LE POUVOIR SANS LA VERITÉ, LA VERITÉ SANS LE POUVOIR

 

Année B - XXXIV Ordinaire (Jn 18, 33-37)                                                                             

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue; Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Jésus répondit: ‘C’est toi-même qui dis que je suis roi. Moi, je suis né, je suis venu dans le monde pour ceci: rendre témoignage à la vérité’. Pilate lui dit: ‘Qu’est-ce que la vérité?’ ”

      

      Le dernier dimanche de l’année liturgique est dédié au Christ, Roi de l’Univers. Un titre qui, de nos jours, semble grandiloquent, dépassé, décalé. De fait, les monarchies ont presque complètement disparu. Le Christ est-il roi? Qu’est-ce que cela signifie? Le dimanche avant la Pâque, Jésus avait fait une entrée modeste et triomphale en même temps. Il était désarmé, à dos d’âne, pas même sur un cheval, accompagné par une cour enthousiaste d’admirateurs, d’adeptes, de vagabonds, de gens du peuple et de gamins … Un tel homme est-il dangereux? On dirait plutôt un phénomène folklorique. 

 

      Mais les juifs ont eu peur de lui; ils se sont sentis menacés par sa présence en ville! Aujourd’hui, Jésus est traîné devant Pilate avec un chef d’accusation bien précis: il s’est proclamé roi des Juifs. Interrogé sur ce crime de lèse-majesté, Jésus détourne l’interrogatoire sur le thème de la vérité. S’il y a un lieu dans l’Univers dans lequel il est souverain, c’est bien dans la vérité. Il dit être venu témoigner de la vérité. Les Juifs ont vu juste: il s’est proclamé roi, mais pas à la manière de ce monde. Il n’est pas venu conquérir avec l’épée, mais avec la parole, et des foules nombreuses l’ont suivi; voilà pourquoi il faisait peur! Pilate est déconcerté, il ne s’attendait pas à cette réponse, et comme il appartient à la congrégation des sceptiques, il rétorque: Qu’est-ce que la vérité?     

 

      Face à face, Pilate et Jésus représentent deux manières de gouverner le monde: le pouvoir sans la vérité, et la vérité sans le pouvoir. Pilate croit à la force des armes ; il estime que les forts ont toujours raison. Il ne voit pas les empires qui chutent, et les nouveaux états qui s’installent sur leurs ruines. Pour Jésus, l’autorité est fondée sur la vérité. Une personne qui a la responsabilité des autres, dans le domaine politique, économique ou ecclésial, si elle veut le consensus, la collaboration et le cœur des autres, doit d’abord être crédible en termes de vérité. Quand quelqu’un doit rappeler aux autres qu’ ici c’est moi qui commande, cela veut dire que, en réalité, il a perdu son autorité, ou qu’il ne l’a jamais eue. En fait, il s’agit d’une proportion inverse: plus on grandit en son autorité, moins aura besoin de pouvoir … plus on a recours au pouvoir, moins on gagne en autorité. Pilate a peur de la foule, et c’est là qu’on reconnaît l’homme de pouvoir: à partir de son rapport avec ce que disent les gens, la presse, l’opinion publique, les réseaux sociaux … 

 

      Les sceptiques sont des gens comme Pilate. Si on les place devant les grandes questions qui exigent un certain exercice de jugement, ils ont une attitude d’indifférence, ils se lavent les mains. Une personne sceptique se sent mal à l’aise avec la vérité, elle n’est pas disposée à en payer le prix, elle ne vit pas du vrai, elle ne se nourrit pas du vrai, et à la fin elle ne sera pas une personne vraie, parce qu’il est plus facile pour elle d’éluder la question: qu’est-ce que la vérité? Et quand une personne n’est pas vraie, elle ne fait pas autorité. Le scepticisme comporte un solde négatif en humanité, il fait reculer en humanité.

 

      Dans les deux autres lectures, Daniel parle d’un Fils de l’homme revêtu de puissance cosmique, et Jean associe cette figure à la gloire des siècles. Dans l’ancienne cosmologie, le monde était divisé en trois étages: au-delà des nuages, les esprits divins; ici sur terre, les hommes; et dans les lieux souterrains, la demeure des morts. En dessous des nuages, les mauvais esprits et les démons agitaient les phénomènes météorologiques et déchaînaient les cataclysmes de la terre. Les forces de la nature étaient personnifiées et spiritualisées, un peu comme nous faisons aujourd’hui quand nous attribuons des noms personnels aux tempêtes tropicales ou aux gigantesques incendies californiens. 

 

      Dans la prophétie de Daniel, quatre bêtes, tour à tour, écrasent les hommes et les choses. Ce sont les pouvoirs mondains, les différents empires qui se succèdent dans l’histoire et qui, au lieu de bien gouverner les hommes, les persécutent et les tuent. À un moment donné, Daniel voit un fait nouveau: il voit “avec les nuées du ciel, comme un Fils d’homme; il lui fut donné domination, gloire et royauté … tous le servirent … Sa domination est une domination éternelle …” Finalement, un gouvernement parfait: il n’y a qu’une intervention divine qui puisse le garantir! 

 

      Jésus au Sanhédrin, face à ses accusateurs, déclare être lui-même ce Fils de l’homme, descendu pour ouvrir le royaume final. Cette affirmation provoque une réaction de fureur de la part des Juifs: il a blasphémé … il s’est fait Fils de Dieu ! Les Juifs savent bien que le Fils de l’homme est une figure divine. L’Apocalypse reprend les images de Daniel et les attribue au Christ: “le Témoin fidèle, le Premier-né des morts, le Prince des rois de la terre … Voici qu’il vient avec les nuées …” (Ap 1, 5-8). Certes, ce sont des images qui viennent de l’ancienne cosmologie et du langage apocalyptique, mais leurs sens est clair: Jésus Christ embrasse toute l’histoire, il est prophétisé dans l’Ancien Testament, il s’est incarné dans le Nouveau, et il est annoncé dans le temps actuel de l’Église.

      

      Tant de gens et de théologiens apprécient l’image d’un Christ grand maître de morale et de sagesse, un ami et un frère universel, socialiste et révolutionnaire. Cependant, ces mêmes personnes ne comprennent pas le sens de sa royauté, ils n’arrivent pas à dire: Seigneur! Le monde du cinéma, de même, en représentant le personnage Jésus, le montre dans sa simple humanité, comme un homme de bien qui était proche des gens, qui a été incompris et persécuté jusqu’à mal finir: un Jésus que ne sauve pas. 

 

      Nous le célébrons aujourd’hui comme le Roi de l’Univers. Certes, les conditions de cette royauté ne sont pas évidentes, et en cela Pilate avait raison, mais Jésus nous rappelle que le Royaume de Dieu avance lentement, et dans le cœur des hommes. Et quand le Royaume avance, Dieu donne aux cœurs son pouvoir!        

 

      Amen    

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LE CIEL ET LA TERRE PASSERONT

Année B - XXXIII Ordinaire (Mc 13, 24-32)                                                                           

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. Quant à ce jour et à cette heure-là, nul ne les connaît, pas même les anges dans le ciel, pas même le Fils, mais seulement le Père”

      

      Dimanche prochain sera le dernier de l’année liturgique, et on le constate déjà dans cet épisode classique, style fin du monde. Un disciple est fasciné par l’architecture du Temple: Maître, regarde: Quelles belles pierres! Quelles constructions! Mais Jésus le contredit d’une manière impressionnante: “Il ne restera pas ici pierre sur pierre; tout sera détruit”. Et il commence à faire tout un discours apocalyptique, par lequel la fin prochaine de Jérusalem donne une idée de comment la fin du monde pourrait se passer. En effet, la ville sera détruite peu de temps après, par les légions de Tite. 

 

      Dans toute l’histoire du monde, il n’existe rien qui ressemble à la destruction de la ville sainte, racontée par Josephus (I siècle). Comme les hébreux ne toléraient pas la domination romaine, des troubles graves éclataient de temps en temps. En l’an 70, Vespasien envoya son fils Tite avec une grande armée. À ce moment-là,  la ville débordait de pèlerins arrivés du monde entier pour célébrer la Pâque. Sans le vouloir et sans le prévoir, ils restèrent piégés, et en peu de temps furent saisi par la faim. Certains cherchaient à quitter la ville: ils vendaient tout, ils avalaient les pièces en or et ils s’enfuyaient. Avec cette monnaie, obtenue par les voies naturelles, ils cherchaient à se procurer de la nourriture. D’autres, rampant la nuit jusqu’aux avant-postes romains, ramassaient les restes qui avaient échappés aux chiens et aux chacals. Pour une poignée d’orge pourrie on payait d’énormes sommes. 

 

      On commençait à mâcher le cuir des boucliers et des chaussures, et à avaler les ordures qu’on trouvait dans les égouts. Des romains virent un fugitif récupérer les pièces en or avalées peu avant. La rumeur se répandit, et les légionnaires se mirent à ouvrir le ventre des fugitifs: deux mille, en une seule nuit! Pour intimider les assiégés, Tite ordonna de crucifier devant les remparts tous ceux qui sortaient, chassés par la faim: plus de cinq-cents par jour! La ville ressemblait à un cimetière, les maisons étaient pleines de mourants et de morts, les jeunes étaient comme des fantômes vacillants qui tombaient subitement morts.  

 

      Le 17 du mois de Panemos (Juillet), il se produisit un fait d’importance lugubre pour le judaïsme de tout lieu et de tout temps: à partir de ce jour-là, par manque d’hommes et de prêtres, on ne célébra jamais plus le “Sacrifice perpétuel” qui avait eu lieu régulièrement chaque jour pendant des siècles. Le Temple resta à découvert, et il devint la cible des assauts romains. Tite voulait le sauver, mais les têtus défenseurs du Temple ne lâchaient pas prise, soutenus par la force du désespoir. 

 

      Le 6 du mois de Loos (Août), ce fut la catastrophe. Un soldat romain lança un tison brûlant par une fenêtre du Sanctuaire. Comme les salles étaient en vieux bois, et que la température était torride, l’incendie éclata. Tite essaya de le dompter, mais comme chez les militaires les flammes signifiaient la victoire et le début du saccage, une masse énorme de soldats envahit le Sanctuaire. Ils le firent avec une telle virulence que beaucoup d’entre eux furent écrasés. Tite lui-même commença à battre ses légionnaires, pour les ramener à l’ordre. Mais à moment-là, par la fureur bestiale des troupes, aucune discipline n’était efficace. Tout était perdu. La destruction de l’unique Temple et la cessation du culte devint le symbole - pas le fait – de la rupture définitive entre le christianisme et le  judaïsme (1).

 

      Plus tard, ce fut le tour de la capitale: en 410, il y eut le sac de Rome par les vandales d’Alaric, ce qui marqua la fin de l’Empire romain. Les chrétiens de ce temps-là expérimentèrent un état profond de prostration. Ce monde-là s’arrêta, et disparut pour toujours. Les diplomaties byzantines lui  succédèrent. 

 

      Il y eut ensuite l’expansion arabe qui prit en étau l’Occident par l’Espagne et la Turquie. Cela  provoqua les croisades. Puis vinrent la menace mongole, l’empire ottoman, la croissance espagnole et enfin la revanche anglo-saxonne qui caractérise le monde actuel. Mais un jour ou l’autre, les démocraties finiront par céder la place à d’autres systèmes: il n’est pas dit qu’elles sont éternelles, et personne ne connait le temps de la fin. 

 

     Lorsque, avec un enthousiasme irréfléchi et gratuit, quelqu’un nous dira: Quelles constructions! Quels ouvrages! Quelles technologies!, rappelons-nous que ce n’est que du matériel pour les plus beaux feux d’artifice, qui exploseront lorsque la fin viendra. L’industrie hollywoodienne du cinéma, en prolongeant l’ancien discours des littératures apocalyptiques, nous donne tout le temps de nouveaux clichés possibles du temps de la fin.

 

      Plutôt que d’une fin du monde, il serait plus exact parler d’une fin des mondes, au pluriel, comme cela se passe normalement dans l’histoire. Du reste, pour moi, le temps la fin pourrait venir cette nuit même: je ferme les yeux, je meurs, et je vois le monde tomber dans le noir. Cela ne doit pas avoir le goût d’une menace, mais cela doit être un appel à être vigilant, à ne jamais baisser la garde, à bien mener nos propos, nos belles actions. 

 

      En écoutant l’Évangile de la fin, notre état d’esprit doit demeurer dans un serein espoir, sûr que nous traverserons les événements qui vont nous toucher en toute sécurité, parce que en réalité - avec la Liturgie - nous allons à la rencontre du Christ. Son irruption est proche! A chaque génération, Jésus est là qui vient, et chacun de nous dispose de son petit espace de temps pour hâter sa venue ! 

