les dieux et les hommes? Sommes-nous si habiles dans ce commerce, que nous en tirions seuls tous les profits? La réponse demeure en doute. 

 

      Le dialogue semble également tourner en boucle. Euthyphron se voit dans l’impossibilité de pouvoir donner une réponse, et il revient sur ses arguments précédents. Mais Socrate avait déjà démontré la fausseté de ces idées, et il estime préférable de reprendre la discussion depuis le début. Euthyphron, ayant réalisé qu’il s’était exposé au ridicule, agacé, s’excuse et prend congé de Socrate, laissant le dialogue inabouti. Et Socrate continue à le poursuivre avec sa fine et aimable ironie: “Que fais-tu, cher Euthyphron? Tu me perds en partant si vite; tu m’enlèves l’espérance dont je m’étais flatté, l’espérance d’apprendre de toi ce que c’est que la sainteté …”

 

      L’étymologie de ce prénom, Euthyphron, est … éclairante: il vient de euthús (εὐθῠ́ς, droit, juste) et -phrōn (-φρων, esprit). Donc ce personnage qui est censé être le spécialiste de la religion et du sacré, porte un prénom très flatteur qui signifie esprit droit, un esprit qui sait juger de manière juste. Mais au cours du dialogue c’est tout le contraire qui s’est révélé. Euthyphron, en tant que devin réputé et prêtre reconnu dans la ville, aurait dû savoir ce qu’est la piété et la justice envers les dieux, mais il ne sait vraiment pas ce dont il parle, il ne connaît pas - dirait-on - son métier! Imaginons un Socrate de nos jours qui s’adresse à un curé ou à un spécialiste de la théologie, fier de ses études, pour lui  demander ce qu’est la foi et la justice, et qu’il découvre qu’en fait il n’en sait  pas grand chose!

 

      À la fin, aussi le lecteur risque de se retrouver déçu, car il ne trouve aucune définition claire de la piété. Toutefois, selon son style habituel, Platon a volontairement brouillé les cartes pour inciter le lecteur à réfléchir par lui-même. Platon ne donne pas de définition de piété ou religion, il n’impose aucune idée, mais il pose le lecteur devant un chemin afin qu’il puisse trouver lui-même sa réponse. En effet, répertoriant les idées que Socrate n’a pas réfutées, nous pouvons formuler une possible définition de la piété: 1) la piété est une partie de la justice; 2) la piété est une sorte de service rendu; 3) la piété contribue à préserver les demeures privées et le bien commun des cités.

 

      Le point de départ était en fait d’établir ce que sont l’ eusébie (dévotion, piété) et l’ hosiòtês (rectitude, droiture, justice), pour donner à Socrate une meilleure possibilité de se défendre lui-même des accusations qu’on lui porte. Socrate était-il impie? A-t-il vraiment corrompu la jeunesse avec ses nouvelles idées? La réponse est claire: non! Au contraire, il était un exemple honorable de piété. Il a consacré toute sa vie au service public, et cela gratuitement, contrairement aux sophistes. Il questionnait sans relâche ses concitoyens de manière à éradiquer l’ignorance, pour que la justice soit maintenue dans le domaine privé comme dans le public. On voit bien que la figure et la méthode de Socrate réalisent soit l’idéal d’une laïcité critique, soit celui d’une piété sincère. À juste titre, on peut le considérer comme le … père spirituel de la laïcité, et en même temps la conscience critique de la religion!

 

      Les deux termes, l’attitude rituelle envers les dieux, et le respect d’une loi divine, sont équivalents. Le culte des dieux, dans une cité grecque (et aussi dans la future religion romaine) est une affaire politique et publique. Il concerne autant la piété des citoyens que le succès et la conservation de la cité.

