LA FEMME AU SEPT MARIS

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fȇtes 

Année C - XXXII Ordinaire (Lc 20, 27-38)                                                  

par André De Vico, prêtre

correction française: merci à mes amis 

 

 

      “Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir: ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection”

   

      La famille des Maccabées, bien avant la venue du Christ, forte dans la foi en la résurrection, se laissa torturer et mourir pour ne pas céder à l’idolâtrie. La chronique d’aujourd’hui rapporte le cas de sept frères torturés et assassinés les uns après les autres, devant la mère qui les encourage à résister. Même le plus jeune, un garçon, ne se laisse pas convaincre par les féroces bourreaux.

 

      La fraternité des Sadducéens, par contre, ne croit pas en la résurrection. Ce sont des gens de haut rang, ils appartiennent à la bourgeoisie sacerdotale de Jérusalem, ils sont peu nombreux mais influents. Ils ont ridiculisé la question de la résurrection jusqu’à s’inventer une casuistique absurde, comme ce cas juridique de sept frères qui meurent les uns après les autres en épousant la même femme sans laisser de progéniture. Dans l’autre monde, duquel des sept sera-t-elle la femme? Ils pensent utiliser cet argument contre Jésus pour le mettre dans l’embarras et se moquer de lui. Les Sadducéens, avec ce cas impossible, plus que nier la résurrection future, instrumentalisent la mémoire historique des sept frères Maccabéens, au lieu de l’honorer!

 

      La réaction de Jésus est comme d’habitude surprenante. Dans une question si importante, là où les rabbins et les pharisiens auraient débité une multitude de citations de textes sacrés et des prouesses exégétique-interprétatives, Jésus se limite à utiliser une méthode de “lecture globale”, en allant droit au but: “vous venez pour vous moquer de moi, mais je ne veux pas même discuter avec vous ... vous parlez d’un endroit où il n’y a ni femme ni mari ... vous faites appel aux Écritures, mais vous n’en savez rien ... allez et lisez Moïse, à propos du buisson qui brûle et ne se consomme pas! …”À la surprise de tous, Jésus cite “Exode 3, 6’’, un texte qui en réalité n’a rien à voir avec la question de la résurrection posée par les Sadducéens. Mais que fait dans cette réponse, ce buisson qui brûle sans se consommer? Et bien voilà l’explication: ce sont des flammes de Dieu, du Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob. C’est le Dieu qui coule dans le sang des générations! Jésus dit qu’Abraham, Isaac et Jacob ne sont pas des momies, mais qu’ils sont vivants, bien vivants, parce que Dieu est vivant et il est le Dieu des vivants! Quel intérêt aurait Dieu à régner sur des morts? Plus que jamais, quel avantage en tirerions-nous en étant ses serviteurs tout au long d’une vie, pour aller ensuite sombrer dans le néant? Si donc les anciens pères sont vivants, cela signifie qu’ils font déjà partie du monde de la résurrection! Une exégèse originale, sans doute!

 

      Jésus réagit avec dédain car le vrai problème ne consiste pas dans la question de la résurrection, mais dans l’incrédulité de ceux qui l’ont posée, raison pour laquelle il coupe court, il n’entre même pas en discussion, il oppose une citation unique valable pour toutes. Nous aussi, si nous parlons de résurrection en termes “matériels”, nous nous exposons à des objections ridicules comme celle de la femme aux sept maris. Il n’est pas qu’au paradis nous montions à cheval, nous jouions aux échecs ou nous prenions du café à la suite d’un rendez-vous galant, comme dans le paradis gnostique de la publicité. Il s’agit d’une vie qui échappe aux schémas mondains, d’une vie qui ressemble à celle des anges! En outre, Jésus parle de “ceux qui sont jugés dignes de la résurrection”, insinuant l’idée que ses interlocuteurs ne sont pas parmi eux. Celui qui croit en la résurrection sera un fils de la résurrection, mais celui qui croit que la vie de l’homme s’arrête au cimetière, il sera digne du cimetière. 

 

      À l’époque moderne, les nouveaux Sadducéens du mécanicisme pensent que l’homme n’a rien de spécial par rapport aux autres êtres de la nature, il est un être minuscule et insignifiant perdu dans l’immensité du cosmos. Le fait que l’homme existe ou n’existe pas serait sans importance. En tant que simple phénomène biologique, il ne serait qu’une bulle infinitésimale dans la mer de l’être, qui émerge et disparaît en un instant, et sa position dans le monde serait absolument marginale.