 

      Si je suis distrait et si je me laisse avoir par d’autres choses bien moins importantes, Lui il viendra quand-même, mais pas pour moi! Mais si je fais attention, la surprise sera bien étonnante: le monde va peut-être beaucoup mieux que je ne le pensais !

 

      (1) Cf. “La distruzione di Gerusalemme dell'anno 70”, in: “Christianismus.it”, studi sul cristianesimo, del 02 settembre 2007

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HUILE, FARINE ET FOI

Année B - XXXII Ordinaire (Mc 12, 38-44)                                                                             

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Cette pauvre veuve a mis dans le Trésor plus que tous les autres. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence: elle a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre” 

 

      La première lecture raconte l’épisode qui ouvre le cycle d’Elie, le premier des grands prophètes d’Israël, qui a vécu au IXe siècle avant J.C. en un temps de grande famine. Le prophète survit près d’un ruisseau. Mais lorsque le torrent se tarit, le Seigneur l’envoya à Zarepta ville phénicienne (aujourd’hui Sarafand, au Liban), en plein territoire païen, en disant: “Il y a là une veuve que j’ai chargée de te nourrir” (1 Rois, 17, 9). 

 

      Le prophète parvint aux portes de la ville et constata la grave situation de pauvreté d’une veuve. Il lui demanda de l’eau et du pain. Elle objecta n’avoir plus qu’un peu de farine et d’huile pour survivre, elle et son fils. Elie lui demanda de lui en faire une galette, en l’assurant que la petite réserve ne s’épuiserait pas jusqu’aux prochaines pluies.

 

      Zarepta était située sur le territoire de Sidon, ville phénicienne, en plein territoire païen. Cette femme ne pouvait pas connaître la foi d’Israël. Pourtant, faisant confiance à un Dieu qu’elle ne connaissait pas, et dont un prophète étranger se portait garant, n’hésita pas, et au risque de sa vie partagea pour trois ce qu’il restait pour deux. Tout le contraire d’une opération commerciale, où l’on offre trois au prix de deux. Cette pauvre femme, avec un peu de farine, une goutte d’huile et un acte de foi, sauve sa vie, celle de son fils et celle de l’homme de Dieu. Dieu avait préparé son cœur à accomplir cette belle action.

 

      En prêchant à Nazareth, parmi ses compatriotes qui l’accueillirent avec mauvaise humeur, Jésus ressortit cette ancienne histoire de la veuve de Sarepta, qui eut lieu huit cents ans auparavant, en leur disant: “En vérité, je vous le dis: Au temps du prophète Élie, lorsque pendant trois ans et demi le ciel retint la pluie, et qu’une grande famine se produisit sur toute la terre, il y avait beaucoup de veuves en Israël; pourtant Élie ne fut envoyé vers aucune d’entre elles, mais bien dans la ville de Sarepta, au pays de Sidon, chez une veuve étrangère” (Lc 4, 25). En pratique, Jésus dit que Dieu envoie également ses prophètes aux païens, qui parfois s’avèrent bien meilleurs que les fils d’Israël. Ses compatriotes en furent tellement vexés et contrariés qu’ils essayèrent de le tuer.

 

      La simple et généreuse hospitalité de la veuve de Sarepta, se répète aujourd’hui dans le geste secret de la veuve de l’Évangile. Cette fois, les adversaires de Jésus sont les Scribes, ceux qui enseignent la Loi, qui s’estiment être des guides éminents du peuple, mais dont le comportement est tout à fait répréhensible. Jésus leur reproche leur absence de scrupules et leur fausse religion: “Ils dévorent les biens des veuves et, pour l’apparence, ils font de longues prières”. 

 

      Les veuves et les orphelins constituaient la catégorie sociale la plus faible de toutes. Dans les langues anciennes, le terme veuf n’existait même pas. La femme était intégrée dans la société à travers son mari, raison pour laquelle perdre un mari voulait aussi dire perdre tout droit et tout soutien. Quand un homme mourait, le premier chacal qui se présentait pouvait accaparer les biens de sa maison sous n’importe quel prétexte, au moyen des instruments légaux de l’époque. Les spécialistes de ce type d’opération étaient vraiment ces gens qui faisaient montre d’une grande religiosité.

 

      L’épisode de l’obole de la veuve se passe dans l’entrée du Temple de Jérusalem, là-même où les femmes pouvaient entrer (quand il s’agir d’encaisser, tous peuvent entrer). Voici le trésor du Temple: le long des murs, il y avait treize boîtes à offrandes en forme de trompette, à l’intérieur desquelles les pièces de monnaie des offrandes étaient glissées. Le flux des offrandes était si abondant que cela faisait du Temple de Jérusalem une vraie capitale financière de l’Antiquité, au point que Pilate, par manque de ressources pour construire l’aqueduc, les confisqua au trésor du Temple. 

 

      “Jésus s’était assis dans le Temple en face de la salle du trésor, et regardait comment la foule y mettait de l’argent. Beaucoup de riches y mettaient de grosses sommes. Une pauvre veuve s’avança et mit deux petites pièces de monnaie”. Ainsi, Jésus attire l’attention des disciples sur cette pauvre femme, en déclarant qu’elle a donné plus que les autres, parce qu’elle a mis tout ce qu’elle avait pour vivre. Les autres, guidés par leur orgueil et leur vanité, donnaient leur superflu, alors qu’elle offrait à Dieu son unique moyen de survivre, sans se faire remarquer. 

 

      Ce qui compte, c’est l’attitude intérieure qui pousse la personne vers le bien. Celui qui fait le bien pour être loué et reconnu, en acquérant des mérites devant les hommes, les perd devant Dieu. Mais un petit acte accompli dans le sacrifice et la modestie est marqué par les anges dans le livre de vie.

 

      Autrefois, les soi-disant bienfaiteurs passaient au milieu des places publiques, pour se faire remarquer. À présent, étant donné que la place s’est médiatisée, ils vont à la télé et sur internet pour se faire sponsoriser au travers des bonnes actions qu’ils prétendent accomplir. Mais le bien, pour être bon, demande à être accompli en toute humilité, sinon le bien n’est pas bon.

 

      Quant à nous, nos actions sont souvent motivées par des gains et des intérêts humains. Un éloge nous enflamme, autant qu’une petite critique nous déprime. Si nous sommes mus par cela, nous ne ferons jamais beaucoup de pas en avant sur la voie du bien, nous serons des adolescents perpétuels et immatures, qui auront toujours besoin de la considération d’autrui.

 

      Le bien doit être fait sans la prétention d’être vu, même au prix d’être critiqué. Le bien béni par Dieu requiert un cœur détaché, généreux, humble ! Si nous faisons cela, il est certain que l’œil de Dieu repose sur nous, et Dieu dispose notre cœur au mieux, comme il l’a fait avec la veuve de Zarepta, qui a mérité d’accueillir un prophète de la stature d’un Élie. Pas besoin de grands moyens : pour amalgamer le bien, un peu d’huile, de farine et de foi suffisent !

 

      Amen

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LE GRAND COMMANDEMENT

Année B - XXXI Ordinaire (Mc 12,28b-3)                                                                               

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “ ‘Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de tout ton esprit et de toute ta force’. Et voici le second [commandement]: ‘Tu aimeras ton prochain comme toi-même’. Il n’y a pas de commandement plus grand que ceux-là’ ”

           

      Le plus grand commandement est celui de l’amour, mais si on y réfléchit en profondeur, l’amour est-il un commandement? Peut-on commander à l’amour? L’amour ne consiste-il pas en un enchantement spontané plein de désir, bonheur, délicatesse, courtoisie? L’amour n’habite-il pas des lieux fleuris et parfumés, comme disent les poètes? Quel rapport y a-t-il donc avec un commandement? 

 

      Et encore: qu’est-ce qui vaut mieux? La loi de l’Amour, comme l’Évangile nous le demande, ou l’amour de la Loi, que de fervents religieux voudraient imposer? En effet, si hier on travaillait beaucoup avec l’idée du devoir, de la morale et du châtiment divin, la notion actuelle de l’amour est devenue assez floue, on pourrait faire n’importe quoi, et dire que c’est de l’amour.

 

      Selon les paroles de Jésus, la loi de l’amour ressemble beaucoup à la règle d’or que les hommes ont appliquée en tout lieu et en tout temps: ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’il soit fait à toi même. De manière évangélique: aime ton prochain comme toi-même. Jésus nous place devant un miroir qui s’appelle: moi-même, face auquel on ne peut pas mentir! Si j’ai un bouton sur le nez, je peux bien utiliser une crème pour le cacher aux autres, mais mon miroir ne se trompe pas, il sait bien que ce bouton est là, il me le montre, forcément!

 

      Aimer son prochain comme soi-même est bien difficile, parce que cela suppose un amour de soi qui soit sain. Mais en fait, nous qui nous sommes des adultes, nous sommes comme des adolescents pas tout à fait disposés à accepter nos boutons, nos limites. Nous nous détestons pour notre aspect physique comme pour des actions ou des erreurs que nous avons faites par le passé. Nous ne nous réussissons pas à nous pardonner nous-mêmes, quand Dieu lui-même nous a déjà bien pardonné. Nous ne savons pas nous aimer de façon juste, et cela se transforme en agressivité envers les autres. Chaque fois qu’il y a un acte violent, la raison de cet acte se cache dans un manque d’estime de soi-même. Le séisme de la violence a son centre de gravité en un manque d’amour dans l’existence de la personne  violente. 

 

 Même discours en ce qui concerne la reconnaissance de l’embryon, c’est à dire son statut d’être humain. Il y a soixante ans, moi j’étais un embryon, et si tu me touches, tu me fais du mal, donc ne me touche pas. En vertu de la règle d’or, la Loi publique devrait pouvoir dire: ne touchez pas l’embryon. Il y a quelques décennies, la Cour de Justice Européenne a interdit le brevet et l’usage expérimental ou commercial des embryons humains. Souci humanitaire? Pas du tout: le simple fait de pouvoir congeler des embryons pour pouvoir les utiliser même après la mort des parents biologiques, pose des problèmes énormes, insurmontables, du point de vue juridique, financier et patrimonial.  

 

      L’amour du prochain n’est parfois qu’extérieur, superficiel. Il y a des gens qui, ne sachant pas comment rester dans leur propre maison et en paix avec eux-mêmes, se tournent vers des œuvres caritatives ou font du bénévolat dans une paroisse ou une association, pensant que cela les aidera à résoudre leurs problèmes. Ils aimeraient faire le bien ... aux dépens des autres. Non éduquées au bien, avec quelques croyances confuses, ces gens font des dégâts. À la fin, elles s’en prennent aux autres et claquent la porte, gonflées de ressentiment. 

 

      Un dicton de saint Augustin est très célèbre: Aime, et fais ce que tu veux. Une phrase qui se retrouve un peu partout, superficiellement, même dans les magazines. Tous sont d’accord de la signer, comme si c’était un laissez-passer pour tout se permettre, tant qu’il y a de l’amour. Un acteur porno ou une star du porno, par exemple, dira que son  travail se justifie pour aider des personnes à améliorer les … performances de leur libido. 

 

      Ce monde est bien étrange: si au marché on nous présente un vin frelaté, tous crient au scandale et veulent leur argent en retour, et en même temps nous avons accepté, pour nous et pour nos jeunes, toute adultération de l’amour. Il y a des perversions de l’amour que l’on fait passer avec l’étiquette de l’amour, et nous ne disons rien. 

 

      En réalité, saint Augustin sous-entendait tout autre chose. C’est lui-même qui nous en explique le sens. Il est des moments où il est impossible de savoir quelle est la chose juste à faire: parler, ou se taire? Si je parle, je risque de perdre la relation avec mon prochain. Si je me tais, de même. Corriger une personne, ou laisser passer? Voilà une règle qui vaut bien dans les deux cas: Aime, et fais ce que tu veux. Si tu parles, tu parles par amour. Si tu te tais, tu te tais par amour. C’est bien simple, non?   

 

      En vérité, il suffit de peu pour adultérer et ruiner l’amour, c’est pour cela que tout doit être offert  à Dieu: cœur, âme, esprit, force!

 

      Amen

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QUE JE RETROUVE LA VUE!

