LA VIERGE MARIE ET L’INDÉPENDANCE DU GENRE FÉMININ

L’Immaculée Conception (Lc 1, 26-38)                                                                                  Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth, à une jeune fille vierge … L’ange entra chez elle et dit: ‘Je te salue, Comblée-de-grâce, le Seigneur est avec toi’ ” 

 

      Les chrétiens considèrent Marie vierge et mère comme un modèle complet de féminité. Le système de consommation actuel, réduisant le corps à un objet, impose l’image d’une femme ni vierge ni mère, sans poids ni âge, éventuellement anorexique. En trois ou quatre millénaires, nous sommes passés du culte préhistorique de la déesse-mère méditerranéenne, aux formes abondantes et généreuses, à la célébration des corps évanescents: il suffit de regarder le monde de la mode, de la publicité, des dessins animés et de la bande dessinée, où les héroïnes - femmes adultes - ne pèsent pas plus de soixante kilos.

 

      Dire vierge, à l’ancienne, et dire fille, ragazza, girl, chica, Mädchen dans les termes actuels, c’est la même chose, les mots sont équivalents. Il s’agit d’un sujet féminin qui a surmonté son enfance et qui  est sur le point d’entrer dans l’âge mûr. Dans les temps anciens, la vie moyenne était de quarante-cinquante ans, le passage était donc soudain, l’adolescence n’existait pas encore et le mariage avait lieu dès que la capacité de procréation avait été atteinte. Vierge signifiait: en l’âge d’avoir un mari. 

 

      Il n’est pas un grand secret de dire que le sexe impliquait (et implique encore) toute une série d’inquiétudes et de peurs qui affectent les croyances et les normes religieuses. Le sexe pourrait, en fait, être une boîte de Pandore capable de déchaîner tous les maux du monde: inceste, adultère, abandon, enfants illégitimes, abus d’enfants, viol, exploitation, jalousie, maladie, querelles et guerres de famille ... L’intégrité physique de la femme était donc très importante pour la génération et l’identification de la progéniture. La virginité physique constituait une garantie du sérieux de la fille en question. Certaines sociétés ont même élaboré des rituels dans lesquels la future épouse  devait montrer sa virginité avant le mariage. Dans le cas contraire, elle était punie et stigmatisée par toute la communauté. Ce sont des choses terribles, heureusement aujourd’hui l’intérêt pour ce type de virginité - du moins dans les cultures occidentales - est clairement tombé en désuétude.

 

      Cependant, on peut se demander si la virginité peut représenter une valeur. Par exemple: quelle est la virginité d’une personne qui s’est consacrée à Dieu mais ne reste vierge que dans le corps, laissant pénétrer dans l’âme tout un défilé de pensées superflues qui la rend trop lourde pour supporter les obligations de son état? C’est moins qu’une larve de virginité. Et quelle est la virginité de ces filles qui se laissaient toucher par un petit ami impatient, à condition de ne pas casser la fleur à devoir montrer la première nuit du mariage comme un certificat d’origine contrôlée? C’est une demi-virginité, fruit d’une mentalité machiste et un compromis qui, en fait, n’a pas duré longtemps. L’avènement des contraceptifs, à partir des années ’50, a rendu ce type de préoccupation superflue.

 

      Aujourd’hui nous sommes à l’excès opposé: nous sommes devenus si ouverts et libéraux que personne ne s’attend à la virginité. Outre les progrès miraculeux de la chirurgie plastique, capable de reconstruire l’hymen pour lui faire une surprise, ou l’inoxydable optimisme de cette brigade de grand-mères qui se précipite au restaurant en criant allons-y, les filles!, éliminer aujourd’hui le désagrément de la virginité est devenu presque une obligation sociale. 

 

      Il existe des classes de jeunes filles de quinze ans qui, pour se sentir libres et pouvoir se comparer aux autres plus âgées, concluent un pacte entre elles: arriver à la fin de l’année sans être pucelle, et avoir de quoi se raconter. De la part des éducateurs, il n’y a que du silence, aucun argument, à part la précaution du préservatif. Seules quelques personnes, de manière timide et courageuses à la fois, parviennent à avancer un argument basée sur des valeurs vaguement chrétiennes, mais qui ne sont plus crédibles, qui font rire ... mais si la virginité ne vaut rien, c’est le signe que les autres valeurs de la personne sont également déchues. 

