JÉSUS LECTEUR

 Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fȇtes 

               Année C -III Ordinaire (Lc 1, 1-4; 4, 14-21)                                               

par André De Vico, prêtre - correction française: merci à mes amis

 

 

      “Tous, dans la synagogue, avaient les yeux fixés sur lui.”    

 

      Les livres d’Esdras et Néhémie évoquent le retour des hébreux de Babylone à Jérusalem: la reconstruction de la ville, des remparts et du Temple; la réorganisation de la communauté et la reprise du culte. Le scribe-prȇtre Esdras amène le Livre de la Loi sur la place publique, et donne suite à la première lecture officielle du post-exile. Les gens se disposent en ordre: les hommes, les femmes et les enfants. La lecture est ample et solennelle, à occuper une demie-journée, et elle est “con-clamée”, c’est à dire criée a voix haute, tel qu’un coup de trompette que tous doivent entendre. Le lecteur “ouvrit le livre” et, en lisant, il “prête” sa bouche à Dieu: “tout le peuple écoutait la lecture de la Loi”. L’événement suscite une forte émotion, il s’agit d’une “première mondiale”, les gens pleuraient. 

 

      Cinq siècles plus tard, en Israël, aux temps de Jésus, la lecture des textes sacrés est devenue une chose habituelle. Chaque samedi, les gens se retrouvaient en une salle de lecture dite: “synagogue”, qui littéralement signifie: “lieu du rassemblement”. C’est ici que Luc commence son récit de la vie publique de Jésus. Il avait l’habitude de se rendre à la synagogue, comme nous à Messe le dimanche. C’est la première fois que Jésus est invité à lire les Écritures et à parler en public, en tant que “lecteur” de la Parole, comme nos lecteurs dominicales. Les yeux de tous sont fixés sur lui. 

      

      La Liturgie catholique s’est développée à partir du modèle de la Synagogue: l’Église aussi convoque les fidèles à l’écoute de la Parole. En ce moment, l’attention de tous doit se concentrer sur l’Ambon, qui est le “lieu théologique” à partir duquel la Parole jaillit. Sauf que, trop souvent, dans le cours d’une célébration, il se passent des choses indignes. L’Ambon se réduit à un misérable pupitre mobile où on pose de tout. Les lectures terminées, on le déplace contre le mur, par commodité, pour faciliter un concert ou une manifestation culturelle. On confie les lectures à des personnes engagés à la dernière minute avec un signe de la main. Des gens animées par un grand zèle se précipitent à lire, et prennent toute la scène, avec leur irrépressible personnalité. Mȇme les gens instruits défaillent, quand elles se présentent pour une lecture improvisée, préoccupée par le perfectionnisme de la prononciation. Après il y a ces petites feuilles dominicales ou photocopies qui - au lieu de concentrer - détournent l’attention de l’Ambon, tout en faisant un court-circuit entre l’assemblée et le lieu théologique de la Parole.    

 

      La Liturgie prévoit aussi des moments de “créativité”: monitions, formules introductives, présentations personnalisées … L’homélie, en particulier, est le lieu où les Pères de l’Église n’avaient pas peur de présenter - aux fidèles analphabètes - une haute théologie des mystères chrétiens, apprise pas dans une école, mais dans leur vie de prière et de foi. En réalité, plus qu’à une “création liturgique”, on assiste souvent à une “chute de style” de la part d’un célébrant qui se met à faire l’animateur, en interrompant la prière publique, comme si devant soi il y avait un troupeau amorphe et à tout moment nécessiteux d’exhortations et d’explications détaillés: “nous allons prendre le chant à la page …” “ne restez pas au fond, avancez-vous …” “en faisant le signe de croix en ce jour de la sainte Trinité, nous allons penser à …” “voici l’agneau de Dieu, qui un jour passait par les chemin de la Palestine et aujourd’hui est bien présent sur cet autel qui …”

 

      La prière liturgique, truffée  de références à l’actualité qui en principe devraient en faciliter le déroulement, devient un gros pâté difficile à digérer. L’homélie, au lieu de prendre sa source dans la Parole de Dieu, cherche un soutien dans la chronique courante, pour motiver l’assemblée, un groupe ou une association, en vue d’une action particulière. Le prêtre lui-lui-même profite abusivement de son homélie pour manifester sa frustration à cause des gens qui ne viennent pas à la Messe. Les derniers fidèles  courageux encore présent, plongent dans un abysse de désolation.

 

      D’ailleurs, ne parle-t-on pas d’ “animation liturgique?” Mais voilà!… la Liturgie a-t-elle besoin d’être “animée?” Ou plutôt, bien au contraire, les mystères auxquels nous nous approchons ne sont-il pas “réanimateurs?” Il est évident que le rapport s’est inversé, et quand nous prétendons  “animer” une Messe, en réalité nous confectionnons un “produit” liturgique avec l’idée de le rendre plus attractif. Tous ces problèmes nous arrivent d’un arriéré-fond pélagien qui oppose notre action (ou “savoir faire”) à la grâce divine (qui est donnée “gratis”, elle ne peut que être accueillie). 

 

      Après tout cela, nous devrions recommencer à partir d’Esdras et Néhémie: le mot “lecture”, lui tout seul, devrait suffire pour exprimer l’importance d’un acte liturgique. Il ne s’agit pas de “lire” l’Écriture comme si c’était un poème ou une page de littérature: le terme grec de “ana-gignoskein” signifie: “reconnaitre, connaitre en revenant sur le sujet, connaitre en profondeur”. Cela signifie que le lecteur - comme le célébrant - ne peuvent pas se permettre d’improviser, mais ils se sont engagé à “re-connaitre” le texte qu’ils lisent, ce texte connu et préparé en avance. La Parole de Dieu, écrite par l’Esprit, doit se proclamer dans l’Esprit: une posture d’écoute spirituelle, un regard orienté, entre l’assemblée et le lecteur, les yeux fixés à l’Ambon. La Parole rejoint l’assemblée grâce au service d’un lecteur compétent et préparé, qui sache tenir avec simplicité et dignité le regard de l’assemblée, comme Jésus dans la synagogue: “Tous avaient les yeux fixés sur lui.”

 

      Ce n’est pas la culture ou la sympathie du célébrant qui doit briller, mais la sainteté de sa vie. La Liturgie, à part les moments explicitement “créatifs”, invite le célébrant - et tout autre acteur de la célébration - à “disparaȋtre”, en toute discrétion, derrière le rôle qui jouent, pour favoriser l’enracinement de la Parole dans le coeur des gens en écoute. Il ne s’agit pas - bien sur - de revenir à la Messe pompeuse ou hiératique d’autrefois, ni d’emprisonner la Parole dans un rite, mais de faire en sorte que tous nous quittions l’Église avec quelque chose qui bouge en nous: alors oui, que nous aurions été “animés” pour de vrai!

 

      Amen

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