Année B - XXX Ordinaire (Mc 10, 46-52)                                                                               

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue; Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

   

      “Jésus lui dit: ‘Que veux-tu que je fasse pour toi?’ L’aveugle lui dit: ‘Rabbouni, que je retrouve la vue!’ Et Jésus lui dit: ‘Va, ta foi t’a sauvé’ ” 

      

      La cécité de Bartimée est la métaphore d’une cécité beaucoup plus grave, la cécité spirituelle. Une personne en bonne forme physique peut avoir l’œil d’un faucon, mais si la foi en Dieu (ou une confiance en l’Autre, bien plus … laïque) est perdue, elle perd la vue, elle passe a côté de sa vocation et elle finit dans le chaos. 

 

      Dante Alighieri, poète suprême, raconte dans la Divine Comédie: “Quand j’étais au milieu du cours de notre vie, je me vis entouré d’une sombre forêt, après avoir perdu le chemin le plus droit. dont le seul souvenir renouvelle ma peur!” C’était évidemment une crise morale, dont il ne rapporte par pudeur pas les détails. A cette occasion, il rencontra deux guides qui le tirèrent de ses ennuis: Virgile, qui l’accompagne “par le règne éternel, des ombres anciennes affligées par les cris du désespoir”, et Béatrice, rencontrée très jeune, puis très vite décédée, et qui maintenant le guide “vers le peuple béni”, devenant la personnification de la philosophie, de la foi, de la grâce. Sans ces deux guides, le rétablissement personnel de Dante n’aurait pas été possible. Personne ne peut se racheter tout seul.

 

      Si nous n’avions qu’une petite partie du génie poétique de Dante, chacun de nous pourrait écrire sa Comédie personnelle. Avec la crise de la quarantaine, qui ressemble beaucoup “au milieu du cours de notre vie”, nous devons faire face aux promesses et aux désillusions de la jeunesse qui ont échoué. La juventus (jeunesse) du printemps cherche à être remplacée par la gravitas (gravité) de la personne adulte, c’est-à-dire par la capacité de prendre des décisions réfléchies, pondérées, sérieuses, humainement mûres. 

 

      Il y a un prix à payer pour accéder à l’âge adulte. Si cela ne se produit pas et que les gens continuent de jouer aux jeunes hommes et aux jeunes femmes, c’est un vrai désastre pour la vie: combien de regrets et de remaniements de relations qui ne mènent à rien! La vie devient une succession d’événements non liés, principalement faite de signes négatifs. La personne ne voit pas la connexion, elle ne saisit pas le crochet, elle n’a pas une direction à prendre: elle devient aveugle!

 

      Les expériences du carpe diem (profite de l’instant), imprudentes et tant vantées, non réfléchies, non interprétées, non spiritualisées, finissent par presser et peser sur la conscience. En fait, quand elle est dans son malaise, la personne parle d’elle-même comme si elle était actrice dans l’intrigue d’un feuilleton dont on ne sait jamais où il commence et où il se termine. La personne semble coincée dans la mémoire du mal qu’elle a subi ou qu’elle dit avoir subi. Le soir venu, elle fait l’inventaire de tout ce que les autres lui ont fait, et elle ne se rend pas compte de ce qu’elle a réellement fait à d’autres.

 

      Voilà donc la nécessité de rencontrer le Seigneur qui lui ouvre les yeux, comme cela s’est passé pour Bartimée. Cela peut se faire grâce à un guide, un directeur ou un père/mère spirituel/le qui sait écouter, accueillir ce qu’il y a dans la personne, lui faire découvrir le sens de sa présence dans le monde, lui indiquer une direction, un but. Le père/mère spirituel/le adopte le regard du Père céleste, et la personne commence à voir dans sa vie brisée ce fil qui tient les choses ensemble, cette connexion qu’elle cherchait avec difficulté: l’immense amour d’un Père qui aime!

 

      Aujourd’hui, le mot directeur spirituel ne plaît pas, parce qu’il est compris de manière équivoque, comme si diriger signifie forcer ou limiter les consciences. Malheureusement, il est vrai que certains directeurs spirituels ont commis de graves abus d’autorité, ce qui peut engendrer une certaine méfiance aujourd’hui. Alors on préfère la dénomination plus fade d’ accompagnateur spirituel, mais cette subtilité parait inutile. Les consciences peuvent être plagiées ou manipulées même en étant des compagnons spirituels. On n’améliore pas les choses en changeant leur nom!

 

      En tout cas, s’aventurer seul - sans direction, en fait - dans les voies de l’esprit, c’est se retrouver face à de grands risques de pertes, de déviations et d’anomalies. Il y a des gens qui, interprétant mal leurs besoins spirituels, errent ici et là à la recherche d’expériences fortes, comme des adolescents immatures qui n’ont pas vraiment l’intention de résoudre leurs problèmes, et confondent leurs humeurs avec les manifestations de l’Esprit Saint.

 

      En réalité, les vrais spirituels ne savent pas être des spirituels, et s’ils le savent, ils ne le diront jamais. Celui qui parle de spiritualité, et le fait de manière émotionnelle, est en fait en train de chercher un compromis avec la chair, avec le monde. Il est en train de caresser la sensualité de son public. Pour cette raison, ceux qui adhèrent imprudemment avec enthousiasme à tout type de mouvement soi-disant charismatique ou de prière, se trouvent tôt ou tard déçus, aigris et ils peuvent même perdre leur foi, à cause des illusions et des tricheries qu’ils trouveront sur ce chemin.

    

      Heureusement, il te reste toujours la possibilité de rencontrer le Seigneur, sérieusement, grâce à une personne qui cultive la sagesse, un directeur patient ou un guide qui t’attendra au moment de franchir le pas et de changer d’horizon. Lorsque tu rencontres le Seigneur à la manière de Bartimée, ta vie change.

 

      Les autres feront tout pour l’empêcher. Les autres ne t’appellent que lorsqu’ils ont besoin de toi, mais si tu as besoin d’eux, personne ne t’entend. Bartimée appelle à l’aide, et les autres le réprimandent pour le réduire au silence. Ils veulent que sa misère reste cachée, pour légitimer leur état de tranquillité. Mais Bartimée ne se soucie pas de ce que les gens pensent: il crie encore plus fort! C’est pourquoi Jésus le déclare guéri: “Ta foi t’a sauvé”. 

 

      Cela signifie que la foi et la maladie étaient ensemble, et que le principe de guérison, la foi, était dans le malaise lui-même! Tu es la réponse à tes problèmes, mais tu ne vois pas cela. Ce sera à un autre de t’ouvrir les yeux.

 

      Amen

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L’UN À DROITE L’AUTRE À GAUCHE

Année B - XXIX Ordinaire (Mc 10, 35-45)                                                                              

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Alors, Jacques et Jean, les fils de Zébedée, s’approchent de Jésus et lui disent: ‘Donne-nous de siéger, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ta gloire’ ”  

      

     Les apôtres avaient déjà discuté qui était le plus grand, recevant la réprimande de Jésus qui leur avait ordonné de se servir les uns les autres. Maintenant deux frères s’avancent et demandent une recommandation. Matthieu précise qu’ils envoient leur mère en avant: “Ordonne que mes deux fils que voici siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche, dans ton Royaume” (Mt 20, 21).

 

      La recommandation consiste en la pratique largement répandue de signaler une personne aux supérieurs hiérarchiques pour qu’elle soit promue aux échelons supérieurs, en la plaçant dans une situation avantageuse par rapport aux autres. En Italie, souvent, la recommandation constitue la seule possibilité d’accéder aux postes et aux salaires les plus élevés des fonctions publiques. Il s’agit d’un vice national. Cette pratique y est tellement généralisée qu’on la retrouve aussi bien dans les institutions de droite, traditionnellement conservatrices et jalouses de leurs privilèges, que dans les groupes de gauche, qui par statut idéologique devraient s’opposer aux inégalités et au favoritisme.

 

      Et il est facile de crier au scandale: il y a des journalistes qui mènent des enquêtes ponctuelles et intelligentes contre la corruption et les recommandations, mais si on va voir, on découvrira que leur curriculum vitae en comprend également au moins une. Il fallait s’y attendre: celui qui fait une croisade pour la chasteté, tôt ou tard, il se révèle moins vertueux que les autres. Si tout le monde condamne publiquement la recommandation, finalement presque tous y font recours. Il semblerait que même l’injustice ait tendance à être distribuée en parts égales: pouvons-nous nous en plaindre?

 

      Trois acteurs composent ce petit théâtre: le recommandeur, qui exploite son propre pouvoir et sa position sociale; le recommandé, qui jouit de la position d’avantage qui en découle; le recommandataire, celui qui reçoit le rapport du sujet à privilégier. Le mécanisme se concrétise quand les parties concernées agissent de concert. Lorsque le recommandé a pris ses fonctions, le recommandataire s’arrange pour que l’on n’oublie pas ce qu’il a fait, et il lui demande une reconnaissance de courtoisie, pour laquelle il signale un nouveau candidat à favoriser, ouvrant une chaîne difficile à briser, qui finit par récompenser les candidats non préparés ou inadaptés, au détriment de ceux qui ont les qualifications et la bonne préparation. Le personnel embauché est incompétent, les politiciens incapables recourent au conseil des experts, et la machine administrative devient obèse. 

 

      Jacques à droite, Jean à gauche. Les autres camarades sont indignés. La mère des deux est la recommandeuse qui, prosternée aux pieds de Jésus, songe à troquer un hommage religieux avec un avantage en faveur de ses  enfants; Jacques et Jean sont les recommandés, qui devraient être promus sans raison et sans mérite; les autres apôtres sont prêts à l’indignation, non par souci de justice, mais parce qu’ils sont aussi des recommandés potentiels qui ne veulent pas se faire voler le poste. 

 

      C’est une métaphore de ce qui se passe dans l’Église de nos jours: quelques sujets médiocres qui voudraient devenir prêtre, quelques prêtres inconscients de leur incapacité qui voudraient devenir évêque, et quelques évêques qui pointent vers un dicastère ou un cardinalat particulier, pour lequel ils doivent se mettre en avant et échanger une faveur, ou créer des événements qui leur permettront de briller et de se mettre en lumière.

      

      Qu’en pense le recommandataire, Jésus-Christ lui-même? Il répond d’une manière étonnante. Pour comprendre ses propos, imaginons l’action d’un certain homme qui se présente à un politicien pour obtenir un certain poste. Le politicien énumère tous les devoirs liés à cette tâche, les risques, les coûts, les imprévus ... La personne qui se présente est-elle prête à en payer le prix? Elle dit que oui. Le politicien répond: eh bien, tu en payeras le prix, mais quant au poste, oublie-le, tu es à la mauvaise adresse, ce n’est pas en mon pouvoir de t’accorder cela.

 

      La réponse de Jésus est plus ou moins la même. Il dit aux deux frères: vous ne savez pas ce que vous demandez; pouvez-vous boire le calice et en payer le prix? Ils lui répondent: oui. Et lui: vous boirez la même coupe que je bois, et vous connaîtrez aussi mon baptême de sang, mais pour être à droite ou à gauche, oubliez ça, ce n’est pas en mon pouvoir, le Père le sait. Ils pensaient qu’ils allaient à Jérusalem pour devenir premiers ministres, mais Jésus leur parle d’une coupe amère, d’un baptême de sang. Baptisma, en grec, signifie immersion. En fait, Jésus se lavera dans son sang, son propre sang, et un jour même les apôtres mourront presque tous martyrisés, comme lui. Ils boiront la même coupe, ils seront baptisés de la même manière, dans le sang.

 

      En fin de compte, chacun est libre de demander ce qu’il veut. Cela ne coûte rien de demander, mais personne ne peut déterminer à l’avance le prix à payer: vous ne savez pas ... Au fond,  Jésus dit accepter le prix de la recommandation (souffrance et sang, jusqu’au martyr), mais il ne garantit pas le poste. Même ceux qui veulent devenir évêques, ou cardinaux, au lieu d’en être inquiets, ils peuvent se mettre à l’aise, parce que dans un certain sens ils seront satisfaits, mais pas comme ils le pensent: comme le veut le Père !

 

      Pourquoi plier la tête devant un supérieur hiérarchique? Vénération sincère face à un tel office, ou perversion diabolique d’un service qui vise le pouvoir? Cela convient-il? La recommandation, dans un premier temps, semble favoriser la personne qui parvient intelligemment à accéder au grade supérieur, mais à la fin elle insinue des doutes sur la valeur, et la personne elle-même, si elle a conservé une lueur de conscience, se demande: mais je suis ici parce que je vaux quelque chose, ou pour un magnifique coup de pouce que j’ai reçu par quelqu’un? 

 

      Au contraire, une personne qui s’auto-réalise, avec ses sacrifices et ses moyens modestes, a une haute estime de soi, et elle le dit fièrement. Cela ne peut jamais se produire dans l’horizon apathique, somnolent et inefficace des gens recommandés.