 

      Au siècle dernier, une nouvelle compréhension de la présence de l’homme dans le monde a été avancée. L’Univers y apparaît comme un immense chantier dans lequel tous les efforts et projets sont orientés vers la création d’un être intelligent, doté d’une “matière grise” qui pense et observe. Le cerveau humain, que nous connaissons encore peu, se présente comme la structure la plus complexe jamais née de cet immense laboratoire de la matière et de la vie. C’est ce que l’on appelle “le principe anthropique” de l’Univers, dans lequel l’homme est à nouveau transféré dans une certaine position privilégiée: “l’Univers est construit d’une manière à permettre la création d’un observateur intelligent en son sein”. Eh bien, si je regarde un Univers qui n’est pas lui-même en mesure de m’observer, cela ne signifie-t-il pas que j’ai un certain avantage sur lui, ou non?

 

      Demandons-nous si cet immense chantier de la matière, ce laboratoire fourmillant de la vie, procède d’une “impulsion” spontanée et aléatoire qui vient d’en bas (évolution), ou s’il existe un “projet” supérieur (création). Entre les idées de créationnisme et d’évolutionnisme il y a une vieille polémique, qui n’implique pas l’exclusion de l’une par l’autre: l’évolution des êtres peut aussi être considérée comme le “téléchargement” d’un projet de création. Un mystique pourrait s’exprimer ainsi: “Dieu a toujours créé et crée des mondes matériels qui évoluent en mondes spirituels. Tout ce qui se termine sur la terre, dans le monde de la résurrection vit à nouveau, transformé”. 

 

      À l’hôpital de Sion j’ai rencontré un patient qui a fréquenté le CERN de Genève, le sanctuaire de la physique mondiale. Cette personne, la lumière aux yeux, m’a dit que tous les scientifiques rencontrés au CERN sont des “mystiques!” Ils étudient la matière, ils devraient être des matérialistes, mais quand ils parlent de la matière, ils utilisent les mots de la mystique! Enfin des signes de paix, entre la vision scientifique et la vision religieuse du monde!

 

      En utilisant la même méthode de lecture globale appliquée par Jésus, nous pouvons affirmer que la “résurrection” n’est qu’une modalité de l’acte créateur: la “résurrection” est une sorte de “création”. “Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa” (Gen 1, 27). Si donc Dieu a créé l’homme à son image, cela signifie que l’homme est à son tour créatif. Et qu’est-ce qui peut créer un homme, sinon un monde fait à son image? Sinon quel Paradis serait-il, s’il était trop différent du monde qu’il a déjà vu passer sous ses yeux? 

 

      Le monde de la résurrection est donc un monde de la création: nous pouvons créer et recréer tout ce que nous aimons et ce que nous avons aimé. C’est un monde qui se touche avec les doigts car l’esprit a des mains sensibles: rien n’est fait de rien, et dans le tout, tout est fait de tout: mers cristallines, cristaux d’eau, hautes montagnes, douces collines, terres nouvelles, arbres en fleurs, villes et maisons! Le rêve coïncide enfin avec la réalité!

 

      Personnellement j’aime les montagnes aux couches rocheuses nues et brisées, parce que elles ressemblent aux pages d’un livre de géologie. On peut y deviner le mouvement de la montagne qui se déroule en cet instant, tel qu’une photo instantanée d’un processus toujours en cours et qui dure depuis des millions d’années. Quelque chose me dit que dans le monde de la résurrection j’aurai le privilège de consulter les archives des pensées de Dieu et de voir le documentaire sur la naissance du monde, des autres mondes, de l’univers entier, en temps réel! Je verrai toutes les œuvres et les bons sentiments de tous les hommes qui ont vécu dans tous les temps!

 

      La plus grande joie du le monde de la résurrection est de se retrouver avec les êtres qui nous ont été chers: les familles reconstruites, les amitiés retrouvés, une vie harmonieuse! Jésus dit que: “Dans la maison de mon Père, il y a plusieurs demeures”, et que: “Je pars vous préparer une place” (Jn 14, 2). Est-ce une simple métaphore, ou un don concret, un réel acte créatif? Je crois qu’il n’est pas faux de penser que dans les pays du monde de la résurrection, il y a une infinité de maisons aux architectures différentes et que, en passant par ces endroits, j’entendrai les voix, et les paroles et les rires des habitants de ces maisons. Ils en ont rêvé sur terre, et celui-ci est un village construit avec leurs rêves, les maisons aux portes ouvertes: je peux entrer, j’y suis attendu, tout le monde m’attend!

 

      Si Jésus utilise les images conviviales du Royaume, et saint Augustin parle de la socialité de l’homme dans la Cité de Dieu, de quel matériel serait constitué le paradis des Sadducéens, des incroyants, des sceptiques et des agnostiques, par rapport au sujet de la création et du monde à venir? Leur problème ne consistera pas dans les “importantissimes” questions qu’ils posent, mais dans un éventuel manque de foi!

 

      Amen

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