LA TRINITÉ ET LA DIGNITÉ

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fȇtes

Année C - Sainte Trinité (Jn 16, 12-15)                                                       

par André De Vico, prêtre

correction française: merci à mes amis 

 

 

     “Gloire au Père, et au Fils, et au Saint-Esprit : au Dieu qui est, qui était et qui vient!” 

 

      La vie d’un chrétien se déroule sous le signe de la Trinité: baptisé “au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit”, et avec la grâce de mourir chrétiennement, une dernière prière dira: “Sors, âme chrétienne, sors de ce monde, au nom du Père qui t’a créée, du Fils qui t’a sauvée, et de l’Esprit Saint qui t’a sanctifiée”. Entre ces deux extrêmes il y a d’autres moments signés par l’invocation de la Sainte Trinité: les époux qui s’échangent les anneaux, les religieux et religieuses qui prononcent leurs vœux, les prêtres qui sont consacrés … Dans le domaine civil aussi, quand on découvrait de nouvelles terres, on plantait des drapeaux, on prononçait des sentences au tribunal ou on ratifiait des contrats, cela se faisait “au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit”. Malheureusement, comme ‘’l’indécence’’ n’a pas de limite, il y a aussi eu des abus, des délits et des injustices commises au nom de la Trinité. Les hommes sont bien capables de mélanger certaines de leurs combines avec les choses de Dieu. 

 

      Jésus parle du Père et il envoie son Esprit, en nous révélant que Dieu est Amour. En amour les acteurs sont trois: l’aimant, l’aimé, et l’amour qui les unit. La théologie a cherché à l’expliquer du mieux qu’elle pouvait, en disant que la Parole de Dieu (“Logos” en grec, “Verbum” en latin) est le Fils conçu dès l’éternité, “engendré” (donc il est égal à Lui), “non pas créé” (donc il n’est pas égal aux créatures), et qu’il est uni à Lui par un lien d’Amour: le Saint Esprit. Les Pères de l’Église, en voulant trouver dans la pensée grecque des catégories pour exprimer la révélation trinitaire, se trouvèrent en grande difficulté parce que il n’y avait aucun terme pour décrire cette nouveauté apportée par Jésus. Donc ils choisirent un terme commun et facile à comprendre: “prosopon”, qui à l’origine signifiait “le front, l’aspect, la figure, le masque de théâtre, le type de personnages, son caractère, son rôle, son identité active”. Le terme de “prosopon” fut traduit et latinisé en “persona”. De cette façon les anciens Pères voulaient dire que les trois acteurs divins sont l’un “en face” (“prós”, πρὸς) de l’autre, donc ils sont “en relation” entre eux. Le mot “prosopon” (“personne”) perdit sa signification extérieure et théâtrale et acquit la fonction d’exprimer la relation “frontale”, en “tête à tête”, entre les divins sujets.  

 

      À un moment donné, les théologiens commencèrent à appliquer le nouveau terme aussi à l’être humain: ce qui distingue l’homme par rapport aux “êtres en général”, est son “être personnel”, qui est “en face des autres”, “en relation avec les autres”. Dans la culture européenne naît ainsi le concept de “personne”, une dimension complètement hors de l’ancien rationalisme. Platon et d’autres philosophes, par exemple, remerciaient la divinité parce que ils étaient nés “homme et non animal muet, mâle et non femelle, grec et non barbare”. Pour les anciens grecs, les adjectifs “grec, mâle et libre” étaient bien plus importants que le nom “homme”. Se déclarer  détenteur d’une valeur absolue n’était pas un droit pour tous, mais un privilège pour peu de gens. En outre, le concept de “personne humaine” a préparé la formulation moderne des “droits de l’homme”: sans la spéculation trinitaire cela n’aurait pas été possible. En effet le monde chinois ou musulman ont une certaine difficulté à accueillir le concept des droits humains, parce que ceux-ci ne sont pas fils de la raison ni de la démocratie, mais ils supposent la foi chrétienne !