 

      Amen

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QUE DOIS-JE FAIRE?

Année B - XXVIII Ordinaire (Mc 10, 17-27)                                                                           

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Jésus se mettait en route quand un homme accourut et, tombant à ses genoux, lui demanda: ‘Bon Maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle en héritage?’ ”  

      

      Jésus rencontre un homme  profondément religieux, mais qui manque de quelque chose, il veut plus, il cherche une réponse: “Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle?” Le fait de poser la question révèle son malaise. Scrupule éthique? Anxiété de perfection? Envie de faire mieux? Nous ne le savons pas, mais la réponse de Jésus est simple: “Tu connais les commandements …” Mais l’homme réplique: “Tout cela, je l’ai observé depuis ma jeunesse”. Alors, si vraiment tu veux faire plus, “Vends ce que tu as et donne-le aux pauvres … Puis viens, suis-moi !” dit Jésus.

 

      En réalité, cet homme attendait une réponse différente, sortant des chemins de bienséance qu’il avait déjà parcourus. En effet, il était centré sur sa perception de lui-même en tant que personne honnête, sur l’augmentation de ses mérites personnels, sur son sens éthique de la vie, et cette réponse de Jésus le bouleverse: donne aux pauvres, et suis-moi! On voit que ses possessions matérielles se heurtent à son désir d’une vie plus pleine, plus heureuse, plus engagée, et c’est pour cette raison qu’ il s’en va,  attristé.

 

      Nous ne savons pas quel a été le sort de cet homme. S’il avait suivi Jésus avec les apôtres, nous aurions peut-être un champion de plus de la sainteté, mais ce fut un échec, une occasion manquée. Et Jésus commence à prononcer une litanie de l’impossible: “Comme il sera difficile ... Il est difficile ... Il est plus facile ... Pour les hommes, c’est impossible ... tout est possible à Dieu”. Qu’est-ce qui est impossible? Qu’est-ce qui est difficile?

 

      Voici la question fondamentale que chaque jeune se pose: que dois-je faire? J’ai la vie devant moi: qu’est-ce que j’en fais? Que faire pour avoir une vie pleine, intéressante et heureuse? Les réponses peuvent être bonnes et elles peuvent être fausses. 

 

      Tout d’abord, il y a l’erreur matérielle: penser que la réalisation de ma vie dépend de la richesse, des moyens, des ressources, des dispositifs. En fait, je pourrais aussi vivre sur une planète pleine de richesses et de technologies, mais cela ne me donnerait pas plus de vie (ceux qui aiment le cinéma, peuvent aller revoir Blade Runner,  1982).

 

      Deuxièmement, il y a l’erreur éthique: penser que mon succès dépend de la perfection de mes actions, de ma bonté, de mes compétences, de ma morale, de mon sens éthique, du respect que j’ai pour la tradition. En fait, si j’ai tendance à enfermer ma vie dans le cercle d’un excellent et bon moi, je la livre à l’insatisfaction et à la tristesse. La morale et la tradition seront également de belles choses, mais elles ne méritent pas d’être aimées pour elles-mêmes, sauf en vue de quelque chose de plus grand. Mais quoi?

 

      Observons ce qui se passe dans la liturgie. Premièrement, la Parole de Dieu (Logos) est écoutée, puis les engagements moraux (Ethos) sont pris en conséquence. Le Logos vient en premier (la Parole, l’annonce), puis l’Ethos: que dois-je faire? Jésus a également fait ainsi, il a fait le tour des villes et des campagnes en répétant une seule chose: “Le royaume des Cieux est tout proche” (Logos, annonce), donc “Convertissez-vous” (Ethos, l’engagement suite à l’annonce de la Parole).

 

      Même dans l’éducation, les convictions précèdent  les règles. Il n’est pas possible d’éduquer un adolescent en lui disant de faire les choses sans lui expliquer pourquoi, sans lui donner une bonne raison d’agir. 

 

      Il en est de même en politique: si nous devions mettre le devoir en premier, il y aurait un bouleversement de la coexistence humaine. Nous aurions un État éthique, basé sur le sens du devoir des citoyens, nous aurions une société de type militaire, nous aurions une famille subordonnée à l’État. L’éducation se traduit par le dressage, et la fidélité à une simple exécution des ordres.

 

      Par conséquent, ce n’est pas une mince affaire, et ce n’est pas une chose abstraite, d’affirmer que le don précède le devoir, que les convictions précèdent les règles, que la grâce précède le mérite, que la parole précède le précepte, que la démocratie précède l’ordre établi.

 

      Il est important d’affirmer cette primauté de la conscience sur l’expérience, sinon de terribles aberrations émergent: un échec existentiel, un culte incohérent, une éducation sans convictions, une spiritualité préceptrice, une paroisse traditionaliste, une religion légaliste. Même dans le domaine médical et hospitalier, il peut y avoir de très bons médecins et des gestionnaires très prudents,  qui placent l’acte médical sous la tutelle de l’Éthique. Mais l’Éthique est insuffisante, pas assez forte pour préserver à elle seule la vie humaine de la manipulation et du monstre du marché.

 

      Le fait que le Logos précède l’Ethos a d’énormes conséquences, également dans la sphère privée. Les Juifs de l’époque de Jésus étaient obsédés par un besoin de pureté rituelle, une pureté résidant dans les assiettes propres et les mains bien lavées jusqu’au coude. De nos jours, la même obsession se manifeste dans les régimes alimentaires, dans les aliments pesés en grammes, dans l’eau minérale qui purifie à l’intérieur et rend beau à l’extérieur, dans le souci de la forme, de la silhouette, du véganisme et du végétarisme, etc.  Le monde catholique, pour évacuer les mêmes angoisses ou obsessions puritaines, a traditionnellement ciblé la sphère sexuelle: ne regarde pas, ne touche pas, ne commets pas ...

 

      En réalité, si nous voulons être en harmonie avec les paroles de Jésus, la pureté  est à rechercher dans la parole qui fleurit sur la langue de l’un pour atteindre l’oreille de l’autre: “Mais vous, déjà vous voici purifiés grâce à la parole que je vous ai dite” (Jn 15, 3). L’organe de pureté est donc très simple: il n’est pas dans le sexe, mais dans la langue de celui qui parle et dans le tympan de celui qui écoute.

 

      Voici donc ce que nous devons faire, nous tous, dès notre jeunesse: nous mettre à l’écoute! Poser la bonne question qui nous fait prendre conscience de notre vocation: que dois-je faire pour ... ? Si je quitte tout, je trouverai tout, plus que je ne peux imaginer humainement. Et si cela arrive, si je fais cela, je suis déjà dans un régime de vie éternelle, abondante, heureuse, pleine: une vie ressuscitée!

 

      Amen

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UNE SEULE CHAIR: OBJET IMPOSSIBLE, OU PROJET DIVIN?

Année B - XXVII Ordinaire (Mc 10, 2-16)                                                                              

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue; Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Au commencement de la création, Dieu les fit homme et femme. À cause de cela, l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux deviendront une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas!”        

      

      La controverse entre Jésus et les pharisiens sur la question de la répudiation présente quatre niveaux: le discours du Légaliste, qui ouvre le débat avec un piège; le discours de Jésus, qui répond à la provocation; le discours de la Loi, avec en référence Moïse, mais instrumentalisé par le légaliste; le discours du Créateur, qui de toute évidence précède les autres positions. 

 

      A ces quatre discours, qui, à eux seuls, constituent un parfait puzzle juridico-moral, se sont ajoutées des montagnes de spéculations théologiques, de jugements et de corollaires de toute une tradition morale et spirituelle, sans compter tous les potins et les commérages. Étrange que personne n’ait jamais demandé l’avis des personnes directement concernées: l’homme et la femme!

 

      Au temps de Jésus, l’ennemi numéro un du mariage  était l’acte de répudiation, acte qui est de toute évidence profondément injuste par rapport à la femme. En effet, le mari avait le droit de répudier sa femme et ce, même pour de banales raisons. Dans ce contexte, les pharisiens avaient des discussions animées, d’une part pour établir s’il était licite de répudier sa femme pour n’importe quel motif, ou par un motif grave prévu par la Loi. Ils demandent alors l’avis de Jésus, avec l’intention de lui tendre un piège, en s’imaginant qu’il choisirait l’une des deux hypothèses. Mais Jésus répond d’une manière surprenante: il n’admet pas la répudiation, ni pour un motif léger, ni pour une raison grave: en aucun cas il est licite de répudier sa propre femme! La réponse est claire et intransigeante: “Dès le commencement, le Créateur les fit homme et femme …” Si Moïse avait prévu une exception à la norme en permettant l’acte de répudiation, c’était “en raison de la dureté de votre cœur” (sclérocardie) leur dit-il. 

 

      Aujourd’hui, l’acte de répudiation n’existe plus en occident, mais l’ennemi numéro un se présente sous la forme du divorce qui se généralise de plus en plus. Dans les thèses de l’idéologie soixante-huitarde, le divorce aurait dû sauver la femme de la tyrannie masculine. En effet, l’institution matrimoniale, née pour protéger la femme et ses enfants, a été désignée comme la cause principale de son état de servitude.

 

      Ainsi, des jeunes estiment qu’il vaut mieux ne pas se marier, raison pour laquelle ils choisissent la soi-disant union libre, la cohabitation, le contrat à terme, la relation occasionnelle et arbitraire. Mais cette manière de gérer le couple constitue-t-elle un progrès de la liberté, un rapport solide, ou favorise-t-elle un banal désengagement envers l’autre et la société? 

 

      D’après les paroles de Jésus, la répudiation comme le divorce expriment une sclérocardie de l’ego, un moi devenu trop fort, trop dur, beaucoup plus important que le nous qui avait pour mission de protéger. Cette réponse est bien adaptée aux fanatiques religieux de l’époque et aux idéologues actuels des droits civils. 

 

      L’invocation de ces droits ressemble à une prière hypocrite qui banalise la Foi. Ces droits finissent par dissoudre les valeurs qu’ils voudraient préserver. En fait, avons-nous déjà vu une génération aussi capricieuse et gâtée que la nôtre?

 

      De même, l’Église d’aujourd’hui n’a pas encore compris les difficultés d’une personne qui, souffrant d’un divorce, entre dans une situation de fragilité qui l’oblige à se lier à une autre personne. Jusqu’à présent, les prêtres, les pasteurs, les fidèles qui sont dans la règle n’ont pas su donner d’autre réponse que celle-là: ils ne peuvent pas communier. Bien sûr, ils ne peuvent pas. Et alors? (1)

 

      Dans cette page de l’Évangile, Jésus essaie de toute évidence de sauvegarder l’intérêt de la femme, ce qui contraste avec l’incroyable injustice de la répudiation. Et nous, qu’avons-nous fait? Nous avons pris ce texte, dans l’ensemble assez relatif - étant donné qu’il s’agissait d’une situation de controverse sur un problème qui n’existe plus, la répudiation - et nous l’avons mis comme une camisole de force sur les personnes en difficulté à cause des problèmes de mariage. Ce faisant, nous sommes tombés dans la même sclérocardie que Jésus reproche à ses adversaires.

 

      Heureusement, un petit miracle commence à apparaître, et nous le devons au pape François: avec le Synode de la famille et l’encyclique Amoris Laetitia, la parole a été donnée aux personnes directement concernées, le mari et la femme. C’est la première fois que cela arrive. Il est important d’écouter l’histoire, la souffrance et la colère de ces personnes! 

 

      Les systèmes canoniques ou juridiques sont incapables de réguler la sclérocardie ou la voracité de l’ego. Ce n’est pas la direction à prendre. Par ailleurs, certaines nouvelles lois actuelles sur le mariage et la famille, sont parfaitement inutiles ou superflues, car elles répondent aux intérêts et aux craintes d’une société obsédée par l’affirmation des droits individuels.

 

      Ainsi, au lieu de perdre du temps sur les questions insolubles d’un ego qui veut tout pour lui-même, ne vaudrait-il pas mieux essayer de comprendre le plan originel de Dieu, celui de la seule chair? Quelle est cette seule chair? Une métaphore poétique? Un plan divin? C’est dans cette direction - indiquée par Jésus - que nous devons chercher. Et nous n’avons encore rien dit!