 

      À suivre

 

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o1- INTRODUCTION ET PROPOS

Compléments pour l’Éthique et Cultures Religieuses

par Andrea De Vico, prêtre aumônier des jeunes                                                                                      correction française: merci à mes amis

 

      En tant que aumônier au LCC, j’assume bien volontiers l’intention de la quatrième ligne d’action de la CIIP (Conférence Intercantonale de l’Instruction Publique de la Suisse Romande et du Tessin) sur les finalités et objectifs de l’École Publique, du 30 janvier 2003:

 

      “L’école publique prend en compte et rend accessible la connaissance des fondements culturels, historiques et sociaux, y compris des cultures religieuses, afin de permettre à l’élève de comprendre sa propre origine et celle des autres, de saisir et d’apprécier la signification des traditions et le sens des valeurs diverses cohabitant dans la société dans laquelle il vit.”

 

      Il est évident qu’un cours d’Éthique et Religion qui se fait à l’École Publique se limite à décrire le phénomène religieux, sans solliciter un choix de foi partagée, ni faire l’apologie (défense / justification) d’un système de foi par rapport à d’autres, ni encore moins chercher à faire du prosélytisme. Il s’agit plutôt de présenter la réalité des faits religieux et encourager les diverses interprétations personnelles de la part des étudiants.

 

      De mon point de vue, je trouve que dans la vie collective, le nœud le plus important se vérifie au niveau de la liberté religieuse. On pourra diriger notre recherche sous la lumière d’un principe raisonnable et vénérable à la fois: la liberté religieuse est le fondement de toute autre liberté.

 

      D’ailleurs, comme la société occidentale a été historiquement et culturellement marquée par le judéo-christianisme, l’École Publique, actuellement, lui réserve une attention particulière. En effet, dirais-je, on ne peut pas connaitre l’identité, la culture et la tradition des autres, si d’une manière appropriée on ne connaȋt pas la sienne. Une meilleure connaissance de soi comporte une meilleure rencontre avec les autres.

 

      En termes négatifs, il est fort probable que dans un Occident sans identité et culturellement affaibli, nos jeunes risqueraient d’avoir plutôt peur de l’ autre, parce qu’ils ne le connaissent pas, et de recourir donc aux éclats de la violence. De même, ceux qui viennent de l’extérieur, ne peuvent pas se passer de l’histoire et de la culture du pays qui les accueille. 

 

      Dans les présentations de cette première rencontre, étant moi-même venu d’un autre pays, j’ai profité des circonstances qui m’ont emmené en Valais pour présenter la notion d’ héritage culturel. J’ai donné une … esquisse de l’histoire de ma famille afin d’établir une relation de confiance et d’authenticité avec les étudiants. Il s’agit de mon propre père et de l’ héritage qu’il nous a laissé:

 

      “Mon père était un jeune comme vous, dans l’Italie pauvre d’après-guerre, dans les années ’40. Après de brèves fiançailles, il se maria avec celle qui sera ma mère. Un oncle maternel, avec une certaine précipitation, se prononça négativement, en disant que mon père n’était pas capable de soutenir une femme. Dès lors, mon père s’engagea toute sa vie pour démontrer le contraire  à son oncle et à tout le village, qui évidemment était concerné dans tout mariage. Comme beaucoup de jeunes de son époque, mon père partit vers la Suisse pour chercher du travail, avec un but précis: gagner de l’argent, fonder  une famille, et construire une maison pour ses enfants. Et en cela il a bien réussi: il a été un bon travailleur. Voulant donner suite à ses propos, la première chose qu’il fit, plus ou moins inconsciemment, a été de s’acheter un terrain juste en face de cet oncle, pour lui montrer ce qu’il allait faire. Il a donc construit une belle maison avec un grand jardin, une vigne et des oliviers, et il l’a fait ‘pour la famille et les enfants’. Au printemps, cette maison était tout en éclat de fleurs et de verdure qui faisaient la fierté de mon père. Mais il y eut un imprévu: les enfants grandirent, imprégnés d’une autre culture et ne voulurent pas retourner en Italie. 

 

      Là-bas, dans notre région, de nombreux foyers se sont construits de la même manière: l’émigration, le travail, des sacrifices pour la famille et la maison … Mais le monde allait changer très rapidement, et les enfants ont manifesté des projets qui n’étaient pas forcément les mêmes que leurs parents. En fait, aujourd’hui, on a la claire conscience qu’un enfant n’est pas obligé de suivre le désir, le métier ou l’entreprise de sa famille. 

