JEUDI SAINT: LE SIGNE DE LA VEILLE

Année ABC - Jeudi Saint (Gv 13, 1-15)                                                                                    Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

par Andrea De Vico, prêtre                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout”

     

      Dans l’ancienne civilisation pastorale, La Pâque était un simple rituel de départ à la veille de la migration annuelle: du sang était versé sur les piquets de la tente pour chasser les mauvais esprits, un repas rapide était consommé comme préliminaire au voyage plus loin, vers de hauts pâturages. Lorsque les Juifs ont quitté l’Égypte, ils l’ont fait comme un rituel de transhumance: ils ont taché les portes de leurs maisons avec le sang d’un agneau et ils ont mangé un repas frugal à la hâte, étant donné le départ précipité au milieu de la nuit. Le sang a été placé sur les montants en signe de reconnaissance pour l’Ange exterminateur qui, passant devant une maison juive, l’aurait épargnée de la plaie réservée aux familles égyptiennes. Pesah, d’où Pâques, signifie passer par-dessus, avancer, et en fait l’Ange de la mort a passé par-dessus les maisons des Juifs, leur épargnant le deuil des premiers-nés.

 

      Le repas de la veille du voyage était très simple: pain sans levain et herbe amère, car ce soir-là, à cause de l’excitation du départ, il n’y avait pas le temps de laisser lever le pain. En fait, pour ceux qui doivent voyager, la nourriture ne doit pas être volumineuse et les petits pains sans levain sont plus faciles à transporter. Dans cette circonstance, sous la direction de Moïse, se produit l’événement qui fonde l’histoire nationale et religieuse d’Israël: la libération de l’esclavage de l’Égypte et le passage de la mer Rouge. Ainsi, vers 1300 av. J.C. Israël est né en tant que peuple de Dieu.

      

      Le dernier repas en Egypte a été ensuite ritualisé avec un ordre d’itération précis: “Ce jour-là sera pour vous un mémorial. Vous en ferez pour le Seigneur une fête de pèlerinage. C’est un décret perpétuel: d’âge en âge vous la fêterez” (Es 12, 14). Le signe du repas a été ordonné à un avenir lointain, pour donner aux générations futures la possibilité d’être à nouveau présentes à l’événement fondateur. Aujourd’hui encore, lors de la célébration domestique traditionnelle de la Pâque qui a lieu chez les Juifs pratiquants, le plus jeune fils demande à son père: “Pourquoi cette nuit est-elle différente de toutes les autres nuits?” Le père répond par l’admonition du Rabbi Gamaliel: “Génération après génération, chacun est obligé de se voir comme étant lui-même sorti d’Egypte … Ce ne sont pas seulement nos pères que le Saint a rachetés - béni soit-il! - mais c’est nous aussi qu’il a racheté avec eux” 

      

Une célébration de la Pâque implique donc trois éléments constitutif: l’événement fondateur non reproductible (le passage de la mer Rouge, la libération), le signe prophétique de la veille (le sang de l’agneau sur les montants de la porte le dernier repas avant de partir), et l’ordre de réitération du signe prophétique (l’actuel repas de la Pâque, qui se répète de génération en génération).

      

      Jésus est un Juif qui célèbre sa Pâque à la manière hébraïque, mais qui introduit une nouveauté capitale, et quelle nouveauté! Le premier Testament (Document), paraphé de sang animal, est remplacé par une nouvelle Copie, écrite avec son propre sang! Le contenu du Testament est toujours le même (Réconciliation et Communion avec Dieu), mais c’est le garant qui a changé: au lieu du sang animal, la personne elle-même du Fils de Dieu!

 

      La Pâque personnelle de Jésus présente la même dynamique que la Pâque juive traditionnelle: on reconnaît facilement l’événement fondateur non reproductible (l’immersion dans la mer de la mort), le signe prophétique donné la veille (ce pain est mon corps, ce vin est mon sang), et l’ordre de réitération du signe prophétique (vous ferez cela en mémoire de moi, un ordre donné aux disciples présents et futurs).

 

      Le rôle du signe prophétique de la veille est très important. Il n’est plus possible pour les Juifs de rentrer physiquement et de traverser à nouveau la mer en compagnie de Moïse. Même pour nous, il n’est plus possible d’être physiquement présent au sacrifice du Calvaire, qui a eu lieu dans un lieu et un temps historiquement défini. Le signe de la veille nous donne la possibilité de nous présenter à nouveau à l’événement fondateur! La répétabilité du rite se reflète dans la non-reproductibilité de l’événement fondateur. Alors que nos pieds physiques sont encore dans l’église, les pieds théologiques nous amènent là, au Calvaire! Grâce au signe de la veille, le signe du pain et du vin, je peux moi aussi m’associer à la mort et à la résurrection de Jésus! En le regardant comme on regarde l’agneau de Pâques, je peux dire: Lui, c’est moi! Moi, c’est Lui! En fait, moi aussi, comme le Juif averti par le père de famille, je suis désormais obligé de me voir comme étant effectivement monté au Calvaire, en croix avec lui!

 

      Ici, nous comprenons également la différence entre mémoire et mémorial. La simple mémoire est un fait affectif, psychologique, culturel, folklorique. Une Via Crucis, par exemple, n’est qu’une belle représentation qui touche notre sensibilité, elle peut être proposée en termes de spectacle, de théâtre, d’imagination ou de mémoire photographique. Elle est émouvante, mais elle n’a pas le pouvoir de toucher l’événement fondateur. Le mémorial, en revanche, est plus complexe: l’ordre de réitération donné par Jésus (vous ferez cela en mémoire de moi), grâce au signe de la veille (le pain et le vin), a le pouvoir de nous re-présenter à l’événement non reproductible (passion, mort et résurrection).    

     

      Avec la bénédiction annuelle de la famille dans les maisons, nous n’utilisons certainement pas le sang d’un agneau pour confondre les mauvais esprits ou détourner le cours de l’Ange de la mort, comme dans l’ancienne civilisation pastorale:  l’eau bénite que nous utilisons, puise dans le pouvoir du  Baptême,  la force de lutter contre l’esprit du mal et contre ce qui divise et empêche la paix dans nos familles.

 

      De même - qu’on le dise aux gens qui ne viennent à l’église que pour les enterrements et les anniversaires de décès - la formulation messe des morts est banale, impropre: elle remonte à une époque où la messe était comme un bien de commerce. La liturgie n’est pas faite pour encourager le deuil, mais l’espérance; pas la mort, mais l’attente de la Résurrection! Cette vie n’est qu’une veille de la vraie vie, la vie à venir, la vie du Ressuscité!

 

      Amen   

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ABC-Triduum-01 - JeudiSaint - LeSigneDeL
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