 

      1) Il y a des curés et des pasteurs d’âmes qui, bien formés à la défense de la dictée tridentine (1545; 1562), ont été pris au dépourvu par la vague de la sécularisation moderne, éloignant ou marginalisant les personnes en difficulté, exacerbant leur douleur

                                                                                                 

      Amen 

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IL N’EST PAS L’UN DES NÔTRES

Année B - XXVI Ordinaire (Mc 9, 38-48)                                                                                

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue; Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “ ‘Maître, nous avons vu quelqu’un expulser les démons en ton nom; nous l’en avons empêché, car il n’est pas de ceux qui nous suivent’. Jésus répondit: ‘Ne l’en empêchez pas … celui qui n’est pas contre nous est pour nous’ ” 

      

      Dans l’Exode, lorsque Moïse a placé l’Esprit de prophétie sur la tête de soixante-dix anciens, ils ont prophétisé, mais une seule fois. En dehors du camp cependant, le même Esprit reposa sur deux anciens qui n’avaient pas reçu l’investiture officielle, et ils commencèrent à prophétiser plusieurs fois et avec succès. Le jeune Josué, acolyte de Moïse depuis l’enfance, pris d’un excès de colère, souhaite une intervention de censure: arrête-les! Moïse lui répond: “Serais-tu jaloux pour moi? Ah! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes!” (Nb 11, 29) 

 

      Quelque chose de semblable se produit dans l’Évangile: les apôtres interdisent à quelqu’un de chasser les démons au nom de Jésus, car il n’est pas l’un des nôtres, il ne fait pas partie de notre groupe. Ils n’admettent pas qu’un étranger fasse du bien au nom de Jésus. Jalousie? Esprit de rivalité?

 

      Voici une typique attitude d’esprit de clocher qui caractérise tout mouvement fondamentaliste: ils ne sont pas des nôtres! Parfois, nous créons également des barrières artificielles entre nous et les autres, nous fixons des bornes pour définir les limites et les compétences que les autres ne doivent pas se permettre de toucher ou d’usurper. 

 

      Imaginons le cas d’un groupe paroissial formé dans un but particulier. Au fil du temps, les membres de ce groupe commencent à croire qu’ils ont l’exclusivité, au point de ne plus reconnaître le bien que les autres font. Ils craignent la concurrence des autres associations, ils ont tendance à dévaluer les actions faites hors de leur groupe. Avec une telle attitude, des chemins singuliers se créent dans l’Église et, sous prétexte d’un charisme particulier reçu de l’Esprit, ils empruntent une voie parallèle à celle de l’évêque, garant de l’unité. Inutile de dire qu’après un démarrage sensationnel, ce beau mouvement s’éloigne de son but et dégénère parfois en une sorte de secte. 

 

      Même au niveau des hautes hiérarchies académiques et religieuses, cette même erreur de Josué et Jean se répète: ceux qui détiennent les clés d’un poste important finissent par croire que la vérité ou la sainteté est l’apanage d’une classe de spécialistes ou d’élus. En réalité, celui qui enferme l’Esprit dans un mouvement, une classe, un groupe ou un discours, avec l’illusion de maintenir la pureté de la foi et de la tradition, finit mal tôt ou tard. Il ne faut jamais trop s’enthousiasmer pour tel prêtre, tel frère ou tel initiateur d’un événement sacro-saint: tout bon vin, mal conservé, peut tourner au vinaigre.

 

      L’Exode parle d’un esprit de prophétie, et l’Évangile des démons et des exorcismes. Qu’est-ce que ça veut dire? Au nom de la rationalité et de la méthode scientifique, l’homme moderne ne croit plus au monde des esprits. Mais ces esprits, exclus de la culture officielle, reviennent plus tard à travers la mode, le cinéma, le roman, la bande dessinée, l’art, la fantaisie, les séances médiumniques ... Certaines personnes ne croient plus en Dieu, mais en dépit de la modernité elles sont prêtes à croire n’importe quoi!

 

      Pour les anciens Pères de l’Église, les esprits sont nos propres pensées, vices et vertus, identifiés à des péchés (esprit de fierté, de jalousie, de rivalité ...) ou à de bonnes dispositions (esprit de service, de famille et ainsi de suite ...) Les esprits sont nos façons de penser et d’agir.

 

      Lorsque l’Évangile dit que Jésus exorcise (chasse) les mauvais esprits, cela signifie donc que le mal se cache dans nos propres pensées. La ligne qui divise le bien et le mal ne passe pas entre moi et les autres, mais déjà dans mon cœur, à travers moi, dans mon propre esprit. Ce n’est pas que les hommes soient divisés en bons et mauvais: le bien et le mal sont des programmes qui s’installent en moi à partir de mes actions, de mes choix et de mes dispositions. 

 

      Dans l’Évangile d’aujourd’hui, Jésus tire également de son côté ce gars qui n’était pas “l’un des nôtres”. Celui qui se consacre au bien et à la promotion de l’être humain, quel que soit le sigle ou le drapeau auquel il s’identifie, est déjà à ses côtés. Heureusement, d’autres font aussi le bien, et celui qui fait le bien, il est des nôtres!

 

      Amen

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DE QUOI DISCUTIEZ-VOUS?

Année B - XXV Ordinaire (Mc 9, 30-37)                                                                                 

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Jésus leur demanda: ‘De quoi discutiez-vous en chemin?’ Ils se taisaient, car, en chemin, ils avaient discuté entre eux pour savoir qui était le plus grand. Jésus appela les Douze et leur dit: ‘Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous’ ”  

 

      Traversant la Galilée, dans le cercle des quelques amis proches, Jésus annonce sa Pâque: “Le Fils de l’homme est livré aux mains des hommes; ils le tueront et, trois jours après sa mort, il ressuscitera”. Une parole qu’ils ne comprennent pas, et qu’ils ne sont même pas intéressés à mieux comprendre: au cours du chemin, ils discutent complètement d’autre chose. Quand ils ont atteint leur destination, Jésus leur demande ce qu’ils avaient à dire de si important en chemin, et eux, embarrassés, se sont tus. Leur  problème était de savoir qui était le plus grand d’entre eux. Un peu plus loin, malgré les reproches de Jésus, Jacques et Jean reviennent sur le sujet et lui demandent de pouvoir être assis l’ un à sa droite et l’autre à sa gauche dans le Royaume qu’il va établir. Cette demande  suscite l’indignation des autres.

 

     On voit bien que les apôtres sont particulièrement sensibles à cette question. Ils pensent que Jésus va à Jérusalem pour prendre la place d’Hérode. En voyant les miracles qu’il fait et les foules qu’il a mises en mouvement, ils espèrent occuper les premières places dans le royaume messianique. Une sorte de lotissement ou de division préalable du pouvoir. Il semble que Jésus n’ait pas réussi à former ses disciples les plus proches: en plus de l’incompréhension fondamentale de son identité messianique (ils espéraient un messie politique), l’un est sur le point de le trahir, un autre de le nier, et les autres de l’abandonner. Ce n’est qu’avec le bain de feu de la Pentecôte que les apôtres comprendront les paroles de Jésus, mais pour l’instant ils ne souhaitent qu’être les premiers.

 

      Ce sont des choses qui se produisent également parmi nous, dans les hautes sphères politiques comme dans les petites communautés. Si Jésus venait aujourd’hui et nous posait la même question, que répondrions-nous? De quel genre sont nos discussions?  Parlons-nous du Royaume de Dieu ou du pouvoir que nous prétendons exercer sur les autres?

 

      Platon se plaint que les familles de son époque (nous sommes entre le IIIe et le IIe siècle avant JC) n’apportent pas l’éducation nécessaire à leurs enfants. Au lieu de doctrines solides, de mauvais discours se répandent dans les foyers, entraînant une mauvaise éducation des jeunes et par conséquent de mauvais gouvernements. En effet, un discours malsain produit la même maladie, aussi bien dans l’âme de l’auditeur que dans l’ensemble de l’État (Timée, 87 A-B)

 

      Puisque le plus souvent, tout seuls, nous échouons dans nos objectifs, nous nous associons volontiers à un groupe, une équipe, un parti, une Église, une figure charismatique. Si nous pouvions filmer l’humanité des hauteurs du ciel, nous verrions une immense foule de gens qui, en sautant sur la pointe des pieds, tentent de dominer, en frappant et en écrasant les pieds des autres. Il semble que les hommes sur la scène du monde ne font que s’agiter pour se faire remarquer, ne fut-ce qu’un seul instant, comme dans un gigantesque programme “The voice - La plus belle voix”, par peur de disparaître. On dirait qu’ils veulent dire: regardez-moi, je suis là aussi! 

 

      En réalité, Jésus nous invite à exceller dans le service: “Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous”. Comme les apôtres, Jésus nous autorise donc à chercher la première place, mais pas dans le sens que nous entendons. S’il venait aujourd’hui, il nous demanderait: quel discours faites-vous chez vous? Qu’est-ce que vos enfants entendent lorsque vous vous  leur parlez?

 

      Amen

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AU DIRE DES GENS QUI SUIS-JE?

Année B - XXIV Ordinaire (Mc 8, 27-35)                                                                                

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Chemin faisant, il interrogeait ses disciples: ‘Au dire des gens, qui suis-je?’ Ils lui répondirent: ‘Jean le Baptiste; pour d’autres, Élie; pour d’autres, un des prophètes’. Et lui les interrogeait: ‘Et vous, que dites-vous? Pour vous, qui suis-je?’ ”

      

      Nous sommes à mi-chemin de la vie publique de Jésus, sa prédication prodigieuse a atteint de grandes foules. Il est temps de faire le point. Le Maître veut savoir de la bouche de ses amis proches ce qui se dit autour de lui. Il y a beaucoup d’opinions, les gens sont prêts à croire n’importe quoi, même qu’il est un prophète revenant. Aujourd’hui encore, au niveau de l’opinion publique, les idées que l’on peut entendre sur Jésus sont parmi les plus diverses: Est-il un réformateur religieux ou  un prophète subversif? Un maître de la morale ou un idéaliste exagéré? Un grand homme ou  un dangereux meneur de foules? Une réincarnation de Bouddha ou un précurseur de Mahomet? 

 

      Il y a ceux qui le considèrent comme un fasciste. En effet, Jésus souhaiterait appliquer la Loi jusqu’au dernier paragraphe: “Pas un seul iota, pas un seul trait ne disparaîtra de la Loi jusqu’à ce que tout se réalise” (Mt 5, 18). Mais  certains le voient comme un communiste, quand il dit: “Aimez-vous les uns les autres” (Jn 15, 12). Il y a ceux qui le considèrent comme un pacifiste: “Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix” (Jn 14, 27), d’autres  comme un violent: “Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive” (Mt 10, 34). 

 

      Il y a eu aussi ceux qui veulent tirer des conclusions sur l’orientation sexuelle de Jésus, avec cette histoire de Madeleine, ou celle du disciple préféré, ou bien avec cette expression très suspecte de nos jours: “Laissez les enfants venir à moi …” (Mc 10, 14). Il y a toute une foule de gens qui s’autorisent à imaginer un Jésus sur mesure qui endosse leurs passions religieuses, politiques et sexuelles. Au lieu de se convertir eux-mêmes, ils voudraient convertir Jésus.

 

      Jésus et Jean-Baptiste avaient prêché presque simultanément, à différents endroits, avec des messages différents, ils étaient cousins de sang, pourtant, dans les sondages, les gens les confondaient. Sous les projecteurs de l’opinion publique - encore aujourd’hui - il y a une grande confusion de visages, de personnages, de faits. De même, il est facile de confondre l’Église avec une association ou une organisation humanitaire. Si nous disons que nous travaillons pour la protection de la nature ou des forêts tropicales, on nous dira: bravo, mais si nous commençons, par exemple, à parler d’une origine divine de l’Église, ce discours ne fait pas audience.

 

      Dans l’univers des opinions qui divisent, il n’y a donc pas de christologie partagée, mais Jésus ne semble pas vouloir s’en inquiéter. Son intérêt n’est pas de mesurer son niveau d’audience. La mission qu’il dit avoir assumé ne dépend pas de sa cote de popularité. Son but est ailleurs, et il insiste en fait sur une seconde question inattendue: “Mais vous, qui dites-vous que je suis?” Pierre répond au nom de tous: “Tu es le Christ!” Si auparavant, pour répondre à la question, il suffisait simplement de regarder autour de soi et de recueillir les opinions des autres, maintenant les disciples sont obligés de regarder à l’intérieur d’eux-mêmes et de donner une réponse personnelle. La Foi ne se décide pas sur la scène, mais dans l’intimité de son être!

