La pureté, la contamination et la pollution

Réflexion sur un passage d’Évangile

suite à une question posée par des jeunes

par André De Vico, prêtre

correction française: merci à mes amis

 

 

      Dans le comité de rédaction “Tasoulafoi”, site internet des jeunes catholiques du Diocèse de Sion (partie francophone), qui a eu lieu à Notre Dame du Silence le soir du 13 Jour 2019, une question s’est présentée, à propos d’un grave manque qui a été constaté par les jeunes eux-mêmes: il n’y a pas de discours fondé et sérieux sur la sexualité, et chacun fait comme il lui arrive de faire, pour un plaisir qui ne compense pas la déception ou le désastre relationnel qui suit. 

 

        J’ai ajouté que dans le domaine de la catholicité, pendant les séances de conseil ou de sacrement de la Réconciliation, les jeunes font souvent et soudaine référence au domaine sexuel, comme s’il était à l’origine de tout autre désordre. Même des hommes mariés (les femmes beaucoup moins) se chamboulent la tête avec des épisodes ou des phénomènes de masturbation. Il est évident que la catéchèse joue un rôle très fort par rapport à certains actes qui appartiennent au domaine de l’hygiène et de la formations des habitudes, plutôt qu’au domaine de l’action morale. Il s’agit de quelque chose qui se règle premièrement en famille, en période de bas âge. 

 

         On pourrait ouvrir un chapitre pour expliquer en quoi consiste cette séparation-relation entre l’hygiène et la morale, mais il est plus facile de constater un “glissement de terrain” qui emmène la sexualité dans le marais du sentiment de culpabilité, avec lequel les personnes sont capables de travailler toute leur vie, à vide, pour rien. En effet les personnes sont habituées à passer la plupart de leur temps à négocier avec leurs sentiments de culpabilité, sans jamais trouver de réponse apaisante, bien au contraire: elles accumulent un tas de choses de plus en plus encombrantes et gigantesques. Pas étonnant si elles finissent par tomber dans les mailles de la dépression ou dans le plus noir désespoir! Elles sont devenues si sensibles et susceptibles que toute petite nuance déclenche un drame spirituel. La moderne “dépression” est une catégorie de pensée qui a remplacé l’ancien “sens du péché”. Si les actions humaines n’atteignent pas leur but, il est normal qu’on se déprime. Autrefois on disait: “j’ai péché, j’ai péché, j’ai vraiment péché …” Il n’est pas question d’Église répressive ou de laïcité ouverte: il s’agit d’un manque total de repère.

        

         Le phénomène de la pensée puritaine n’est ni neuf, ni exclusivement catholique/chrétien. Les pharisiens d’autrefois étaient obsédés par des questions de pureté rituelle. Par exemple, ils ne touchaient pas de cadavres pour ne pas se contaminer; quand ils revenaient à la maison du marché public, ils faisaient des rituels de purification pour secouer toute impureté qu’ils auraient pu contracter en touchant les autres gens sans vouloir. Et encore: ils ne se mettaient pas à table sans se laver les mains jusqu’au coude. Ils ne mangeaient pas si l’assiette n’avait été pas lavée jusqu’au bord, et qui, donc était “impur”.

 

         Aussi la modernité a ses croyances bizarres et révolues. Il y a des gens, aujourd’hui, qui se sentent “contaminés”, “négativisés” par la présence des autres. Donc quand ils retournent à la maison après avoir été dans la foule, ils font des rites pour se “décharger” des “négativités” qu’ils auraient pu accumuler par le contact avec les autres. Ainsi ils se douchent, ils allument une bougie, ils brulent de l’encens, ils font du yoga avec une petite musique new âge en arrière-plan. L’ “autre” n’est pas considéré comme porteur d’une histoire ou relation particulière avec le monde: l’ “autre” est devenu porteur potentiel de négativité.

