JE VOUS LAISSE LA PAIX

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fȇtes

Année C - VI de Pâques (Jn 14, 23-29)                                                        

par André De Vico, prêtre

correction française: merci à mes amis                                                                   

 

      “Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix; ce n’est pas à la manière du monde que je vous la donne” 

 

      Le Concile Vatican II s’ouvre avec le célèbre discours de Jean XXIII: “Gaudet Mater Ecclesia”, “Notre sainte Mère l’Eglise est dans la joie” (11 oct. 1962). Il faut du courage pour dire cela, dans le dangereux contexte de “guerre froide” et de tension internationale dans la crise des missiles de Cuba! (16-28 oct. 1962). Le monde risqua la troisième guerre mondiale, et la Pape a dit: “nous sommes dans la joie!” Un peu plus tard, la Gaudium et Spes, au n° 78 affirme: “La paix n’est pas une pure absence de guerre et elle ne se borne pas seulement à assurer l’équilibre de forces adverses … mais c’est en toute vérité qu’on la définit ‘oeuvre de justice’ (Is 32, 17)”. Une “pax aequilibrata” consiste dans “équilibre entre les parties”: s’il y a deux ennemis avec trente missiles pointés les uns contre les autres, nous pouvons dormir tranquilles, mais si l’un des deux augmente même un petit peu son arsenal, alors nous sommes en danger. La célèbre “pax romana” indique cette longue  période de paix imposée par tout l’Empire grâce au pouvoir d’Auguste, quand la loi romane pacifia des vastes régions qui avaient souffert des disputes des chefs rivaux. De même, on pourrait aujourd’hui parler d’une “pax americana”, garantie - pour ainsi dire - par le système capitaliste des démocraties modernes. Prenons aussi la “pax mafiosa” avec son ordre et son code d’honneur mais … est-ce la paix? 

 

      Le Seigneur ne donne pas la paix de cette manière, et il est bien étrange qu’il en fasse don à la veille de l’événement le plus décisif de sa vie, la Passion: “Que votre cœur ne soit pas bouleversé ni effrayé”. Il savait ce qu’il allait se passer, pourtant il invite les siens à garder le cœur en paix! Cette “pax christiana” ne dépend pas des circonstances extérieures plus ou moins favorables, mais est quelque chose que l’on accueille en toute liberté dans le cœur de chacun. N’importe quel événement extérieur, serait-ce la Passion de notre Seigneur, ne peut que briser la vague, mais jamais enlever la paix. Si sur la surface en tempête l’eau est agitée par les vents violents, quelques dizaines de mètres en dessous une calme absolue règne. Une personne fragile peut conserver une paix profonde même en situation de grande difficulté, alors qu’il y a apparemment des gens forts qui entrent en crise au moindre accroc.  

 

      Qu’est-ce qui se passe dans notre cœur quand il perd la paix? Prenons l’exemple de ce que l’on appelle “dépression”. Tout au début il y a une petite pensée négative, fastidieuse et apparemment inoffensive, non controlée, qui dépasse les bornes et devient quelque chose d’énorme, de monstrueux, d’insupportable. Même en parlant des personnes anxieuses on ne peut pas dire qu’elles soient en paix: s’il y a un péril, elles le font devenir plus grand; s’il y a une difficulté, elles la multiplient par cent, et transmettent leurs angoisses aux enfants et adolescents. Comment se fait-il qu’un minuscule grain de sable s’impose sur nous avec une puissance telle qu’il bouleverse l’existence? La psychologie moderne, née au début du siècle passé, a relégué le mot “âme” dans le placard des vieilleries, et a intronisé le terme “psyché” dans la salle principale, croyant ainsi gagner un crédit scientifique. En réalité, ayant dédaigneusement laissé l’“âme” aux amoureux, aux poètes et aux théologiens, la naissante psychologie moderne n’a fait qu’un “lifting” de mots: au fond, les thèmes et les problèmes restent toujours les mêmes. D’un point de vue étymologique, nous sommes en présence du même mot: “psy-” (en grec) et “anemos” (en latin) signifie le “souffle d’air” qui sort de la bouche, le “souffle de vie” qui métaphoriquement abandonne le corps au moment de la mort, pour mener une existence d’ombre, ou pour glisser dans le trou noir duquel il serait venu.    