 

      Parfois, nous regardons autour de nous et comptons le peu qui reste de notre communauté. Il y a des prêtres qui, lorsqu’ils voient le dimanche les bancs à moitié vides, tombent dans la dépression, comme si le succès du Royaume dépendait du nombre de soldats. En réalité, la question doit être posée autrement: est-ce que ce peu de sel qui reste est bon, ou est-il périmé? Jésus ne nous demande pas des chiffres, mais il nous appelle à être comme le levain. 

 

      Le problème n’est pas de savoir combien nous sommes (nous ne serons toujours pas assez nombreux par rapport aux besoins): il s’agit de voir si on met du sel, si on met de la levure dans la pâte humaine. La chose n’est pas facile! On le voit même dans la réponse de Pierre qui, après avoir prononcé  la belle déclaration: “Tu es le Christ!” s’oppose ensuite quand Jésus commence à prophétiser sur le sort qu’il  trouverait à Jérusalem! Jésus le lui reproche sévèrement: “Passe derrière moi, Satan! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes”.

 

      Après une intense profession de Foi, le même homme se laisse envahir par un doute immense! Pierre pensait qu’à la suite du Messie, il deviendrait ministre  dans son Royaume. En fait, il a mal calculé, il a fait une erreur politique: ce Jésus-Messie lui promet un Royaume complètement différent, une voie complètement différente.

 

      Le sort du Royaume dépend donc de la réponse que je donne personnellement: qui est le Christ pour moi? Est-ce que c’est à moi de lui ressembler, ou c’est à lui de me ressembler?

  

        Amen

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EFFATA’, OUVRE-TOI

Année B - XXIII Ordinaire (Mc 7, 31-37)                                                                                

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue; Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Des gens lui amènent un sourd qui avait aussi de la difficulté à parler, et supplient Jésus de poser la main sur lui. Jésus l’emmena à l’écart, loin de la foule, lui mit les doigts dans les oreilles, et, avec sa salive, lui toucha la langue. Puis, les yeux levés au ciel, il soupira et lui dit: ‘Effata!’, c’est-à-dire: ‘Ouvre-toi!’ ” 

 

      Il y a différents types de surdité. Premièrement, la maladie physique: en présence d’un sourd, les gens normaux doivent répéter tout ce qu’ils disent, accentuer les mouvements des lèvres, effort supplémentaire qui peut provoquer un certain agacement. Il y a ceux qui font des clins d’œil dans le dos d’un sourd, qui s’amusent sur des équivoques de la communication, tout en humiliant le pauvre homme. Il est bien facile de rire et plaisanter aux frais de quelqu’un qui est dur d’oreille. Voilà pourquoi le sourd est si méfiant, il est amené à croire que les autres parlent mal de lui, qu’ils se moquent de lui.

 

      Ensuite il y a une surdité sélective, ceux qui font la sourde oreille quand ça les arrange, comme les commerçants qui marchandent les prix, ou comme les enfants qui n’entendent bien que quand ça leur convient. Mais parfois il est aussi bien de faire la sourde oreille, comme par exemple lorsque quelqu’un cherche à entraîner quelqu’un d’autre dans un gain mal acquis, ou dans une conversation en laquelle on parle mal d’une tierce personne absente. Même entre conjoints et amis, il y a des occasions où il vaut mieux laisser tomber des paroles dans le vide, comme si elles n’avaient jamais été prononcées.      

 

      Enfin, il n’y a pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre. Nous sommes en présence de la pire des surdités, celle de l’esprit, une surdité qui se traduit en indifférence envers le prochain, en insensibilité aux appels de la Grâce d’en Haut. Nous savons tout du marché des transferts sportifs, nous connaissons dans le moindre détail les exploits de tel joueur de tennis, nous suivons toutes les pages du carnet rose de la chronique mondaine, et nous ne prêtons qu’un minimum d’attention aux choses qui regardent notre salut.

 

      Ignace de Loyola était un capitaine de l’armée espagnole, mais une malheureuse écharde le blessa au genou et il perdit la bataille. Forcé de rester au lit, il lut la vie de Jésus et des Saints, mais ce ne fut pas vraiment cela qui le convertit. Il changea de vie au moment où il commença à se mesurer aux pensées qui lui venaient la nuit. Il comprit que sa tête était comme un champ de bataille dans lequel s’affrontaient des pensées - ou des esprits - divers. Deux armées de pensées qui se disposaient l’une contre l’autre. D’où la nécessité d’apprendre à distinguer les pensées-amies des pensées-ennemies, les bonnes des mauvaises. Ici naquit le discernement des esprits, qu’Ignace nous a transmis dans ses exercices spirituels. Comme un soldat s’exerce et se prépare à la bataille, nous aussi nous pouvons pratiquer des exercices intérieurs, pour être prêts à faire face à l’ennemi qui se cache dans nos propres pensées. En effet, le discernement des esprits est le début de la vie spirituelle, qui est comme un exploit, un championnat, une bataille qui n’assure pas forcement la victoire. Ignace apprit à reconnaître une pensée en particulier, cette pensée douce, silencieuse, qui envahit le cœur et transforme la personne: la voix de Dieu qui parle en nous. 

 

      Cela nous fait penser à l’expérience mystique d’Elie, ardent de jalousie, sur la montagne de l’Oreb: il y eut un ouragan si violent, qu’il brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan; il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’y était pas; il y eut un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu; enfin, le murmure d’une brise légère: c’était Dieu, et il lui parlait! (1 Rois, 19, 12). 

 

      L’expérience d’Elie était une polémique qui visait la personnification et la divinisation des puissances naturelles (contre Baal, le dieu du tonnerre et de la pluie), mais encore aujourd’hui on voit des gens qui cherchent le contact avec la sphère divine en contemplant la nature, en faisant un bain de forêt, par exemple, en embrassant un arbre ou en admirant les phénomènes célestes. 

 

      Rien à dire, ce sont des expériences sensorielles intéressantes et qui donnent aussi des résultats satisfaisants pour le bien-être, mais il n’y a rien de divin, en cela. Les gens ne se rendent pas compte que la nature, si on la regarde un peu de plus près, est le règne de la compétition et de la violence, une bouffe perpétuelle des êtres plus grands aux frais des plus petits dans la chaîne alimentaire, ou au contraire des milliers de petits parasites bien organisés aux frais d’un gros pachyderme ou animal supérieur.

 

      Jésus n’a pas besoin d’improbables forces cosmiques: il se limite à toucher la langue du sourd-muet, il entre en relation avec lui, il frappe à la porte de son cœur, tout en suscitant un changement: ouvre l’oreille, desserre les lèvres, parle correctement! 

 

      La discipline et le filtre de l’oreille - l’écoute de la Parole - constitue une bonne écologie du cœur et de la vie! Chaque dimanche qui nous ouvre une page d’Écriture, c’est Dieu qui nous parle, nous invite, nous séduit: il ouvre nos oreilles et guérit notre désordre de sourds-muets spirituels!  

 

                 Amen

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PUR ET IMPUR

Année B - XXII Ordinaire (Mc 7, 1-8. 14-15. 21-23)                                                              

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue; Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Jésus leur répondit “Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, ainsi qu’il est écrit: Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte; les doctrines qu’ils enseignent ne sont que des préceptes humains’ ”

 

      Voici une nouvelle polémique de Jésus, issue d’une observation banale des pharisiens: “Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens? Ils prennent leurs repas avec des mains impures”. Les pharisiens sont obsédés par le concept de pureté rituelle, ils adoptent donc des précautions précises contre tout type de contamination. De retour du marché, par exemple, ils font des ablutions pour secouer toutes les impuretés accumulées au contact des gens. Avant de manger, ils se lavent les mains jusqu’au coude (malheur si on ne se limite qu’au poignet!). Ils adoptent des prescriptions rituelles scrupuleuses même pour laver la vaisselle et les objets en cuivre. En bref, ils s’accrochent aux minuties externes et ignorent l’essence de la religion.

 

      Qu’est-ce que la religion? Les prophètes la font consister dans l’écoute de la Parole de Dieu et l’observance de sa Loi. Dieu a donné une Loi (Torah) pour indiquer à l’homme la voie à suivre: “Maintenant, Israël, écoute les décrets et les ordonnances que je vous enseigne …” Mais avec le don, il y a aussi le grave danger de l’altération, car Dieu avertit expressément: “Vous n’ajouterez rien à ce que je vous ordonne, et vous n’y enlèverez rien, mais vous garderez les commandements du Seigneur votre Dieu tels que je vous les prescris” (Dt 4, 1-2)

 

      Dans cette injonction, nous voyons déjà la tentation de se perdre dans la lettre, d’exalter la lettre, de tomber dans le légalisme, le formalisme, le ritualisme, le vide extérieur. Et en fait, c’est ce qui se passe: des préceptes humains secondaires (comme ne pas manger avec les mains sales) ont été ajoutés et ont acquis la même importance que la loi de Moïse, tandis que les choses essentielles de la Loi (par exemple, les soins aux orphelins et aux veuves) ont été laissées de côté.

 

      Les prêtres, par exemple, évitaient le contact avec le sang et les cadavres, ce qui les rendrait impurs, c’est-à-dire inaptes au service du Temple. Dans l’épisode du bon Samaritain, nous trouvons un prêtre qui ne daigne pas aider un pauvre homme battu et jeté par terre. Il a certainement passé devant non pas à cause d’un manque d’humanité, mais à cause d’un concept erroné de service divin. Il pensait que quelqu’un d’autre s’en occuperait. Lui, il devait se dépêcher, occupé au service du Temple. Jésus réalise une authentique révolution: il affirme qu’il n’est pas possible de servir Dieu sans s’occuper d’abord de l’homme, et il déplace l’axe de la religion de l’extérieur vers l’intérieur.

      

      En fait, Jésus annule ces traditions humaines et ramène tout au cœur, à la conscience: “Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur”. Les choses qui sortent de l’homme sont les suivantes: prostitution, vols, meurtres, adultères, cupidité, méchanceté, tromperies, envie, calomnie, orgueil, folie ... Jésus fait une liste de tous les maux du monde, de toutes les choses qui viennent de l’intérieur de l’homme! Ce qui fait mal à l’homme vient de son cœur même!

 

      Un fait  similaire aux scrupules des pharisiens se produit également aujourd’hui, dans les fanatismes de la santé ou dans les idéologies déguisées en religion, comme la Scientologie, qui fait avancer un message salvifique fixé sur l’idée de propreté

 

      La Scientologie dit que l’homme est sale parce qu’il est infecté par des engrammes négatifs, des présences ou des souvenirs inconscients d’expériences douloureuses du passé, qui doivent être mis en lumière pour guérir et redevenir propres. Même dans le langage courant, nous entendons, par exemple, que pendant la journée nous absorbons la négativité des autres, et nous avons besoin de pratiques spéciales pour décharger ces négativités. Il y a des gens obsédés par ces types de contact, par ces négativités. Il s’agit d’une version modernisée et corrigée de l’ancien mauvais œil. Il existe de nombreuses idioties de ce genre, qui se présentent avec les références de la religion, de la science ou de la psychologie.

 

      Selon cette polémique de Jésus avec les pharisiens, le négatif ne vient pas de l’extérieur, mais il naît en nous. La nourriture n’a pas le pouvoir de contaminer la conscience, mais ce sera une conscience imprudente d’abuser de la nourriture! Le mauvais œil des autres n’a pas le pouvoir de gâcher mon âme, tout au plus, ce sera le regard que je jette sur les autres qui brouillera mon cœur! C’est clair: ce qui vient de l’extérieur n’a pas le pouvoir de contaminer l’intérieur, et nous ne pouvons redevenir propres et positifs que grâce à notre changement intime, à notre conversion personnelle. Voulons-nous assainir le cœur? Alors pas de critiques, pas de potins, pas de jugements et pas de murmures!

      

      Bien sûr, cela vous fait sourire en pensant aux pharisiens qui ont élevé les scrupules alimentaires à la dignité de prescription religieuse, mais nous ne nous rendons pas compte que nous tombons plus ou moins dans le même piège. Nous sommes indignés par les produits périmés et les aliments gâtés qui finissent sur nos tables, mais nous ne pensons pas aux mots faux, tranchants ou mensongers qui sortent de notre bouche. Nous sommes préoccupés par la pollution de l’air et les changements climatiques, mais nous n’accordons pas la même attention à la pollution de la morale et aux manipulations de la vie humaine. Nous ressentons un mécontentement sincère pour les oiseaux de mer qui sortent des eaux polluées couverts pétrole, incapables de voler, mais nous n’avons pas le même sentiment envers certaines précocités de nos enfants gâtés et ternes, envers cette couverture de malice qui s’étend à tout aspect de la vie.

