L’OBÉISSANCE RELATIONNELLE

Le Baptême du Seigneur - Année A - (Mt 3, 13-17)                                                                 Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes par Andrea De Vico, prêtre                                                            correction française : Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Et des cieux, une voix disait: ‘Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je trouve ma joie’ ”

 

      Au VIIIe siècle avant JC, pendant la période d’exil à Babylone, Isaïe parle d’un “serviteur du Seigneur”, un homme innocent et juste qui, par une mort violente, aurait expié les péchés d’Israël. Grâce à l’action de ce serviteur, le peuple réuni et réhabilité regagnerait sa patrie. À Babylone, le héraut du roi, lorsqu’il donnait  la sentence à propos d’une condamnation à mort, brisait une canne et éteignait une mèche, pour indiquer qu’il y avait une décision prise d’en haut, une peine à exécuter. Eh bien: le prophète dit que ce serviteur “Il ne brisera pas le roseau qui fléchit, il n’éteindra pas la mèche qui faiblit”, c’est-à-dire qu’il ne viendra pas pour juger et condamner, mais pour rétablir le droit. Les Évangiles de la Passion reconnaissent la figure du serviteur d’Isaïe en la personne de Jésus. Mais l’investiture du serviteur a lieu aujourd’hui, lors du baptême au Jourdain, et il est facile de noter le parallélisme des deux textes: “Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu qui a toute ma faveur” (Isaïe); “Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui je trouve ma joie” (Matthieu). Si nous les comparons soigneusement, nous remarquons que les deux textes ont à voir avec la “justice”.

 

      Jésus s’approche de Jean pour être baptisé par lui, mais le Baptiste manifeste une certaine réticence: “C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi, et c’est toi qui viens à moi!” Jésus insiste: “Laisse faire pour le moment, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice”. Dans Isaïe, dans notre texte d’aujourd’hui comme dans le langage biblique en général, la justice implique toujours une référence à la volonté divine: ce que le Seigneur veut est juste, ce que le Seigneur demande est juste, ces voies sont des voies de justice. Mais que faire pour connaître sa volonté? Il est évident que Jésus et Jean sont tous deux animés par un devoir de justice ou d’obéissance. Ils veulent tous deux la même chose, mais avec un sentiment différent. Il semble même y avoir un conflit entre deux idées de justice. Il est toujours difficile d’établir ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Ainsi, pour découvrir cette justice, nous assistons à une scène merveilleuse: Jésus et Jean reconnaissent la vocation de l’un et de l’autre, et ils s’expriment dans une soumission mutuelle! L’obéissance de Jean permet à Jésus de vivre une expérience extraordinaire de filialité! Si à ce moment-là, Jean n’avait pas accepté d’être “supérieur” à Jésus, l’annonce du Royaume de Dieu aurait pu s’arrêter là!

 

      Selon cette relation mûrie entre Jésus et Jean au Jourdain, l’obéissance consiste en un “ob-audire”, c’est-à-dire en un “tendre l’oreille” pour une écoute mutuelle, une soumission mutuelle, afin de pouvoir identifier ce qui est juste selon Dieu. Quand il y a une écoute obéissante entre les frères de foi, les relations sont franches, claires, chastes, authentiques, vraies! L’obéissance adulte et mature est le résultat d’une action commune, c’est un événement de communion, c’est un acte libre et relationnel. Selon le mandat évangélique, l’obéissance doit être une écoute mutuelle à tous les niveaux, entre le pape et les évêques, entre les évêques et le presbytère, entre les prêtres et le peuple, dans la vie religieuse et familiale.

 

      Par exemple, dans un couvent, il y a “le père supérieur” ou “la mère supérieure”, mais cette “supériorité” ne doit pas être interprétée dans le sens de “l’un dit et l’autre exécute”. Ce serait du totalitarisme, ce serait une domination de la volonté de l’un au détriment de l’autre, ce serait le soldat qui obéit au général, le fonctionnaire qui fait des affaires en secret, le chien qui a peur de la ceinture du patron … Celui qui gère ou s’adapte à ce type d’obéissance ouvre la voie à tout abus et jeu de pouvoir. Sans reconnaissance mutuelle, l’obéissance devient aliénation. L’aliénateur et l’aliéné sont tous deux des sujets actifs dans cette relation d’“obéissance coupable”.

