LE SACERDOCE MATERNEL

Nouvel An, Sainte Marie, Mère de Dieu (Lc 2, 16-21)                                                             Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes par André De Vico, prêtre                                                             correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Nous te saluons, Mère très sainte: tu as mis au monde le Roi qui gouverne le ciel et la terre pour les siècles sans fin” (Antienne d’ouverture)  

    

      Le concept biblique de “sacerdoce” implique l’offrande d’une victime sacrificielle, dont le sang a été versé sur l’autel et offert à Dieu en signe d’alliance, de salut et de protection. Les mots de “sacrifice” et “offrande” peuvent avoir des connotations différentes, mais en substance ils sont équivalents. Avec la prédication prophétique, on a commencé à dire que Dieu n’a pas besoin du sang des animaux tués, car il veut le sacrifice intérieur, qui est l’obéissance, la fidélité à la parole, le respect de l’Alliance. Ainsi, “l’action sacerdotale” consiste à présenter à l’autel la victime sacrificielle (Moïse, au temps de la Loi) ou le pain et le vin (Jésus, au temps de l’Évangile). L’essence du sacerdoce est donc l’offrande: le prêtre existe “pour offrir”. Dans un certain sens, dans la culture multi-millénaire des anciens bergers, qui s’occupaient des troupeaux et des brebis, l’action sacerdotale est l’allégorie d’une vie qui est donnée “pour avoir plus de vie”. Mais cela est aussi vrai aujourd’hui: voir l’incontournable et futuriste film “Blade Runner”.

 

      La maternité est aussi un sacerdoce: son offrande consiste à “donner la vie”. Les mères sont celles qui “mettent au monde”, “donnent naissance” à une vie qui s’est formée dans leur sein, tissée dans les ténèbres de leurs entrailles. Comme dans les sacrifices anciens, la naissance d’un être humain implique une “perte” qui se traduit alors par un gain. La maternité montre que le but du sacrifice est de donner plus de vie à la vie: sans sacrifice, la vie ne devient pas la vie. Ce n’est pas pour rien, par exemple, que l’on dit que pour élever des enfants “il faut des sacrifices”. Il faut aussi dire qu’un sacrifice comme fin en soi est inutile, gaspillé, sadique, qu’il exprime souvent la présomption de ceux qui veulent atteindre la perfection par leurs propres moyens. Le sang qui repose sur son propre sang ne génère rien, il se réduit à un système clos destiné à mourir.

 

      La liturgie d’aujourd’hui nous présente Marie “Mère de Dieu”. Elle a “donné au monde” un fils, et quel fils! Elle est le modèle et le prototype de cette immense foule de prêtresses qui sont des mères. Il est clair qu’il existe également des “mères spirituelles” qui, dans le monde de la culture, de l’éducation et de la spiritualité, expriment une générativité qui n’est pas moins importante que celle des mères biologiques. La biologie est nécessaire, mais la biologie seule ne suffit pas pour faire une mère!

 

      On se demande alors pourquoi les femmes se voient refuser l’accès à un ministère que la tradition n’a réservé qu’aux hommes. Pourquoi les femmes ne peuvent-elles pas “faire” le prêtre? Pourquoi un tel archaïsme au début du troisième millénaire? Quelle injustice, quelle inégalité, quel mépris du genre féminin! En ces termes, la question n’est pas théologique, mais elle exprime un problème d’émancipation. Si le sacerdoce n’était qu’une “fonction”, nous en convenons, il n’y aurait aucune difficulté à attribuer le sacerdoce aux femmes, même si cela ne résoudra pas le problème de l’égalité et de la démocratie.

 

      Nous convenons également qu’une Église trop masculine et trop gouvernée par des hommes n’est pas une bonne chose. D’un point de vue administratif, les femmes doivent avoir plus d’espace, plus de pouvoir, plus d’expression. Il serait necessaire d’inclure l’axe féminin dans le centre directionnel de l’Église catholique, mais le sacerdoce ordonné est autre chose. En témoigne le rôle de Marie, “plus vénérable que les chérubins et incomparablement plus excellente que les séraphins” (liturgie byzantine): elle est plus haute que les évêques et les apôtres, mais n’a pas été appelée au sacerdoce. Elles ne l’étaient pas non plus,  les femmes qui accompagnaient Jésus et qui lui sont restées fidèles sous la croix, premiers témoins de la résurrection.

