LA PREMIÈRE PAROLE

Année A - II Ordinaire - (Mt 4, 12-23)                                                                                     Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes par Andrea De Vico, prêtre                                                           correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière. Sur ceux qui habitaient dans le pays et l’ombre de la mort, une lumière s’est levée”

 

      L’arrestation du Baptiste marque un tournant dans les Évangiles: Jean termine son ministère et Jésus commence le sien. Sur cette page, nous le voyons retourner en Galilée après quarante jours de solitude. Plus tard, nous verrons que chaque choix important fait par Jésus sera précédé d’un temps d’isolement et de prière. Dans le désert, Jésus constate la perte et fait son deuil; il réalise la fin de Jean et il décide du début de sa prédication; il accepte un héritage et il assume une responsabilité. En fait, il commence son ministère en continuité avec son prédécesseur. Les premiers mots de Jean et de Jésus sont presque les mêmes: “Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche”.

 

      Le début de ce nouveau royaume a des coordonnées géographiques précises: “Dans un premier temps, le Seigneur a couvert de honte le pays de Zàbulon et le pays de Nephtali; mais ensuite, il a couvert de gloire la route de la mer, le pays au-delà du Jourdain, et la Galilée des nations” (Is 8, 23). Matthieu voit cette prophétie d’Isaïe s’accomplir avec le début de la prédication du Christ, dans la ville de Capharnaüm, au bord de la mer (lac) de Galilée, sur le territoire d’une population mixte, composée de juifs et de païens. Ces régions au nord de la Palestine, sous le règne des rois assyriens, ont subi diverses humiliations, déportations et rapatriements.

 

      C’est ici que Jésus commence son apostolat. A partir de ce lieu marginal commencent les trois ans destinés à changer l’Histoire. La vie publique de Jésus se termine par une brève période de mille jours de vie. Que sont trois ans dans l’histoire d’un homme, dans l’histoire de l’humanité? Pourtant, ce fragment de temps a été comme un éclair qui a traversé la nuit noire du monde. Jamais une histoire aussi courte n’a laissé un écho aussi vaste et durable. Comment un fils anonyme de Galilée, l’un des nombreux prédicateurs qui à l’époque allaient un peu partout prêcher, a-t-il pu déclencher une telle mondialisation des cœurs, des cultures et des peuples? Qu’avait-il à dire de si spécial?

 

      Son message est assez simple et pas si original, puisqu’il l’avait emprunté à Jean et à l’école pharisaïque précédente: “Convertissez-vous, car le royaume des Cieux est tout proche”. C’est cette première parole qui a mis tout le reste en mouvement. C’est une expression qui relie trois concepts élémentaires: l’appel à la conversion (ancien terme inventé par les prophètes); la métaphore du Royaume de Dieu (que le pieux Israélite employait pour ne pas prononcer directement le nom de Dieu, de peur de le profaner); et l’idée de sa proximité (ce Royaume n’est plus le privilège de quelques-uns, mais il est proche, il est accessible à tous).

 

      L’appel à la conversion consiste à revenir au Seigneur après avoir rompu l’alliance avec Lui. Le mot hébreu implique le concept de retour en arrière, ou d’un demi-tour, dirions-nous aujourd’hui. Les Grecs, plus intellectuels, ont traduit ce mot par métanoïa, en français: changement de mentalité, qui représente  le même concept. En fait, retourner au premier amour (l’alliance avec Dieu) et changer de mentalité sont des expressions équivalentes. Voici le premier mot avec lequel le Christ inaugure son magistère: convertissez-vous! Changez d’avis! Changez de tête! Changez l’échelle des valeurs! Pensez comme Dieu pense! Dire proche signifie que Dieu est à l’intérieur de nous, dans le cœur, il est intime. Pour ceux qui sont habitués à la conception du Temple de Jérusalem comme une résidence physique de Dieu, ou à un culte pour des divinités représentées par les idoles des collines, entendre dire que Dieu n’habite pas dans un sanctuaire ou dans une statue, a dû être un choc culturel énorme!