 

      Nous nous contentons d’apparences extérieures, croyant que nous sommes beaux, justes et religieux, et pourtant notre cœur est loin de Dieu. Qui sait où vont nos prières, qui sait quel abîme nous sépare de Lui? Pour cette raison, Jésus exige une écologie du cœur, une guérison du cœur qui est à la source de tout. C’est à partir de là que vient tout ce qui est mauvais et pécheur.

 

      Dans la nature, il n’y a rien de mal, au contraire: à la fin de son travail, le Créateur a vu et a dit avec satisfaction “que cela était bon” (Gen 1, 10). La distorsion du mal (donc toute négativité) vient de notre liberté. Il n’y a donc qu’un seul coin de l’univers que je dois me soucier de garder propre, et cela dépend de moi: mon cœur, ma famille, ma petite sphère de vie. À ce stade, nous pouvons même nous demander quel est le vrai culte, quelle est la vraie religion. Le christianisme, le bouddhisme ou l’islam?

 

      St. Jacques le dit bien, dans la première lecture: “Devant Dieu notre Père, un comportement religieux pur et sans souillure, c’est de visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, et de se garder sans tache au milieu du monde” (Jc 1, 27)

 

      Amen

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SEIGNEUR, À QUI IRIONS-NOUS?

Année B - XXI Ordinaire (Gv 6, 60-69)                                                                                   

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

       “Alors Jésus dit aux Douze: ‘Voulez-vous partir, vous aussi?’ Simon-Pierre lui répondit: ‘Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle’ ”

 

      Alors que Jésus, discutant avec les Juifs, prononçait son discours sur le pain de vie, beaucoup de ses disciples sont restés en silence. Maintenant, eux aussi entrent en scène et expriment leur perplexité: “Cette parole est rude! Qui peut l’entendre?” C’est une parole impensable, incompatible. Sa chair à manger? Bien sûr, les fidèles du Temple de Jérusalem consomment la chair des animaux sacrifiés, mais voici qu’il semble que le Maître leur demande de manger la chair d’un homme ... comme s’il s’agissait d’un morceau de boucherie, chose qui est folle et horrible. Ils l’avaient suivi quand il a fait des miracles, mais maintenant l’enthousiasme se refroidit, ils s’en vont. D’un autre côté, Jésus ne change rien à ses paroles et il n’essaie pas même de mieux les expliquer. Il place la hache à la racine de la Foi, là où dans l’âme l’acceptation ou le rejet surgit.

 

      On se demande pourquoi, au lieu de ces discours étranges, Jésus une fois pour toutes, ne serait-ce que pour un instant, ne montre-t-il pas sa gloire de Fils pour consoler les bons et convertir les mauvais? En réalité, si Jésus se montrait dans toute sa puissance, on ne peut pas dire que les hommes l’accueilleraient mieux, au contraire: ils répondraient avec un nouveau chœur d’hostilité et de blasphèmes. Dans l’Ancien Testament, il est dit que Dieu cache son visage, il est appelé le Dieu caché, sinon les hommes mourraient écrasés par leurs péchés. En fait, avons-nous jamais vu un voleur ou un adultère qui, pris en flagrant délit, se penche pour s’excuser du dérangement? Et où Dieu trouverait-il, dans les cœurs les plus sombres abandonnés au péché, ce minimum de respect qui les ferait s’agenouiller et demander pardon?

 

      En vérité, Dieu a déjà montré son visage dans celui de Jésus, le Fils de l’homme, et comment cela s’est-il terminé? Il a été moqué, humilié, trahi, capturé, jugé, piétiné, maudit, condamné, laissé seul, crucifié et tué. S’il revenait, les hommes réagiraient-ils différemment? Seuls ceux qui ont un cœur de paix peuvent voir Dieu. Pour Jésus, les cœurs purs le voient déjà! Pour cette raison, Jésus n’essaie même pas de retenir ses disciples, et il met également les Douze dans une situation difficile: “Voulez-vous partir, vous aussi?” D’où la réponse confiante de Pierre: “Seigneur, à qui irions-nous? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint de Dieu”.

 

      Ce même discours qui a repoussé la majorité des gens, confirme la Foi des quelques-uns restés encore à l’écoute. “Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus” (Mt 22, 14). Jésus ajoute: “N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze? Et l’un de vous est un diable!” Terrible: le déni et le rejet auraient contaminé même le groupe des Douze! La crise n’aurait même pas épargné les quelques amis proches! La vie chrétienne, ou sequela Christi (à la suite du Christ) est un chemin de crise. La crise peut être résolue dans la tiédeur, l’opportunisme, le pharisaïsme, l’éloignement, l’abandon, la perte de foi et l’apostasie de masse, comme le montre Jean dans ses écrits. 

Dans le passé, nous avons été chrétiens plus par coutume et par tradition que par choix personnel. D’autres ont choisi pour nous, et nous nous sommes limités à accepter la Foi comme quelque chose de déjà fait, comme un discours déjà clos. C’est pourquoi le Christ nous provoque de temps en temps: “Voulez-vous partir, vous aussi?” Le monde choisit ses maîtres. S’ils font rire et s’amuser, tout le monde les suit. Mais avec le Christ,  c’est différent: on ne l’a pas choisi, c’est lui qui nous a choisis, et il nous laisse même libres de partir!                                                             

 

      Amen

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LE MAGNIFICAT

Assomption (Lc 1, 39-56)                                                                                                        

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

par Andrea De Vico, prêtre                                                                                                                       

correction française: merci à mes amis

 

 

 

      “Mon âme exalte le Seigneur, exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur!”

 

      Marie, cette jeune femme de l’Évangile d’aujourd’hui, âgée de quinze ans, fait preuve d’une compréhension de l’histoire humaine à la hauteur du vieil homme qui raconte les visions de l’Apocalypse! Malgré les apparences contraires, elle voit les orgueilleux qui sont confus dans leurs propres pensées, les puissants qui sont renversés de leurs trônes, et les riches qui sont renvoyés les mains vides, tandis que les humbles sont élevés et les affamés sont comblés au-delà de toute imagination. C’est le regard de Marie, mais c’est ainsi que Dieu voit l’histoire humaine! Il y a des gens qui, avec toute leur expérience et leurs études, prétendent connaître le monde. Cette humble jeune fille les a tous surpassés! Comment cela se passe-t-il?

 

      On peut bien penser que la raison est un don de Dieu. Toute sagesse vient du Seigneur Dieu. Nos lacunes dans l’intelligence sont le résultat naturel de notre décadence dans la grâce et l’honnêteté. En perdant la Grâce, nous avons repoussé la Sagesse. 

 

      Un philosophe du XIXe siècle (Soren Kierkegaard) compare les hommes de son temps aux passagers d’un bateau de croisière qui ne s’intéressent plus à leur destination, et ne se soucient même plus des communications sur la route du capitaine. Il est plutôt important pour eux de connaître le menu du jour, ce qu’on mange aujourd’hui, déclamé par la voix du chef cuisinier à bord, amplifiée par un mégaphone.   

 

      L'image dépeint bien la situation de l’homme moderne, écrasé sur le présent, incapable de vivre un engagement stable. Un homme qui a supprimé de son vocabulaire des adjectifs tels que: durable, permanent, définitif, et dénaturé des mots tels que: constance, fidélité, résistance. Une fois l’éternité annulée, l’horizon s’est rétréci, l’avenir est devenu plus court. En effet, les jeunes n’ont plus la pensée de leur avenir, ils pensent plutôt à ce qu’il vont faire ce soir après le dîner, dans quelle discothèque se retrouver le samedi, où partir en vacances l’été prochain.

    

      Heureusement, notre vie ne se termine pas par une errance tortueuse et aveugle, avec tant de peines et quelques plaisirs rares obtenus au prix fort de beaucoup de souffrance. La vie n’est même pas une croisière heureuse que le destin essaie de gâcher avec un naufrage fatal, comme sur le Titanic. Nous ne sommes pas destinés à souffrir toute notre vie pour pouvoir profiter lors de notre dernier voyage d’un corbillard de luxe construit sur une voiture que nous n’avons jamais pu nous permettre d’acheter, et pour aller pourrir dans ce mètre cube que nous nous sommes réservé au cimetière!

 

      En fait, la vraie grandeur de Marie n’est pas d’ordre cosmique: elle est bénie parce qu’elle a cru, elle est grande dans la foi. Nous savons bien que dans l’histoire il y a la violence des tyrans, l’effronterie des riches, l’égoïsme des orgueilleux: ces gens qui ont tout, mais ils n’ont pas le pouvoir du dernier mot. 

 

      Notre vie est donc un pèlerinage: incertain, fatigant, douloureux, qui nous voit souffrir, mais l’espoir apparaît dans une destination certaine: le ciel. Le ciel qui est une métaphore du lieu où nous serons libérés des efforts et des douleurs. En regardant la maternité de Marie et de l’Église, essayons de cultiver la constance, la fidélité et la résistance dans le combat de la vie présente, pour mériter la vie future!

 

      Amen

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PAIN DESCENDU DU CIEL

Année B - XVIII Ordinaire (Jn 6, 41-51)                                                                                 

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue; Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Les Juifs récriminaient contre Jésus parce qu’il avait déclaré: ‘Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel’. Ils disaient: ‘Celui-là n’est-il pas Jésus, fils de Joseph? Nous connaissons bien son père et sa mère. Comment peut-il dire: ‘Je suis descendu du ciel?’ ”

 

      Jésus insiste sur ce pain de vie, pour lequel les gens demandent: “Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là!”. Souhait sincère, ou demande ironique? Jean ne le dit pas. Mais comme Jésus cherche à orienter la demande du pain matériel vers le pain céleste, les esprits changent, l’enthousiasme fait place à la suspicion, l’acclamation fait place au sarcasme. Ils ont compris, et ils n’ont pas compris. 

 

    Jésus redit encore une fois que ce pain-là c’est lui-même, affirmation tout à fait déplacée, incroyable! Jésus prétend quelque chose de troublant, d’inouï: le pain dont chaque homme a besoin, le point d’arrivée de toute recherche, la seule possibilité de salut, c’est lui-même! Lui, et pas un autre! Unique condition, la Foi en lui: “qui vient à moi … qui croit en moi …” Jamais personne n’a parlé comme cela. Tous voient, mais très peu croient. Tous ont vu le même signe, mais la plupart des gens l’ont compris à leur manière, au niveau de l’estomac (l’instinct, l’émotion, l’intérêt brut …) Dans l’Évangile de Jean en général, il y a un voir qui se transforme en Foi, et il y a un voir qui ne voit rien et reste incapable d’aller au-delà des faits.  

 

      L’incompréhension se manifeste par la réaction des Juifs, leur déception totale, leur trouble, leur intolérance, leur révolte: nous connaissons bien ce type, il est le fils d’un tel et d’une telle, il est un ouvrier, comment peut-il prendre la place de Moïse et dire: ‘Je suis descendu du ciel?’ Jésus n’atténue pas ses affirmations, au contraire il les redit encore avec insistance: ce pain ici … Ici et pas ailleurs. Qui veut le salut, doit s’adresser à lui. 

 

      Une autorévélation qui touche son origine divine, son venir de Dieu, son style obéissant envers le Père qui l’a envoyé: “personne n’a jamais vu le Père, sinon celui qui vient de Dieu”. Moïse souhaita voir le visage de Dieu, mais un ange lui répondit que personne ne peut voir Dieu et rester vivant (Es 33, 20). Moïse ne put voir Dieu que de côté, tandis que Jésus le voit directement, donc il peut bien affirmer être la révélation, le pain! À prendre, ou à laisser. 

 

      Pour mieux comprendre l’Eucharistie et la proposer aux autres, il ne faut pas partir subitement des théologies et des symboles particuliers qui ont été élaborés à travers le temps. Trop de fois on a vu une Eucharistie chargée des poids lourds de la moralité, de la sacralité et de la traditionalité. Il y a eu des moments où l’on n’avait qu’un seul souci théologique: montrer et convaincre les autres que que ce pain-ci est vraiment, est réellement le corps du Christ. 

 

      L’offre du Christ a été ainsi chosifiée. L’Eucharistie a fini par devenir une sorte de récompense pour les enfants sages, un certificat de bonne conduite pour les adultes, une attestation morale, une manière de se sentir bien avec soi-même et gagner son petit coin de paradis: je suis bien, je n’ai rien à me reprocher, donc je participe à la communion. Il y a plus que ça dans l’Eucharistie, beaucoup plus que ça! 