 

         Les modes salutistes d’aujourd’hui, et certaines règles d’hygiène et d’alimentation, ressemblent beaucoup aux scrupules des pharisiens. Par exemple, de temps en temps, il arrive qu’une star vegane du web, soit parce qu’elle a ingéré, sans le vouloir, des protéines animales (un oeuf!), soit parce qu’elle a du pour un moment renoncer, pour des raison de santé, à sa diète religieusement végétalienne, est vigoureusement insultée et excommuniée de la part de sa confrérie et de ses followers véganes.

 

         Cela devient encore plus évident dans les idéologies masquées en religion, comme “Scientology”, qui promeut un message salvifique centré sur le mot de “propreté”. La Scientologie dit que l’homme est “sale” parce qu’infecté par des “engrammes négatifs”, c’est à dire des “présences” et des “souvenirs inconscients et douloureux” du passé, qui doivent être mis en lumière pour guérir et redevenir “propres”.    

 

         Nous les catholiques nous avons développé un autre type d’obsession, par rapport à toute chose qui concerne le domaine sexuel: le puritanisme, l’angélisme, l’intellectualisme etc … ne pas regarder, ne pas toucher, ne pas goûter … ce qui en réalité nous pousse à regarder, toucher et goûter furtivement, en cachette. Qu’est-ce qu’on y a gagné? Sommes-nous libres à cause de cela? Est-ce que cette “pureté sexuelle?” à quelque chose à voir avec la vieille “pureté rituelle” des pharisiens, ou la “pureté alimentaire” qui s’impose de nos jours avec des pratiques véganes et végétaliennes? Y a-t-il un critère de “justice” en ce qui concerne la sexualité et l’alimentation? Bien sur que oui, voici ce qui se passa un jour: 

 

         “En ce temps-là, un jour de sabbat, Jésus vint à passer à travers les champs de blé; ses disciples eurent faim et ils se mirent à arracher des épis et à les manger. Voyant cela, les pharisiens lui dirent: ‘Voilà que tes disciples font ce qu’il n’est pas permis de faire le jour du sabbat!’ ”  (Mt 12, 1-2)   

 

         Est-ce un péché que d’arracher des épis le jour du sabbat, en les frottant pour avoir des petits grains à manger dans le creux de la main? Nettoyer des épis peut-il être considéré comme un travail à ne pas faire le jour du Seigneur? Une telle petite chose a-t-elle le pouvoir d’introduire un principe de sacrilège dans la loi du repos? Il est évident que Jésus défend ses disciples: ils peuvent le faire, et il y en a des précédents importants: le jour que David donna à manger à ses soldats les pains sacrés destinés aux prêtres, et les prêtres eux-mêmes, qui font leur travail au temple le jour du sabbat sans commettre de faute! Dans un autre passage, les paroles directes du Maître:

 

         “Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur … Car c’est du dedans, du cœur de l’homme, que sortent les pensées perverses: inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, fraude, débauche, envie, diffamation, orgueil et démesure. Tout ce mal vient du dedans, et rend l’homme impur” (Mc 7, 14-23) 

 

         Jésus dresse une liste de tous les maux du monde: ce sont des choses qui viennent de l’intérieur de l’homme! Ce qui est nuisible à l’homme, sort de son propre cœur! On peut bien dire que Jésus met en place une vraie révolution: il déplace l’axe de la religion de l’extérieur vers l’intérieur. Il annule “toute tradition humaine” et ramène tout au cœur, à la conscience! La nourriture n’a pas le pouvoir de contaminer la conscience mais, c’est une conscience imprudente que d’abuser et gaspiller de la nourriture! Pour Jésus, il est clair que nous ne pouvons obtenir la purification pas en nettoyant l’extérieur de l’assiette, mais en partageant son contenu. La pureté n’est pas dans l’assiette propre, mais dans le geste du partage!

