LE PHARISIEN ET LE PUBLICAIN

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fȇtes

Année C - XXX Ordinaire (Lc 18, 9-14)                                                       

par André De Vico, prêtre

correction française: merci à mes amis  

 

 

      “En ce temps-là, à l’adresse de certains qui étaient convaincus d’être justes et qui méprisaient les autres, Jésus dit la parabole que voici ...”

  

      Nous sommes aujourd’hui confrontés à deux manières différentes de nous placer devant Dieu, donc devant les autres. Il y a un pharisien très pieux qui, dans sa prière, se tient bien debout sur son piédestal, se supposant sûr de sa justice (lire: “honnêteté”), mais il est sec et impitoyable envers un autre situé là-bas au fond du temple, un publicain, un percepteur d’impôts qui est également usurier pour des raisons de profit, enfoncé en lui-même, il n’ose même pas lever les yeux au ciel.  

 

      Les pharisiens se distinguent par leur observance religieuse et leur conduite morale. Le pharisien a beaucoup d’esprit de sacrifice, il jeûne plus que ce que la loi exige. En cela il est admirable, on ne peut pas lui faire de reproches. Son erreur est dans son sens de la justice: il se croit “être bien”, il se sent créditeur devant Dieu: “j’ai fait le mien, maintenant c’est à ton tour de donner!” Ce pharisien, de la part de Dieu, n’attend pas la miséricorde, mais la récompense qu’il mériterait. Il traite Dieu comme un employeur et il se tourne vers le prochain en faisant des comparaisons et des différences: “Je te remercie, Seigneur, de m’avoir fait comme je suis ... par contre, celui-là ne devrait même pas être ici …”

 

      Il est clair que le pharisien ne prie pas Dieu, il ne lui demande rien, il se concentre sur lui-même et il se compare avec un autre, en le jugeant sévèrement. Fort de sa justice, de son honnêteté, de son sens de l’éthique, le pharisien ne ressent pas le besoin de changer, et c’est la raison de sa prière. Se trompant dans la prière, il se trompe également dans sa morale. Il a établi lui-même quelles sont les choses autour desquelles décider ce qui est juste et qui est injuste, qui est bon et qui est mauvais, un peu comme nous le faisons quand nous disons: “je n’ai pas volé, je n’ai pas tué, je ne fais de mal à personne, je prie le matin et le soir, et quand je peux faire le bien, je le fais”. Sa moralité est façonnée comme un costume sur mesure. Il s’est fait un selfie, en oubliant de mettre de l’amour pour les autres sur sa photo portrait. Il a exprimé son idéal de perfection, grâce auquel il peut qualifier indifféremment les autres comme voleurs, injustes, adultères, comme celui-là …

 

      Le publicain monte au temple avec une attitude très différente. Il se sent seul devant Dieu, il n’a pas besoin de prendre le mètre pour se comparer aux autres. Il s’arrête à distance, il ne lève pas les yeux, il se bat sincèrement la poitrine, il dit la vérité sur lui-même: “Seigneur, je suis à la solde des Romains … Seigneur, je me suis mis au service de l’armée de l’occupation … Seigneur, je demande à mes compatriotes des impôts de la part de de Rome … Seigneur, je réalise des profits personnels … Seigneur, je suis un usurier …” Il est juste comme il se décrit, il est conscient de ses torts, il veut changer mais il ne sait pas comment, il est lui-même devenu prisonnier de la machine qu’il a construite pour voler l’argent, il se met devant Dieu avec la seule conscience de son péché, il se reconnaît simplement comme un pauvre pécheur. Et c’est précisément cela qui le justifie, il le change de l’intérieur, il le soulève, il lui ouvre la possibilité de faire le chemin inverse, il le sauve!

     

      L’éthique moderne, ou “morale laïque”, doit ses débuts à Kant, philosophe allemand du siècle des Lumières, qui, dans le domaine moral, a mis au point une procédure standard et auto-justifiante: “Agis de façon telle que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans toute autre, toujours en même temps comme fin, et jamais simplement comme moyen”, etc. 

 

      La “raison” devient l’unique mesure des actions morales, il n’est donc pas nécessaire d’allumer la lumière de la “révélation”. La raison, plutôt que d’être éclairée par Dieu, s’éclaire d’elle-même, se justifie d’elle-même. Malgré les différentes déclarations solennelles, notre philosophe est resté totalement étranger à ce qui se passait autour de lui, distrait et plongé dans ses gigantesques constructions intellectuelles. Une telle morale “a les mains pures, mais elle n’a pas de mains” (Péguy), c’est à dire qu’elle est inapplicable dans la pratique, elle est inefficace, elle ne sert qu’à donner bonne conscience à ceux qui ne veulent pas être dérangés dans leurs habitudes. Cette morale laïque, fondée sur la raison, présuppose une attitude religieuse erronée, très d’actualité: celle des pharisiens. Rien de nouveau, alors! 

  

      Finalement, nous trouvons la solution au problème de la justification morale dans une simple page évangélique. Il y a de quoi apaiser toute polémique entre catholiques et protestants, au sujet de la justification. Ces deux personnages sont venus au temple pour une courte prière. Ils appartiennent à deux catégories religieuses et sociales différentes. Puisque le pharisien ne demande rien, Dieu ne lui donne rien. Il n’a pas demandé la justice, donc il n’a pas été justifié. Sa prière et son sens raisonnable de l’éthique n’ont fait qu’aggraver sa situation. Pas contre l’autre, en disant la vérité sur lui-même, il a gagné des points en sa faveur.

 

      La conclusion est simple. Voulez-vous retrouver l’innocence perdue? Voulez-vous être “justifiés” - c’est-à-dire “réhabilités dans la justice” - malgré vos troubles actions? Voulez-vous être soulagé des souffrances terribles que vous avez infligées aux autres et qui à présent commencent à peser sur vous aussi? Entrez dans votre conscience et voyez bien qui vous êtes. Et après avoir vu qui vous êtes, sans avoir à regarder les autres, vous recevrez votre justification, vous serez un autre homme, pour refaire votre chemin à rebours! C’est une chose merveilleuse de voir dans les paroles de Jésus dans quelle mesure le problème moral se résout dans la façon dont nous nous tournons vers Dieu: tout se passe dans une simple petite prière!  

 

      Amen

Télécharger
Télécharger la réflexion en Pdf
C-Ord-30 - LePharisienEtLePublicain.pdf
Document Adobe Acrobat 88.3 KB