EMMAUS, ALLER ET RETOUR

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fȇtes                                                                                                        par André De Vico, prêtre    

Année A - III de Pâques (Lc 24, 13-35)                                       

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître …” 

 

      Luc raconte le chemin aller-retour de deux disciples de Jésus qui, après la Pâques tragique de Jérusalem, reviennent fatigués et découragés vers Emmaüs, un petit village proche de la capitale. Ils ont terminé leur pèlerinage, ils vivent à proximité, ils n’ont pas besoin de passer la nuit dans la ville. Il y a un air de tristesse et de démobilisation chez eux. Un troisième homme rejoint le chemin et s’entretient avec eux. C’est le Ressuscité, mais les deux ne le reconnaissent pas parce qu’ils ont une vision trouble, à cause des faits récents et l’expérience dévastatrice du deuil.

 

      Cet étranger qui se joint au chemin fait semblant de ne pas être au courant de l’actualité, pourtant il vient comme eux de quitter la ville ! Est-il possible qu’il ne sache rien de “Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant …” Voici le point: ces disciples avaient cultivé de faux espoirs de puissance, ils s’étaient trompés sur la mission de leur Maître à Jérusalem. Ainsi n’éprouvent-ils désormais que de la déception et de la tristesse! L’étranger les accable à l’improviste, il prend le contrôle de la conversation et il les réprimande sévèrement: “Esprits sans intelligence … Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire?” Ils auraient dû le savoir ! En trois ans de prédication ils avaient été instruits par le Maître lui-même, mais ils n’avaient pas encore compris! 

 

      Malgré tout, le Ressuscité revient à leur rencontre, il les interroge, il les laisse parler, il explique les faits, il dissout les doutes. Les deux se sentent réconfortés et pris par une forte émotion, comme ils vont bientôt l’admettre: “Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures?” Une fois dans le village, ils veulent l’inviter au repas, mais lui se fait d’abord reconnaître, puis il disparaît. 

 

      Le voyage de retour est d’un tout autre ordre: les disciples sont maintenant enthousiastes, fortifiés par la robuste explication des Écritures, impatients d’aller tout raconter aux compagnons restés dans la ville. Personne n’aurait repris le chemin à ce moment-là, le soir, dans le noir, avec le danger des voleurs et des brigands, et les patrouilles de soldats. Un chemin de onze kilomètres qui, à un rythme soutenu, ne nécessite pas moins d’une heure et demie de marche. Il ne leur a fallu que quelques kilomètres pour passer de la ... démission à la mission!

 

      Ce trait de chemin est devenu une parabole magnifique de notre vie personnelle et communautaire. Le chemin d’Emmaüs est notre même chemin d’aller-retour, il est notre même voyage de la foi. Lorsque nous allons, fatigués et découragés par une défaite ou un échec, nous ne voulons rien savoir de plus que de rentrer chez nous, à nos propres affaires, et alors nous prenons le chemin du désengagement et de la démobilisation. 

 

      Il nous est difficile de rester dans ce groupe, dans cette communauté, dans cette Église, il y a des très bonnes raisons pour la quitter, l’abandonner et laisser tant de choses derrière nous ... Pourtant nous continuons à parler de Jésus-Christ en pensant le connaître, un peu comme ces deux-là qui descendaient vers leur village sans savoir qu’ils étaient en train de discuter avec lui en personne, mais ils parlaient d’un Christ mort, enterré, fini! En fait, la vraie raison pour laquelle nous jetons l’éponge et lâchement nous abandonnons le champ de bataille est notre manque de Foi, notre rencontre manquée avec le Ressuscité. 

 

      Bien sûr, nous avons été instruits, nous avons fait le catéchisme, nous avons pratiqué les commandements, nous avons cheminé avec lui, mais peut-être n’avons-nous pas encore compris cette Foi, peut-être ne l’avons-nous  pas vraiment encore acceptée: “Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire?”  

 

      À ce moment-là, l’inattendu se produit: ce Christ marche à nos côtés, il se présente sous la forme d’un voyageur anonyme, sans que nous remarquions que c’est lui. Un peu plus tard, si nous ouvrons notre esprit aux Écritures et nous reconnaissons l’événement de la résurrection, nous commencerons le voyage de retour, en direction des frères de la Foi, pour dire la Foi, pour la partager! Cette Foi qui ressemblait à un poids lourd, est maintenant vécue comme une joyeuse tâche!

 

      À Emmaüs, les deux disciples l’avaient reconnu à la fraction du pain. Attention: pas le pain, mais la fraction du pain. Pas le pain-objet, mais l’action-de-son-partage. Veillons bien à ne pas réduire l’Eucharistie à une récompense pour les bonnes âmes dont le grand souci n’est que d’être en ordre avec les règlements pour recevoir la communion à la messe. Sans partage, l’Eucharistie devient à nos yeux comme un fétiche, comme une idole vide que nous prenons soin de garnir d’un plein de soi, pour cautionner notre sentiment de bonté, pour nous dire à nous-mêmes que nous sommes des gens bien. 

 

      Ce qui constitue l’Eucharistie n’est pas le caractère sacré du pain, mais le geste de son partage, afin que chacun puisse s’en approcher, tout en liant l’Eucharistie à la vie, par exemple en partageant son temps avec une personne découragée et résignée dans son voyage d’aller simple ... ou bien en partageant un repas chaud offert aux pauvres de la ville ... Nous devons donc faire comme Jésus a fait: rencontrer, interroger, laisser parler, dissoudre les doutes, expliquer les faits et puis disparaître, après avoir laissé un mot, un pain ou un vêtement. Après tout, en instituant l’Eucharistie, lui-même a dit : “Faites cela en mémoire de moi” (Lc 22, 19), c’est à dire: faites comme j’ai fait, donnez votre vie comme je l’ai donnée.  

 

      Ne jamais donc se méfier d’une personne qui nous est étrangère, montrant des sentiments d’aversion ou de peur, ou un air d’improbable supériorité. Si nous réagissons mal, c’est parce que la présence de l’étranger nous amène à nous confronter à l’intérieur de nous-mêmes, et nous n’aimons pas cela. Le premier contact n’est donc pas immédiat, cependant si on s’arrête pour l’écouter, on se rend souvent compte que l’étranger connaît des choses bien mieux que nous, il a un diplôme, il est même porteur d’une authentique révélation! Parfois l’étranger est le Christ lui-même, qui s’improvise comme un compagnon de voyage!

 

      Amen

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