LA FEMME VÉTUE DE SOLEIL

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fȇtes

Assomption (Ap 11, 19a; 12, 1-6a.10ab)                                                      

par André De Vico, prêtre

correction française: merci à mes amis  

 

 

      “Un grand signe apparut dans le ciel: une Femme, ayant le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles. Elle est enceinte, elle crie, dans les douleurs et la torture d’un enfantement. Un autre signe apparut dans le ciel: un grand dragon, rouge feu …”

 

      Si nous ouvrons le livre de l’Apocalypse sans un minimum de préparation et de prudence, nous n’y voyons que des symboles violents et incompréhensibles. Dans le langage courant, le mot “Apocalypse” est devenu synonyme de “fin du monde” et ”destruction totale”, mais la substance de son message est toute autre chose. Le langage apocalyptique a construit un univers symbolique et populaire que tous comprenaient, mais dont, nous les modernes, avons distraitement perdu la clé de lecture. Le même mot d’ “Apocalypse”, qui signifie: “Révélation”, implique la compréhension d’un message dont le sens caché est révélé. Le sens global de la littérature et du style apocalyptique est clair, il demeure accessible, comme un langage de cinéma qui s’adresse à la majorité des habitants de la planète. Par contre, si on cherche des significations ésotériques à chaque petit détail, l’Apocalypse devient un texte difficile et indéchiffrable.   

 

      La page de la liturgie d’aujourd’hui rassemble de nombreux symboles bibliques: le ciel de la création, le serpent de la Genèse, l’arche de l’Alliance de l’Exode, la vierge d’Isaïe, la Jérusalem-mère des prophètes, le dragon qui dans le livre de Daniel engage la terrible bataille contre l’Archange Michel… et encore nous trouvons des allusions à la marche dans le désert, à la nourriture céleste, aux ailes d’aigle, au danger de l’eau, à l’intervention divine … Le “ciel” est une métaphore pour exprimer l’espace divin, le scénario d’événements qui se passent au-delà de l’histoire. Le Temple terrestre n’est qu’une réplique, un pâle reflet du Temple du ciel. Dans l’Apocalypse l’histoire se déroule sur deux niveaux qui s’influencent réciproquement: le céleste et le terrestre. Il n’y a rien qui se passe ici sans influencer le monde là-haut, et vice-versa.

 

      Il en est de même pour la vision de l’arche: matériellement, l’arche est un artefact, un petit meuble construit pour garder les tables de la loi que Moïse reçut au Sinai; symboliquement, l’arche est le lieu de naissance du peuple d’Israël, elle exprime son l’identité nationale, la rencontre de Dieu avec les hommes. Il est évident que l’arche primitive construite par Moïse, sujette à la destruction comme tous les objets domestiques, et par la situation précaire du peuple qui traverse le désert, fut perdue. Si l’arche avait été renfermé dans la tombe d’un pharaon, peut-être qu’elle aurait pu rejoindre nos jours, mais la chose est peu probable, même si Indiana Jones s’obstine dans sa recherche. Les gens vont voir ces histoires au cinema attirés par les hypothèses farfelues d’objets mystérieux qui n’existent plus, et elles oublient que la copie originale de l’arche est dans le Temple céleste: elle exprime l’alliance entre Dieu et l’homme! Mais cela n’interesse que très peu le peuple très distrait des cinéphiles!     

 

      Dans ce “ciel”, demeure divine, le voyant de l’Apocalypse aperçoit une femme ornée d’attributs célestes, “le soleil pour manteau, la lune sous les pieds, et sur la tête une couronne de douze étoiles”, affectée par des douleurs d’enfantement. La douce scène de la naissance est déchirée par une irruption terrifiante: un serpent qui épie le nouveau-né pour le dévorer! Il s’agit d’une lutte inégale: un monstre vigoureux contre une femme fragile qui est en train d’accoucher. On ne peut pas s’imaginer une urgence plus grave que celle-ci: une parturiente piégée, urgence dans l’urgence! 

 

      Dans la nature, les biches donnent naissance à leur petits à la nouvelle lune, pour éviter la rencontre avec les prédateurs et pouvoir mieux les cacher. Dans le bois il y a des serpents qui cherchent et dévorent les petits oiseaux dans leur nid. Dans la savane il peut se passer qu’un zèbre, en train de mettre bas, soit suivie par une petite armée d’hyènes, prêt à dévorer le tendre petit zèbre qui a juste le temps de voir la lumière. Dans le monde humain il est facile de constater, dans toutes les cultures et à toute latitude, que le femmes prêtes à accoucher perçoivent le danger sous forme de mauvais esprits et besoin de protection céleste: porte-bonheur, amulettes, images pieuses, rosaires, d’étranges croyances, précautions et recettes héritées par leurs grands-mères …    

 

      C’est le signe que la naissance d’une créature ne se limite pas seulement à la biologie ou à un instinct de survie: il y a un conflit imprévu dans le plan de la création, et qui dans la nature se présente partout. L’auteur de l’Apocalypse, après avoir rassemblé tous les symboles possibles, les projette sur cette femme en travail, pourquoi? Qui est cette femme? Si on pense à la situation de la communauté primitive persécutée, il est facile d’en deviner l’identité: il s’agit de l’Église elle-même, sein générateur d’un nouveau peuple; les douze étoiles font une allusion aux douze tribus d’Israël, qui remontent aux douze fils de Jacob, donc aux douze Apôtres qui lancent l’Église, nouvel Israël; le dragon rouge représente les forces humaines et diaboliques qui s’opposent à elle. Historiquement la communauté chrétienne primitive tenait tête à des systèmes agressifs et totalitaires, elle luttait pour survivre et travaillait pour rester fidèle à Dieu: les persécutions sont assimilées aux douleurs de l’enfantement!