 

      Il existe également une “obéissance enfantine” qui n’augmente pas le sens des responsabilités. Le frère Elia, compagnon et successeur de saint François, en fait l’expérience lorsqu’il doit envoyer des frères en Allemagne. L’un d’eux ne se sent pas à la hauteur, il n’arrive pas se décider, alors il dit à son “supérieur”: Veuillez me commander! Dites-moi si je dois y aller ou non! Je ne peux pas décider tout seul! Pour sortir de l’impasse, frère Elie lui répond: je t’ordonne, frère, au nom de la sainte obéissance, de décider par toi-même si tu veux y aller ou non! Et l’autre frère désespéré: commandez-moi ce que vous voulez, je préfère! Il est clair que ce type d’obéissance inconditionnelle n’est pas optimale en pratique. Le frère Elia se retrouve dans la situation de devoir confier une mission importante à un sujet immature qui cherche refuge dans un pouvoir fort. Ceux qui “obéissent” ainsi nuisent à la fois à l’autorité et à la communauté. En fait, ce type d’obéissance se substitue à la responsabilité: si en Allemagne les choses tournent mal, la “faute” sera évidemment celle des supérieurs qui m’ont envoyé, et moi je resterai dans les coulisses pour murmurer, pour me moquer d’eux ou ressentir de la rancune contre eux.

 

      Un autre modèle monstrueux d’obéissance est la “mortification aveugle de la volonté”, une chose qui n’a rien à voir avec la recherche efficace de la justice (c’est-à-dire la volonté de Dieu), mais n’insistons pas sur ce registre: le problème de nos jours est différent. Puisque récemment, dans l’Église, l’obéissance est en crise et ne fonctionne pas comme il se doit, les mots de “supérieur” et “directeur” sont éliminés et remplacés par “modérateur” et “accompagnateur”. On veut utiliser de nouveaux mots qui donnent un sentiment de démocratie, mais dans ce cas c’est l’autorité qui fait défaut. Ceux qui devraient “modérer” ou “accompagner” la vie des autres, en réalité ne veulent pas être responsables des autres, tel un certain Caïn qui dit: “Est-ce que je suis, moi, le gardien de mon frère?” (Gen 4, 9)

 

      Par conséquent, ce ne sera pas le lifting des paroles qui nous aidera à résoudre le problème d’une obéissance difficile. Dans l’Église, nous devrions plutôt redécouvrir la valeur et la pratique d’une obéissance saine. Cette scène de Jésus et de Jean au Jourdain nous en offre un exemple formidable. Puisque les évêques-princes du passé ont déchu avec leurs prétentions, et que les évêques-fonctionnaires ne répondent pas aux vraies attentes du peuple de la Foi, nous avons finalement compris que l’évêque est le père et le pasteur de son peuple. Eh bien: aujourd’hui, l’évêque est la personne la plus “obéissante” de son diocèse. Son oreille, son “ob-audire”, vise à écouter tout le monde. Il connaît les différentes communautés mieux qu’un préfet ou un chef d’État. Les gens reconnaissent le pasteur grâce à sa voix, à sa façon de parler. Quand un évêque parle après avoir écouté tout le monde, c’est le summum de la démocratie! Essayons d’imaginer la même chose par rapport à un curé de paroisse ou à un supérieur dans un institut religieux, envers les personnes qui leur sont confiées! Les pasteurs qui écoutent ont le pouvoir de faire grandir et d’améliorer les relations au sein d’une communauté!

 

      Une Église qui gouverne avec des protocoles, s’appuyant sur des images extérieures et des pouvoirs forts, commet une erreur tragique; elle se transforme en un système destiné à être balayé par l’histoire. Si la hiérarchie existe, elle existe pour le service, selon la remise de Jésus à ses disciples.

 

      Comme Jésus au Jourdain, apprenons donc tout d’abord ce que signifie être enfant. Un jour, nous serons appelés à être responsables de la vie des autres, dans la famille, à l’école, dans le monde du travail et dans l’Église. Si nous savons ce que signifie être un enfant, nous saurons également être des pères et des mères. Si nous faisons l’expérience filiale de Jésus, nous serons théologiquement en mesure d’exercer notre autorité, dans une culture qui oublie l’honneur du père et de la mère pour s’appuyer sur l’aveuglement des pouvoirs forts!

 

      Amen

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A-Ord-01 - LeBaptêmeDeJésus-L'Obéissance
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