 

      En dépit de ses propos de sciences, le psychologue qui ne parvient pas à donner un nom au malaise d’un patient, peut le placer par exemple dans la chaudière de la “dépression”, concept du 19ème siècle qui remonte à l’invention de la chambre à vapeur. D’autres confortables et intéressants placards qui peuvent faire office de système provisoire des anomalies et des symptômes inclassables, portent l’étiquette de “schizophrénie” “hystérie” “paranoïa” “syndrome” … En réalité, la vie psychique (ou “vie de l’âme”) présente des dynamiques qui échappent complètement à la méthode scientifique. Le phénomène lui-même de la “maladie” n’est pas tout à fait vraiment “scientifique”. Par exemple, comme chez le patient “soudainement” qui tombe malade, et de manière aussi “mystérieuse” retrouve la santé. Ce qui cause une légitime question: le succès des soins est-il dû au traitement thérapeutique, ou est-ce la nature qui a suivi son cours? Et l’éventuel insuccès des soins est-il dû à une insuffisance du thérapeute, ou à une sorte de “destin” inscrit dans les chromosomes, un “influx social” ou une “volonté divine?” En tout les cas, il y a toujours un mur contre lequel on va se cogner la tête. On dirait que la pratique médicale et psychologique a plus de choses en commun avec l’attitude des chamans et des prêtres, qu’avec la méthode des scientifiques, qui est basée sur la mesure, la classification et la reproduction des phénomènes. La médecine elle-même, aux origines, était strictement apparentée à l’art de la divination, donc ça ne surprend pas le fait qu’aujourd’hui comme hier les médecins sont un peu poussés à “deviner”, à “dire et ne pas dire”, comme l’oracle de Delphes, au sujet de l’état de santé de leurs patients. Ils ne peuvent pas faire autrement, vu que l’objet de l’art médicale impossible à définir scientifiquement est “la santé!”         

 

      En allant plus loin, dans la vie des personnes il se passe comme dans les guerres entre les peuples: à la base d’une maladie ou d’un conflit international il y a toujours un grain de sable, un mauvais choix, une position prise, une pomme de discorde, un commerce illicite. Dans ces cas-là elle ne s’appelle pas “maladie”,  mais “injustice” et “péché”, les termes classiques qui indiquent la rupture d’une relation entre les humains, et l’offense menée au Créateur dans l’image de la créature. Si le mot “péché” ne plait pas, on peut le substituer avec: “culpabilité, transgression, corruption, violation, chute, vice, perversion, tromperie, scandale, délit, crime …” ce sont des choses qui existent et qui se produisent: celui qui les fait, tôt ou tard tombe malade! Il est difficile à démêler l’incroyable enchevêtrement entre le péché et la maladie: l’un se réfère à l’autre, l’un se nourrit de l’autre! Platon avait déjà parlé de la maladie comme manifestation d’un “excès de plaisirs” ou un “défaut de félicité”, ce qui nous pousse à regarder bien au-delà d’une “dépression” facile.      

 

      Donc il y a des maladies qui ne viennent pas de la nature, mais d’un mauvais choix, d’une vie effrénée, d’une idée corrompue! Même les préjugés, les opinions communes et les scénarios culturels peuvent être d’excellents bouillons de culture pour les maladies les plus diverses. Comme une maladie survient, les nœuds de l’histoire personnelle passent au peigne fin, et chacun se retrouve face aux injustices commises ou reçues: celles commises pèsent le plus. Si nous voulons prendre soin du malade, il faut nécessairement tenir compte de ce “mystère d’iniquité” qui touche la vie de chacun. La science, si utile et raffinée qu’elle soit, si reconnaissants que nous pouvions être envers elle, restera toujours un simple dispositif externe. Pour le reste, nous devrions être tous un peu théologiens, un peu psychologues et un peu humanistes, parce que la question nous sera posé à notre tour, quand l’autre nous demandera: “pourquoi je souffre? qu’est ce que j’ai fait pour mériter cela?” Nous avons tous le pouvoir de dire quelque chose, et remettre un peu de paix dans ce lieu où la personne a pris les décisions qui l’ont liée à son mal: son coeur! Et si en ce travail nous mettons la foi, c’est le maximum: la personne connaitra la paix que seul le Seigneur peut donner!         

        

Amen

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