 

      L’action du dragon est sacrilège: un défi contre le “ciel”, une queue puissante capable d’abattre et entraîner un tiers des étoiles (les anges!) du ciel! Evidemment il s’agit de la primordiale apostasie des anges rebelles, a qui correspond à l’apostasie toujours en cours dans l’histoire de l’Église! L’Église est donc une parturiente piégée, mais Dieu vient à son secours, il la défend, il en prend soin, il la mène vers un lieu sûr, dans le désert, là où l’histoire de la vierge d’Israël avait commencé: les fiançailles, l’amour, l’alliance …. Le dragon furieux, ne pouvant rien faire contre la femme-Église, il s’en éloigne impuissant, et il s’attaque à sa descendance, c’est-à-dire à ceux qui gardent les commandements et témoignent la foi de Jésus Christ. L’Église est donc en sécurité, mais la lutte continue: nous en sommes les protagonistes.

 

      En effet, dans les persécutions actuelles, il y a des fidèles qui résistent jusqu’à verser leur sang pour la foi, et il y en a d’autres qui sont impliqués dans le tourbillon d’une lente apostasie de masse! L’histoire même de l’Europe, des nations, des groupes, voir l’histoire personnelle de chacun, peut se lire comme l’histoire d’une lente apostasie qui ne semble jamais vouloir s’arrêter! L’Église travaille tout au long de l’histoire pour enfanter des fils de Dieu, mais le dragon est toujours là, prêt à arracher l’enfant, à retirer la foi! On le voit bien dans nos paroisses: la presque totalité des enfants et des jeunes qui reçoivent les sacrements ne restent au sein de l’Église que très peu de temps: Satan arrive et il avale le délicieux morceau de la foi qui avait été mis dans leur coeur d’enfant! Sans la foi, ces enfants ils se retrouvent dans le chaos, sous l’emprise des “marchands d’âmes” qui achètent et vendent leurs rêves, leur désirs, leur jeunesse. Le sens de l’Apocalypse est très clair!

 

      Le conflit de l’Apocalypse n’est donc pas encore résolu: il n’est que suspendu. Le texte laisse le lecteur en “suspense”: le dragon arrêté sa furie sur le littoral de la mer, le lieu où le Créateur plaça la limite à l’agressivité du monstre marin, la ligne idéale du sable mouillé qui empêche aux ondes de dévorer la terre au delà d’une limite donnée. Le serpent est toujours prêt à la guerre, mais l’Apocalypse, avec une pointe d’ironie, le représente à la barre juste là, à l’endroit même de sa défaite primordiale.   

 

      Les symboles se réfèrent les uns aux autres, se transforment, se remanient, celui qui lit les vit  et il s’y sent inclus. Dans la réflexion des Pères de l’Église, à partir de Saint Épiphane de Salamine (né en Palestine dans le 315), on a commencé à rapprocher l’arche d’alliance au sein de Marie, et le signe de la femme de l’Apocalypse (l’Église) à Marie. La nuée de la présence de Dieu dans le désert, qui rafraîchit le peuple le jour et le chauffe la nuit, est la même “ombre” du Très-Haut qui féconde le sein de Marie. De Lubac, dans sa très belle méditation sut l’Église, dit:

 

      “De l’Église à la Vierge Marie, les liens ne sont pas seulement nombreux et étroits. Ils sont essentiels. Ils sont tissés de l’intérieur … Dans la tradition, les mêmes symboles bibliques sont appliqués, tour à tour ou simultanément, avec la même profusion de plus en plus débordante, à l’Église et à la Vierge. L’une et l’autre est la nouvelle Eve. L’une et l’autre est également le Paradis … L’une et l’autre est l’Arche d’alliance, l’Échelle de Jacob, la Porte du ciel … le Tabernacle du Très-Haut … la Cité de Dieu … l`Épouse ornée pour paraître devant son Époux, la Femme vêtue du Soleil et victorieuse du Dragon … Très tôt la conscience chrétienne l’a perçu, et tout au long des siècles l’a proclamé, de cent manières, dans l’art et dans la liturgie comme dans la littérature: Marie est la ‘figure idéale de l’Église’. Elle en est le ‘Sacrement’. Elle est ‘le miroir où se reflète l’Église entière’ ” (1)

 

      De Lubac cite le célèbre axiome: “Sicut Maria, ita et Ecclesia!” “Comme est Marie, ainsi est l’Église” ( Yves de Chartres, PL 163, 570 C)

 

      Cette assimilation de l’Église à Marie, le jour de l’Assomption, apparaît dans toute sa splendeur. Si dans les autres grandes célébrations mariales nous pouvons voir l’Église “telle comme elle doit être”, aujourd’hui nous la contemplons “telle qu’elle sera”. En effet la Préface de la Messe de l’Assomption dit: 

 

      “La Vierge Marie … parfaite image de l’Église à venir, aurore de l’Église triomphante, elle guide et soutien l’espérance de ton peuple encore en chemin …”

 

      (1)     Cf. Henri De Lubac, “Méditation sur l’Eglise”, Editions Aubier Montaigne, 1968, pp. 268-9

 

Télécharger
Télécharger la réflexion en Pdf
Assomption - LaFemmeVȇtueDeSoleil.pdf
Document Adobe Acrobat 102.2 KB