 

      Au fil de ces derniers dimanches, nous avons reçu des suggestions diverses qui ont un rapport avec l’Eucharistie: la compassion de Jésus envers les foules déprimées, l’enseignement qu’il leur adressait, le miracle du partage, le rapport entre la génération des pères et celle des fils, l’attente des gens, le messianisme politique, l’orientation possible du désir humain, la révélation de sa personne, la Foi en lui, son rapport avec le Père, la plénitude de vie qui vient de lui … 

 

      Nous avons redécouvert le lien entre Eucharistie et liberté. On pourrait ouvrir un deuxième chapitre sur Eucharistie et fraternité. Si “ma nourriture est de faire la volonté du Père”, et nous sommes tous frères par le moyen du Christ, il serait très intéressant de travailler pour dénicher et destituer le Big Brother qui à nos jours s’est installé pour manipuler la vie de ses semblables, après le refus moderne de toute autorité paternelle. 

 

      La troisième démarche sera encore plus ardue: Eucharistie et égalité, dans un monde post-moderne à voir avec sympathie, mais aussi avec les outils de la vieille critique. Il s’agit d’un monde qui cherche à rétablir le droit et anéantir toute discrimination par le moyen d’un aplatissement général qui concerne la famille, la sexualité et la planification totalisante de la vie biologique, qui toutefois demeure une vie humaine.

 

      Ces sont des choses vertigineuses, mais pour le moment contentons-nous de boucler la boucle là où nous avons commencé il y a quatre semaines. L’Eucharistie est une vie pleine, une vie en abondance, une vie ressuscitée, une vie éternelle qui commence dès maintenant. 

 

      Donc il n’y aurait pas de place pour les vacances. C’est quoi ce vacat, ce vide d’activité, de responsabilité, voire d’humanité? Pour la Liturgie qui ne s’offre jamais de vacances, “le ciel et la terre sont remplis de ta gloire”, donc ce vide n’existe pas. Un chrétien qui mène sa vie de prière ne connaît pas ce vide, il n’a pas l’impression qu’à un moment donné il s’en va en vacances, mais voit bien son cheminement vers la plénitude. Que dire donc? Bonnes vacances? Mais non: bonne plénitude!      

 

      Amen 

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EUCHARISTIE, PAIN ET LIBERTÉ

Année B - XVIII Ordinaire (Jn 6, 24-35)                                                                                 

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Jésus leur répondit: ‘Amen, amen, je vous le dis: vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés’ ”

 

      Après la multiplication des pains, pour se sauver de l’enthousiasme de la foule, Jésus se déplace sur l’autre rive du lac. Les gens cependant le suivent et font le tour du lac pour le retrouver le jour suivant sa prédication à la Synagogue de Capharnaüm. Jésus semble ne point apprécier la visite, et il engage avec eux un débat surprenant qu’on appelle le discours sur le pain de vie. Le comportement de Jésus envers ces foules est ambivalent. D’un côté, “il fut saisi de compassion envers elles”, parce qu‘elles étaient comme “des brebis sans berger”, jusqu’à faire le signe de la multiplication. De l’autre, il montre ne pas accepter les enthousiasmes faciles, et met en lumière les vrais motifs qui ont poussé ces gens à le chercher. 

 

      Ils se présentent avec une demande à première vue banale: “Rabbi, quand es-tu arrivé ici?” Ils semblent vouloir se donner de l’importance, comme s’ils disaient: tu ne vois pas tout le chemin que nous avons fait pour pouvoir te retrouver? Jésus semble ignorer la demande, et déclare d’une manière très directe qu’ils sont venus le chercher parce que le jour précédent il avait rempli leur estomac! 

 

      En effet, en ce temps-là, les gens attendaient un Messie qui aurait répété le geste de Moïse, celui de faire descendre du pain du ciel. Face au signe que Jésus avait accompli, ils ont dû penser: voilà notre homme, prenons-le et faisons de lui notre roi: nous aurons résolu nos problèmes alimentaires!, tout comme l’avait fait Moïse dans le désert, avec un peuple épuisé par la longue marche. En effet le passage précédent dit que: “À la vue du signe que Jésus avait accompli, les gens disaient: ‘C’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde’ ”.

 

      Jésus saisit la balle au bond, et prépare une réponse simple et complexe à la fois, à partir des faits relatifs à Moïse. Nous savons comme cela se passe en politique: si nous connaissons les adversaires, nous arrivons à lire entre les lignes beaucoup plus de choses que ce qui est vraiment dit. Vous voulez parler de Moise? eh bien, je vais vous contenter! Il y eut un moment où le peuple, libéré de l’esclavage du Pharaon d’Egypte, mais fatigué par le long voyage, commençait à murmurer: “Il aurait mieux valu mourir au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété!” (Exode 16, 3). Le Seigneur laissa tomber des cailles et leur donna la manne, mais ils dédaignèrent la nouvelle nourriture et commencèrent à regretter les oignons d’Egypte. C’est à dire: mieux vaut une marmite pleine, qu’une liberté ardue.

 

      Jésus identifie la génération de Moïse avec sa génération, chose par ailleurs implicitement acceptée par les interlocuteurs. Il n’y a point de différence entre les pères antiques qui vécurent huit-cents ans plus tôt avec Moïse, et leurs descendants actuels. Jésus insinue l’idée que, comme les anciens qui ne comprirent point, aujourd’hui c’est vous qui avez de la peine à comprendre, peuple à la nuque raide! Le passage est brusque: “vous avez pris la peine de me chercher, mais c’était pour rien. Travaillez plutôt pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle” “Et que devons-nous faire pour travailler aux œuvres de Dieu?” “L’œuvre de Dieu, c’est que vous croyiez en celui qu’il a envoyé”. En d’autres termes: Vous dites de chercher la volonté de Dieu? Croyez en moi! Jésus place sa propre personne au-dessus de tout. 

 

      Le passage est capital, c’est là que se joue la Foi: le salut ne vient pas du respect d’une série de rites, d’une tradition ou d’une loi, comme celle de Moïse. Le salut se rapporte à sa personne: c’est lui le pain vivant qui descend du ciel! C’est lui qui en premier a accompli l’oeuvre de Dieu: “Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé!” (Jn 4, 34). L’affirmation de Jésus est déconcertante: “Quel signe, quelle œuvre  vas-tu  faire? Dans le désert,  nos pères ont mangé le pain venu du ciel”. “Au désert, vos pères ont mangé la manne, et ils sont morts”. Le signe de Moïse et le signe de Jésus sont les mêmes signes, mais un était pour la mort, l’autre est pour la vie.

     

      Notre génération ressemble à celle de Moïse et à celle de Jésus. Nous préférons le pain qui tombe de la table des pharaons capitalistes, qui nous poursuivent avec leurs publicités et leur mode de vie, aux aliments que nous pourrions produire avec un travail en toute liberté: mieux vaut une marmite pleine, qu’une liberté ardue. 

 

      On déplore que dans le monde il y a si peu de riches et tellement de pauvres, mais est-ce que cela arrive à cause des pharaons qui veulent tout accaparer, ou à cause du troupeau  inconscient que nous sommes et qui les suivent, disposés à échanger notre liberté pour une ration de foin? Quand les personnes sont en difficulté, elles se vendent facilement pour un rien. La liberté est un exercice difficile, coûteux, pénible. Les gens libres sont rares. Le discours que nous appelons le pain de vie implique et met en cause la liberté de l’homme.

 

      Nous communions à l’eucharistie en nous imaginant être de braves gens qui font leur devoir, en réalité nous ne nous posons pas les vraies questions qui comptent: comment est-ce que nous mangeons notre pain? Est-ce que nous nous sommes vendus à quelques pharaons pour pouvoir être soutenus? Sommes-nous libres de manger notre pain? D’où vient le pain que nous donnons à nos enfants? Le système mondial de distribution de la nourriture offre-t-il aux populations la possibilité de s’en servir en toute liberté?

 

      Il y a des foules de fidèles qui cherchent la résolution des problèmes immédiats et qui laissent irrésolus les vrais problèmes profonds. Il y a une religion des miracles qui cherche les signes forts et une religion qui se limite à satisfaire l’appareil digestif, les besoins les plus élémentaires de la vie. Mais Jésus déçoit brutalement les uns et les autres. Les gens le cherchent pour du pain, mais trouvent un Messie très différent, un Messie qui désoriente et scandalise, un Messie à reconnaître et à accueillir dans la Foi. Nous le verrons dimanche prochain, dans la suite de la polémique.     

 

      Amen 

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LE MIRACLE DU PARTAGE DU PAIN

Année B - XVII Ordinaire (Jn 6, 1-15)                                                                                    

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

        “Jésus leva les yeux et vit qu’une foule nombreuse venait à lui. Il dit à Philippe: ‘Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger?’ ”

 

      On peut parler de la nourriture de deux manières: en quantité, en qualité. Dans le mode quantité on considère les poids, les mesures, les nombres, les économies, les statistiques, et on découvre par exemple qu’une seule nation consomme les deux tiers des richesses de la terre, que des milliers de tonnes de blé sont brûlées pour ne pas baisser les prix, qu’un quart des denrées alimentaires mondiales est jeté à la poubelle. Dans nos familles, le gâchis alimentaire est habituel: c’est presque un devoir social de dépenser, acheter, consommer, jeter, remplacer … 

 

      Dans nos sociétés modernes, on tend à accroître la production, augmenter le nombre des voitures qui circulent, tirer de grands profits, améliorer nos modes de vie, mais on n’y trouve pas son compte: nous nous retrouvons toujours plus oppressés, malheureux, déprimés, ennuyés … Jamais si riches mais jamais si désespérés! De l’autre côté, il est pratiquement impossible de nourrir les innombrables foules qui habitent notre petite planète. Est-ce qu’il y a un tel manque de nourriture? Où trouverons-nous tout le pain dont on a besoin? Peut-on s’occuper de ceux qui n’en ont pas? Est-ce à nous d’y songer?

 

      L’Évangile nous parle d’une multiplication des pains. Il y a un surplus de douze paniers, c’est une chose merveilleuse, mais le vrai miracle, ce n’est pas Jésus qui l’a fait. Après tout, la multiplication est un fait tout naturel qui se produit sans cesse: je mets une graine, j’en ramasse dix, cent, mille … Je casse un atome, et j’en ai cent, cent mille, cent millions qui brûlent … Le vrai miracle, c’est le petit garçon qui a partagé ce qu’il avait, cinq pains dans sa sacoche, le petit déjeuner que sa mère prévoyante avait préparé pour lui. Le miracle du partage!

 

      Dans le mode qualité on voit le côté humain, culturel, spirituel du discours. Par exemple, si je te donne un franc que j’ai dans la poche, et que tu me donnes le tien, le résultat ne change pas: nous avons un franc chacun. Mais si j’ai une idée, que tu en as une autre, et qu’on les partage, pour finir nous aurons chacun deux idées: une richesse partagée! Les choses matérielles, divisées comme des terrains parcellés pour des héritages, diminuent; les choses immatérielles, au contraire, augmentent! La quantité, divisée, diminue; la qualité, divisée, augmente!

 

      Déjà dans le désert, à la première tentation, le diable avait proposé à Jésus de transformer les pierres en pain. Celui qui produit du pain, celui qui en possède, celui qui fixe le prix du pain, aura également le pouvoir de tenir une nation entière en main. La foule de l’Évangile d’aujourd’hui aimerait prendre Jésus et le faire roi, pensant résoudre une fois pour toutes les problèmes alimentaires. Mais Jésus se dérobe, se réfugie sur la montagne, seul, pour prier, pour converser avec le Père, conformément à la formidable réponse donnée au tentateur: “L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu” (Mt 4, 4). Nous avons donc non seulement un estomac à remplir, mais aussi un esprit qui a besoin de vérité, un cœur assoiffé d’amour, un désir d’une vie pleine, ou ressuscitée, ce qui est la même chose.

 

      L’objet de l’Eucharistie est bien là: une Parole qui se fait chair, Verbum Panis. Chaque fois, nous célébrons une Parole qui devient Pain, qui se donne à tous, qui devient viatique au sens ancien du mot: provision pour le voyage, pour avoir du soutien le long du chemin que nous avons à faire. Que puis-je faire face aux gigantesques problèmes alimentaires du monde? C’est très simple:  comme le petit garçon de l’Evangile, je dois partager le peu que j’ai et opérer le miracle du partage sans lequel Jésus n’aurait pas pu faire son geste de multiplication. 

 

      Ce miracle est aussi très intéressant pour la vie de nos familles, de nos paroisses. Si nous avons beaucoup d’argent, celui-ci ne suffira jamais pour ce qu’on voudrait en faire. Mais si nous avons de petits moyens, ils suffiront si on les partage en vue d’une tâche commune.  Et il en restera même encore en réserve!

 

      Amen

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