 

         De même, le chemin de la négativité ne part pas des autres pour venir vers moi, mais part de moi pour aller vers les autres. Le mauvais œil des autres envers moi n’a pas le pouvoir de me contaminer, bien au contraire: mon mauvais œil adressé envers les autres peut me contaminer! En fait, le seul élément capable de contaminer toute chose c’est “moi-même!” Étonnant, n’est-ce pas? Je peux donc redevenir “propre” et “positif” seulement grâce à mon changement intime, à ma conversion personnelle!

 

         Certes, cela peut nous faire sourire de penser aux tabous alimentaires des pharisiens ou d’autres traditions, quand ils élèvent des scrupules alimentaires à la dignité des prescriptions religieuses, mais nous ne nous rendons pas compte que nous tombons dans le même piège. Par exemple, nous nous indignons pour les produits périmés et les aliments gâtés qui finissent sur le marché, mais nous ne pensons point aux faux discours accompagnés de mots durs et de mensonges qui sortent de notre bouche. Nous nous préoccupons de la pollution de l’air et des plastiques dans les océans, mais nous n’accordons aucune attention à la pollution de la morale et à la manipulation de la vie humaine. Nous éprouvons un sincère regret pour les oiseaux marins qui sortent des eaux polluées recouverts de taches d’huile et incapables de voler, mais nous n’avons aucun sentiment pour nos enfants trop tôt gâtés et éteints, à cause de la malice qui se manifeste en tout aspect de la vie sociale.       

     

         Nous jouissons des beaux habits et des belles voitures, nous nous contentons des apparences extérieures, nous croyons être beaux, justes et religieux, alors que notre cœur est desséché, loin de Dieu. Qui sait jusqu’où nos prières arrivent, où est-ce qu’elles nous emmènent, quel abysse nous sépare de Lui! C’est pourquoi Jésus exige une “écologie du cœur”, une guérison du cœur, un cœur qui est à la source de tout, même de ce qui nous porte à la dépression et au péché. Il s’agit d’un travail d’évangélisation qui ne s’adresse pas à la masse, mais qui se fait de bouche à oreille, au bénéfice de la personne en tant que telle, située dans un contexte communautaire.

 

         Dans la nature il n’y a rien de mauvais, bien au contraire: le premier jour le Créateur vit son œuvre, et en toute satisfaction il dit que “tout est bon”. La distorsion du mal provient de notre liberté. Il n’y a donc qu’un petit angle de l’univers que je dois me préoccuper de tenir “propre”, et qui dépend de moi: mon cœur, ma famille, mon contexte de vie. Le psalmiste dit que le Seigneur ne veut pas de victimes immaculées, il ne veut pas le corps vidé de sang d’un animal immolé, mais il veut l’obéissance de la volonté humaine. En effet, pourquoi gâcher mon temps pour apaiser mes sentiments de culpabilité? Le Seigneur ne cherche pas de pureté rituelle, sexuelle ou alimentaire. Le Seigneur cherche la pureté de ces quatre centimètres ici (le front). C’est mon regard, c’est ma volonté qui doit être pure de toute tentation manipulatrice, le reste viendra en conséquence.

 

          Je trouve que le Vatican, avec Greta Thunberg et ses millions de jeunes followers, font fausse route, ils favorisent un discours sur la souffrance des dauphins et la pollution des mers qui n’est pas à la hauteur des enjeux. La justice entre les hommes et la justice du Royaume sont en question. Cela veut dire que un meilleur respect entre les hommes et entre les nations entraîne un monde plus propre, sans déchets, ça ira de soi. Le vrai problème, ici, le vrai “agent pollueur”, réside dans la rapacité du cœur humain et les injustices qu’il déclenche. C’est le Christ qu’il l’a dit, Lui “qui propter nos homines et propter nostram salutem, descendit de cǽlis”, “qui pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du ciel”. La mission de l’Église est d’évangéliser et d’emmener un message de salut, non de supporter un discours extérieur, écolo, à la pharisienne.

 

      Fin

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