 

      Viens en fait à ce moment-là, la nouvelle du millénaire, l’essence de la religion: Dieu n’est pas dans un Temple, il n’est pas une statue, il n’est pas une Loi. Jésus sera persécuté, jugé et exécuté pour cette raison: il a déclaré le Temple dépassé, le culte déchu, il a dit être supérieur au Temple, il a  remplacé le Temple par sa personne! Plus tard, il dira que Dieu veut des adorateurs qui l’adorent en esprit et en vérité, en toute conscience, dirions-nous.

 

      Il y a une partie de la laïcité qui a peur de la religion. Si nous voulons inventer un néologisme, nous pourrions la définir par “la foiphobie”, la peur de la foi des autres. On craint que la religion ne viole la liberté de conscience ou ne mette en danger la paix entre les peuples. En fait, de nombreuses guerres ont éclaté sous l’égide de la religion, au nom de Dieu. Le problème est que l’on peut violer la liberté des autres aussi bien en enseignant la philosophie, l’histoire ou la géographie. Les hommes ont également été capables de faire la guerre pour le commerce du thé, du café et des bananes! Allez dire à une multinationale que vous allez prendre un champ pour lancer votre propre entreprise!  

 

      Bien sûr, les valeurs religieuses, mal comprises ou mal exploitées, peuvent accabler les races et les nationalités, mais cela est vrai également pour les valeurs laïques. Par exemple, jusqu’à présent la démocratie s’est avérée le meilleur système de gouvernement, pourtant n’est-il pas contre productif d’exporter et d’imposer la démocratie aux autres peuples, comme si c’était une forme idéale et ultime? Une guerre au nom de la démocratie? Le 20ème siècle nous en offre plusieurs exemples!

 

      La vraie religion est un concept qui fait référence à celui d’un vrai homme. C’est une religion qui est à la base des relations entre les hommes et les cultures. Sans une vision religieuse il n’y a pas de mariage, pas d’unité familiale, pas de paix entre les peuples. Il n’y aurait même pas d’amitié, car l’amitié est aussi quelque chose qui lie les gens: ceux qui disent religion disent lien. Dieu a parlé à Moïse comme un ami, et Jésus a traité ses disciples en disant: “Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle mes amis” (Gv 15, 15). Une personne qui respecte une autre personne, une conscience qui rencontre une autre conscience: c’est la religion! En fait, il est couramment dit que sans religion il n’y a pas de respect!

 

      Au centre de cette page de Matthieu il n’y a pas de nouvelle religion à fonder, ni d’institutions ecclésiastiques à bâtir, mais il y a une personne, le Christ: “Le peuple qui habitait dans les ténèbres a vu une grande lumière”. La lumière est le Christ, l’Église qui suit le Christ n’en n’est qu’un pâle reflet. En effet, le baptisé se voue à Dieu à travers l’Église, mais il ne se voue pas à l’Église à travers Dieu! La tentation ou la tentative d’exploiter Dieu - en le tirant de son côté et en faisant certaines choses au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit - est toujours là, c’est évident! Sur ce point-là, nous devons apprécier l’attitude critique de l’esprit laïque qui relève le mensonge de certains apparats et distorsions de l’esprit religieux.

 

      Dès le début, Jésus nous offre un exemple magistral et nous invite à redécouvrir le centre de notre personne/vocation dans la solitude du désert; une fois le centre retrouvé, nous pouvons aussi sortir pour mener à bien notre mission, en commençant par Zàbulon et Naphtali, c’est-à-dire par la périphérie du monde, à partir des derniers, de ceux qui sont en marge. Dans cette remise entre Jean et Jésus nous voyons que la transmission de la Foi est une œuvre de témoignage, non d’enseignement ou d’endoctrinement. Un large public est dangereux, parce que manipulable, et notre souci de remplir les églises est superflu, nous pouvons le remettre dans le placard des vanités. Nos catéchismes et nos initiatives sociales sont utiles, mais ils sont d’une importance relative. La Foi se transmet grâce au témoignage d’une personne qui l’offre et d’une autre qui est disponible à l’accueillir! Au début il était ainsi, et ainsi soit-il pour tout acte de conversion, qui implique toujours un retour aux amours du commencement: l’Alliance avec Dieu, le Baptême!

 

      Amen

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