 

      Au cours de sa prédication, Jésus n’a pas pris en compte le chauvinisme masculin de la tradition juive, comme on le voit bien dans la conversation avec la Samaritaine (Jn 4, 27), dans l’épisode de la pécheresse qui s’approcha de lui (Luc 7, 37-50) et de la femme adultère reçue avec bienveillance (Jn 8, 11). Il a montré que le péché, commis par un homme ou commis par une femme, doit être jugé selon la même norme. Pourtant, Jésus n’a assigné aucune femme au ministère apostolique et sacerdotal.

 

      Dès la Genèse, le genre est une connotation essentielle: Dieu a créé l’homme “mâle et femelle” (Gen 1, 27). La distinction des sexes a entraîné une différenciation des tâches et des comportements, que nous exprimons par le terme de “complémentarité”. Être complémentaire signifie que l’un complète l’autre, que l’un a ce que l’autre n’a pas. Être sexués, c’est-à-dire “secati”, divisés, implique un manque qui ne peut être comblé que par la présence de l’autre. La division sexuelle, créant un vide qui ressemble à un vortex dépressif, appelle la vie vers la vie et se situe à la base de notre capacité relationnelle. Cependant, il faut reconnaître qu’historiquement il y a eu une distinction de rôles trop exagérée, trop rigide et nuisible, au détriment des femmes, mais c’est un autre problème; c’est comme la maladie par rapport à la santé: nous devons tuer la maladie, pas le patient.

 

      Si l’homme et la femme sont complémentaires dans le sexe, ils le seront également dans le sacerdoce. Dans le judaïsme et dans les anciennes religions en général, les femmes n’exerçaient pas la fonction du prêtre sacrificateur. Les raisons sont évidentes. Premièrement, les sacrifices impliquaient la boucherie de gros animaux, et les femmes n’étaient certainement pas adaptées à ce type de travail. Deuxièmement, la femme - potentiellement hôte et nourrice d’une nouvelle vie - est confrontée au phénomène des “menstruations”, mot tiré de “menstruum”, “mensuel”, c’est-à-dire régulé sur le cycle de la lune (ménos), comme cela se produit chez les biches et les autres femelles des animaux supérieurs. C’est un stratagème inventé par mère nature pour synchroniser les naissances en conjonction avec les nuits sombres de la nouvelle lune, afin de soustraire les nouveaux-nés à la vue des prédateurs.

 

      En termes culturels et cultuels, la femme a été légalement déclarée “incapable de culte pour des raisons d’impureté rituelle”. D’une part, on peut lire dans cette affirmation le dégoût du sang menstruel, ou sang pourri, que les Juifs abhorraient car il représentait la mort. L’“impureté rituelle” des anciens correspond à nos “raisons hygiéniques”: la femme, pendant un certain temps, se voit engagée dans des choses délicates que la nature a épargnées aux hommes. 

 

      Après tout, même à ce jour, personne ne rêverait d’utiliser ou d’exposer du sang menstruel comme s’il s’agissait d’un titre honorifique. Cependant, si nous affinons notre regard et affrontons le problème avec la sensibilité d’un anthropologue, cette scandaleuse “incapacité de culte” peut également être lue positivement, elle s’avère être un soulagement, comme un acte galant du sexe masculin, qui libère les femmes de la nécessité d’avoir à faire avec le sang, l’effusion de sang, l’offrande du sang.

 

      Dans l’ordre culturel, pour avoir “plus de vie”, le rôle masculin nécessite la mise à mort et la soustraction du sang animal, tandis que celui féminin-maternel est certainement plus positif, il est magnifique: “donner la vie”, “donner la forme”, “donner le sang” à de nouvelles créatures. L’homme procède par soustraction de vie, la femme par addition de vie. Le sacrifice est masculin, la menstruation est féminine. Cela explique pourquoi dans la culture païenne et chez les Juifs, il était inconcevable qu’il y ait des prêtresses attachées au culte sacrificiel. Chez les Romains, les rites étaient une prérogative du “pater familias”, jamais de la femme, qui pourtant jouissait d’un pouvoir de direction illimité à la maison. 