 

      Cela nous montre comment fonctionne un héritage. Il s’agit d’un rapport entre les générations dans les deux sens: les parents préparent un héritage à leurs enfants, et les enfants de leur côté reconnaissent et choisissent l’héritage, tout en laissant tomber les choses qu’ils ne souhaitent pas. De même, l’héritage culturel et religieux ne passe pas d’une génération à l’autre automatiquement, comme par nécessité: ce sont les nouvelles générations qui choisissent et mettent en valeur à leur manière ce qu’ils reçoivent.

 

      En histoire comme en culture, cela pose un principe grandiose: ce ne sont pas seulement les parents qui génèrent leurs enfants, mais ce sont les enfants qui choisissent les parents à adopter: “Graecia capta ferum victorem cepit ...” “La Grèce, conquise (par la force) par les Romains, conquit (par la culture) le vainqueur sauvage” (Horace, Epist. Il, 1, 156). Les Romains étaient forts et belliqueux, mais ils ont réussi à conquérir le monde pour une autre raison: ils ont accepté d’être seconds par rapport à une culture infiniment plus développée sophistiquée que la leur, la culture grecque. Les Romains sont devenus grands parce qu’ils ont choisi le juste héritage, le meilleur héritage.   

 

      Le Covid-19 survient, et semble réveiller en nous des peurs qu’on pensait avoir oubliées. Nous avons poursuivi jusqu’au paroxysme un modèle trop teinté de globalisation, au détriment de la planète. Autrefois, le virus de la rougeole n’était rien de plus qu’une mutation de la peste bovine transmise à l’être humain lorsque nous avons commencé à domestiquer la vache. Mais la rougeole a pris des siècles pour se propager à travers le monde, et elle l’a fait en mode trekking, c’est à dire à pieds, en se déplaçant avec les hommes, au fil des générations. Le Covid-19, en revanche, a pris l’avion, il s’est subitement répandu d’une manière exponentielle. Le Covid-19 peut être considéré comme le pire fruit d’une certaine façon de globaliser le monde. En effet, un progrès peut-il être sans limites, sans aucune impossibilité? Ou bien devons-nous changer de direction, en lui reconnaissant des limites? Il est fort probable que la guérison et la normalisation du Covid-19 (et des pandémies futures) réside dans la réponse que nous allons donner à cette question.

 

      La grande injustice de l’époque moderne, l’erreur que nous aurions peut-être dû éviter, se cache dans la toute-puissance que nous avons confiée à la technique. Autrefois, Dieu le Père était le plus puissant. Mais la technique pour elle-même est une perfection sans but, intéressée uniquement aux règles de son fonctionnement. Cette manière de construire la technique se répand hors de toute proportion, vers un chaos qui n’implique aucun progrès. Il a fallu trois jours pour que le Covid-19 détruise cette fausse certitude, cette croyance scientifique, cette foi aveugle des temps modernes, cette illusion de toute-puissance qui nous a conduits à imaginer un monde confié aux robots, à l’intelligence artificielle, à la croissance économique découplée de la croissance humaine. Certes, la technologie nous fournit des ressources formidables, mais nous ne devons pas nous leurrer en imaginant que notre avenir repose sur la technologie. Pour qu’il y ait un vrai progrès, l’initiative humaine est nécessaire. Et pour que le progrès soit efficace, peut-être faut-il définir une limite ?

 

      Toutefois, le Covid-19 se révèle ainsi peut-être un porteur inattendu de bonnes nouvelles: “La technique n’est qu’un instrument” - “Le futur a un coeur ancien” - “Le futur est remis à votre responsabilité” - “Dans l’ensemble de la population, un bon sentiment d’appartenance à l’humanité prévaudra”. C’est à vous, les jeunes, de reconnaître et choisir l’héritage culturel et religieux qui vous concerne. Le futur est entre vos mains, et il s’agit du même mot: la cultivation, la culture, et le culte.

 

      À suivre

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