 

      Le temps de la virginité ne doit pas être proposé comme un devoir vis-à-vis d’un mariage sanctionné par la tradition, mais comme un droit: pouvoir choisir la bonne personne et l’aimer au bon moment, sans obligations de consommation ni d’expérimentations préalables. C’est une manière d’être soi-même, de s’appartenir, avant d’appartenir à un autre. Le Cantique des Cantiques, en exprimant l’unicité de la virginité et de l’amour, utilise les images surprenantes du jardin clos, du jardin de fleurs, de la source scellée. Ces lieux ne sont pas conçus pour rester fermés à jamais, mais ils sont comme un événement de naissance: il y a un avant qui est préparé et un après qui s’explicite. Il y a une attente qui demande du temps, et un accomplissement qui rassure: tu es devenue une terre fertile. Ce qui se passe avant, en tant que vierge, sera décisif pour l’avenir, en tant que femme.

 

      Dans la culture occidentale, sauf quelques rares exceptions, il semblerait que les femmes n’aient pas encore atteint un véritable pouvoir, pourquoi? La raison en est peut-être toujours la même: Elena se laisse séduire par Paris et déchaîne les foudres de Ménélas, légitime époux qui, pour récupérer … le tableau, est disposé à ruiner le monde. Même Clytemnestre, en tant que mère, se sent outragée et tente d’empêcher le sacrifice de sa fille Iphigénie, mais en tant que femme, elle finit par respecter les règles de son mari, Agamemnon, une attitude de soumission qui lui coûtera plus tard un autre drame de sang. Les personnages féminins, aujourd’hui comme alors, en sortent fortement diminués, réduits au service de l’homme, ou en tant que belle amante (Elena), comme soutien de l’image d’un homme puissant, ou en tant que femme obéissante (Clytemnestre), comme garantie de la stabilité institutionnelle. En effet, certains hommes qui disent bien connaître les femmes, quand ils en trouvent une, la traitent avec toute l’imagination dont ils sont capables: belle et soumise.

 

      La chose tragique - voici le point! - c’est que ces êtres très chanceux trouvent toujours des femmes qui jouent le jeu, qui voudraient être comme Elena, belles, très désirables et capables d’attirer les hommes d’un seul regard, pour ensuite se retrouver piégées, sans voie d’issue. Il y a des femmes qui, pour surmonter le complexe d’Elena ou de Clytemnestre, aiguisent leurs armes, elles se font une cuirasse, elles atteignent les sommets de la société, de l’économie et du spectacle, elles se portent bien, elles sont confiantes et se sentent en sécurité ... jusqu’à ce que plus personne ne les regarde. La ménopause commence lorsque la femme réalise qu’elle n’est plus regardée de la même manière qu’avant. Alors elle sombre dans la dépression, elle révèle ses larmes, elle avoue être épuisée, elle prend un amant pour se venger, elle boit ou elle s’endette avec une carte de crédit du mari... La femme qui, pour s’émanciper, active les modèles masculins, finit par perpétuer la dévaluation du féminin. En politique, on voit beaucoup de femmes qui sont faites comme ça: des amazones cuirassées très masculines et si peu féminines.

 

      Le point qui remet tout en équilibre se trouve dans la figure d’Artemis (Diana) qui, en tant que déesse vierge, représente la qualité féminine de l’indépendance, le fait d’être une en soi-même. Artemis, en plus de réglementer la chasse, a pour fonction de protéger les filles pendant la puberté. 

 

      En fait, la principale qualité de l’esprit féminin est l’introversion, la capacité de regarder en soi. Il n’est donc pas faux d’affirmer la valeur de la virginité comme l’indépendance du féminin. Une fille intérieurement libre - aujourd’hui - pourra également - demain - aimer de manière authentique. Les filles qui - confiantes - se tournent vers leur avenir, peuvent dire en toute spontanéité: je suis vierge, c’est-à-dire indépendante.

 

      La virginité consacrée exprime également le caractère unique du don de soi à Dieu, avec un cœur indivis, et dans ce cas la personne se porte volontaire en signe d’un plus grand amour. Il est clair que la valeur de la virginité consacrée peut également échouer, comme il arrive à des religieuses qui, après des années de profession et de prières, au lieu d’ouvrir leur visage au sourire et à la joie de servir le Seigneur, semblent tristes, aigries, névrosées et hostiles. Cela peut aussi être l’inverse: une personne qui se libère du miasme de la luxure et de la prostitution peut retrouver la grâce primitive et la virginité du cœur: d’autres voies qui s’ouvrent à l’esprit! 

 

      Parmi les fameuses homélies de Saint-Bernard, nous en trouvons une dans laquelle l’auteur voit toute l’humanité retenant son souffle, ainsi que la création, dans l’attente du oui que la Vierge Marie allait prononcer. Dieu, par son ange, s’est penché sur une simple fille pour lui demander son consentement à un plan de salut. Dans la foi que nous disons avoir, le fait que Marie soit vierge signifie que Dieu a respecté son indépendance intérieure, et lui a demandé un oui.

 

      Amen 

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Immaculée 04-LaViergeMarieEtL'Indépenden
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