 

      Cependant, l’anthropologie atteste aussi de l’existence de prêtresses dans diverses cultures du passé. Dans l’ancienne Babylone il y avait des “prostituées sacrées” au temple d’Ishtar, assimilée à Isis des Egyptiens, à Artemis des Grecs, à Diana des Romains, c’est à dire: à la lune! Dans la Rome antique, les Vierges Vestales gardaient le feu sacré, vivant dans une chasteté absolue, isolées du monde extérieur, dans une sorte de cloître attaché au temple. Dans la période hellénistique, nous trouvons les “prêtresses” de Cybèle, Artémis, Déméter, Isis et Dionysos, mais nous ne savons presque rien de leur rôle. Les anciennes “prêtresses” étaient pour la plupart des voyantes, comme la Pythie du temple d’Apollon à Delphes. Dans la sphère chrétienne, nous avons connu Hildegarde de Bingen,  Catherine de Sienne et Thérèse  d’Avila, qui jouissent toujours d’une très haute estime, difficile à trouver chez leurs homologues masculins. Le don de prophétie est mieux adapté aux femmes, pour cette “antenne”  particulière pointée sur le monde spirituel et divin.

 

      Il y a actuellement tout un chœur de demandes en faveur de la prêtrise féminine. Il n’est pas rare de trouver même quelques religieuses ou âmes mystiques qui souhaitent ardemment célébrer la messe en tant que prêtre, pour être plus intimes avec Jésus. De telles demandes trahissent une confusion idéologique. Si le mâle est égal à la femelle, si les rôles sexuels sont annulés et assimilés entre eux, si le sexe est indifférent, il est logique que la confusion des genres investisse la prêtrise aussi. Comme dans tout féminisme idéologique, cette demande finit par encourager précisément le processus qu’il disait vouloir éviter: la dévaluation du féminin. En effet, la femme qui, pour s’émanciper, active les modèles masculins, finit par accepter et perpétuer par elle-même la dévaluation du féminin. En politique, beaucoup de femmes sont comme ça: des amazones cuirassées très masculines et peu féminines. De même, les femmes qui souhaitent devenir prêtres seront cooptées dans un système patriarcal et androcentrique. Au lieu de saper un système qui doit certainement être réformé, ces femmes finissent par le renforcer. La demande d’une ordination sacerdotale féminine est donc un “faux objectif” pour les femmes. 

 

      L’Europe a connu le temps des reines, si puissantes et si féminines, avec un pouvoir immensément supérieur à celui des hommes. La vocation de la femme est d’être honorée comme une reine est honorée. Dans l’Église catholique, le sacerdoce ordonné est un service auquel on est appelé, non une gratification à laquelle aspirer, et le sacerdoce chrétien - par mandat évangélique - doit s’incliner devant la vierge, la femme, la mère. Si la maternité divine de Marie ne peut pas être assimilée au sacerdoce ordonné, elle est déjà un sacerdoce, elle est un vrai sacerdoce, le sacerdoce de la vie, le plus beau. Cela signifie que la femme n’a certainement pas besoin de porter les vêtements masculins et de monter jusqu’à l’autel, tout comme l’homme n’est pas prédisposé à “porter la vie en lui” et à accoucher d’un enfant.

 

      La question: “pourquoi les femmes ne peuvent-elles pas dire la messe comme des prêtres?”, n’est en fait pas une vraie question, ce serait comme aller demander aux anciens Romains: “pourquoi les hommes ne peuvent-ils pas entrer dans le palais des vierges?” Toutefois, nous pouvons trouver un sens à cette question. Pour des raisons de pureté rituelle? Pour des raisons d’hygiène? Non, il y a mieux au troisième millénaire: la présence courageuse et persistante du sacerdoce masculin dans l’Église catholique est un signe que nous sommes faits comme Dieu nous a créés: “hommes et femmes”. 

 

      La question devrait  être réorientée en ces termes: qu’est-ce que la féminité et qu’est-ce que la virilité? Dans une société de consommation qui gâte les enfants et confond les jeunes, réduits à des consommateurs idéaux, éternellement insatisfaits, androgynes impossibles, le vrai problème ne sera pas le sacerdoce féminin, mais la redécouverte et la pratique du code viril, ce qui fera aussi beaucoup de bien, aux femmes aussi!

 

      Amen

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Noël-06.04 - NouvelAn-LeSacerdoceMaterne
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