 

      La Liturgie accueille les termes spéculatifs de “nature” pour indiquer l’unité, et de “personnes” pour indiquer leur distinction: “Tu es un seul Dieu, un seul Seigneur, dans la Trinité des personnes et l’unité de leur nature” (préface de la Trinité). Une personne baptisée au nom de la Trinité, et qui a bien vécu sa vie chrétienne, a-t-elle “le droit de choisir” le suicide assisté? L’acte de mettre fin à ses jours peut-il être béni par l’Église “au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ?” Bien sûr que non: la foi chrétienne est incompatible avec n’importe quel suicide. L’Église ne peut rien faire d’autre que d’accompagner le demandeur de suicide jusqu’au seuil, en essayant de le dissuader de sa décision. D’autre part, une personne qui n’a pas cette foi, a-t-elle “le droit de mourir en dignité” quand certaines circonstances peuvent le justifier? Agonie irréversible et douloureuse, handicap ou maladie grave et définitive … La réponse dépend du lieu où nous allons planter les idées de “droit” et “dignité”. Si nous prenons les plus hautes catégories de la science juridique et nous les mettons en place dans le sol glissant d’une volonté qui veut étendre son pouvoir à tout domaine de la vie, le produit final ne sera pas “une personne humaine”, ce ne sera pas même “une vie humaine”, mais ce sera “une chose”. Et pour finir ce sera le marché, et non certes pas le droit, à décider l’heure de notre mort, amen.     

 

      Celui des droits est un terrain glissant, comme pour la science en général. Jusqu’à la deuxième guerre mondial la physique était sur un piédestal. Avec les bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, les physiciens ont perdu leur virginité. La chimie a repris le sceptre, avec la promesse d’un contrôle global de l’agriculture et de l’alimentation, contre la faim et la pauvreté, mais on s’est retrouvé avec un monde pollué, contaminé, appauvri. Les chimistes aussi ont baissé les oreilles et ils ne se déclarent plus si fiers qu’autrefois. Actuellement c’est le tour des généticiens qui, avec tout un gâchis de bonnes intentions, sont en train de préparer des scénarios d’aliénation tels que l’humanité n’en a jamais connu. La science est magnifique, mais elle peut aller contre l’homme !   

 

      Il y a des revendications de droits qui ne sont vraiment pas des “droits”, c’est-à-dire qu’ils n’appartiennent pas à l’ordre de la justice, mais se configurent comme des vrais “arbitraires” de la volonté souveraine. De l’arbitraire à la “marchandisation” il n’y a qu’un pas. En ayant la possibilité “d’en finir le plus tȏt possible”, les personnes âgées seraient exposées à l’invitation polie à “se retirer” au juste moment, de la part des pauvres héritiers qui doivent régler leurs problèmes financiers. Les avocats prendront la place des bienveillants “assistants au suicide”, et ils ouvriront les portes des homes à l’euthanasie volontaire et préventive. En cette situation-là, les malades ne se sentiront jamais plus en sécurité, si les fils ou les gardiens de leurs intérêts ne les emmènent pas à l’hôpital pour les soigner, mais pour classer leur dossier de manière définitive. La confiance naturelle entre les malades et leurs familles, les soignants et les médecins, deviendra souvenir du passé. L’institution hospitalière, haut lieu de la santé, commencera à répandre un air de cimetière: une fabrique de morts. Mais … existe-t-il un droit à naître dans une autre planète plutôt que celle-ci, un droit de choisir sa maladie ou sa mort? Sȗrement pas: on naît, on vit et on meurt au-delà de notre volonté, raison pour laquelle la dignité de l’être humain ne coïncide aucunement avec un acte de sa volonté.

 

      L’alternative à ce procès de “chosification” de la vie humaine existe. La promotion de la dignité humaine ne se révèle pas en exaltant la liberté du “moi” individuel, mais en vivant en société et en établissant des relations de solidarité avec les proches, de manière à permettre à l’individu de devenir une “personne”, de devenir quelqu’un qui jusqu’au bout sait “rester devant les autres”. La vraie disgrâce n’est pas la souffrance, mais de souffrir tout seul; ce n’est pas la mort, mais de mourir tout seul. Si nous voulons échapper à ce malheur, nous devons donner de la force aux liens primaires et viser une société plus solidaire. Un dicton populaire résume ainsi la question: “qui mange tout seul, crève tout seul”. Traduit en un langage politiquement correct: “moins d’autodétermination de la volonté, et plus de solidarité entre les personnes”. Pour les chrétien il est bien naturel de fonder le droit “au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit”: que les autres le fassent “au nom de l’homme, de la femme et des générations futures!”

 

Amen

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