LE COMMANDEMENT NOUVEAU

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fȇtes

Année C - V de Pâques (Jn 13, 31-35)                                                         

par André De Vico, prêtre

correction française: merci à mes amis  

 

 

      “Je vous donne un commandement nouveau: c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres” 

      

      L’Apocalypse nous parle d’une nouveauté cosmique: “un ciel nouveau et une terre nouvelle”, une “Jérusalem nouvelle”, avec “celui qui siégeait sur le Trône” qui déclare avoir le pouvoir de faire “toutes choses nouvelles” (Ap 21, 1-5). Ces marques de “nouveauté” sont présentes aussi chez Isaïe: “Voici que je fais une chose nouvelle” (Is 43, 19); et dans les Psaumes: “Chantez au Seigneur un chant nouveau” (Ps. 97). Nous retrouvons cette “nouveauté” dans la racine même du terme “Évangile / Eu-angellion”, que nous traduisons: “bonne nouvelle”. Aujourd’hui Jésus nous dit: “Je vous donne un commandement nouveau: c’est de vous aimer les uns les autres …” À vrai dire, ce “commandement” n’est pas si “nouveau” qu’on le pense, il était déjà connu dans l’Ancien Testament, comme par exemple: “Tu ne garderas pas de rancune contre les fils de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même” (Lev. 19, 18). Mais sur la bouche de Jésus l’amour se rénove: “Comme je vous ai aimés, vous aussi aimez-vous les uns les autres”. La “nouveauté” n’est pas dans l’amour, mais dans Jésus lui-même, dans sa façon d’aimer: jusqu’à “donner sa vie” pour ses amis  (Jn 15, 13).

 

      Le commandement initial de Moïse, “Tu aimeras ton prochain comme toi-même”, est très proche des “maximes universelles” qui plaisent tant à Kant, philosophe allemand du siècle des lumières, initiateur de la moderne “morale laïque”: “Agis de telle sorte que tu traites l’humanité, aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen”. À partir de lui, la “raison” devient l’unique étalon de mesure pour la morale, et cela même chez les auteurs qui ne suivent pas son approche idéaliste. Nous avons là une des principales caractéristiques des temps modernes: la morale éteint l’interrupteur de la révélation et s’accroche à celui de la raison. Ce n’est pas pour rien que la modernité est un fruit de l’illuminisme: la lumière ne vient plus de Dieu, mais de la raison. “Je m’illumine d’immensité?” … non: “je m’illumine de moi-même!” Toutefois, malgré les déclarations solennelles, le philosophe transcendantal demeurait complètement indifférent face à tout ce qui se passait dans le monde de l’immanence environnante. On dit que seul deux événements furent capables de le sortir de sa proverbiale promenade quotidienne: le bombardement de sa ville et le jour de sa mort. Pour le reste, on ne peut pas faire de lui un champion d’amour fraternel! Péguy dit que le kantisme a les mains pures, mais il n’a pas de mains: au plan de l’action concrète il est inapplicable, il est inefficace.   

 

      Quant au mot: “neuf”, il y a beaucoup de mensonges, surtout dans le champ de la publicité, présentée comme l’“ȃme du commerce”. L’objet produit est paroxystiquement présenté comme la solution pratique à l’ennui et à la douleur d’exister. Le problème est qu’à l’épreuve des faits l’achat déçoit parce que la faim revient. Alors la publicité s’invente l’offre d’objets toujours plus “neufs”, ce serait la réponse dont nous avions besoin pour contrer le mécontentement qui suit la réalisation d’un achat. Il suffit de modifier le pourcentage d’un principe actif, ajouter des ferments lactiques ou des bulles d’air, et voilà que le produit devient miraculeusement “neuf”: un yoghourt, un détergent, une crème, une boisson … Même les sandwiches deviennent “neufs”, et ça fonctionne! En réalité, toutes ces “nouveautés”, ne font qu’approfondir le sillon, tout en creusant de nouveaux “vides”. Rappelons-nous de l’obsolescence programmée d’un appareil TV conçu pour s’adapter aux lendemains riches de milliers de canaux, mais qui très vite sera obsolète, en attente d’être remplacé. 

 

      Pensons aussi à l’incroyable difficulté de nos pauvres grand-parents modernes qui se voient obligés de faire des cadeaux à leur petits enfants en choisissant toujours le dernier modèle d’un dispositif qui devrait satisfaire une voracité audio-visuelle sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Des grands-parents désespérés résolvent le problème de la manière la plus anti-pédagogique possible: “tiens de l’argent et achète-toi ce que tu veux”. À ce point-là mieux vaut s’épargner la peine du cadeau, éviter d’encombrer l’espace, et faire une belle promenade ensemble, le dimanche, en barque.

 

      Le problème s’amplifie quand les relations humaines se figent sur le modèle des objets. En Europe, des codes du Droit Familial ont supprimé toute référence à la fidélité, comme si le fait de rester attaché à la même personne pour toute la vie soit impensable, dans un temps qui exige l’échange continu de l’objet. On imagine l’amour avec une date de péremption. On imagine le temps de l’amour comme une marchandise faite pour s’avarier. Ainsi, les personnes se lancent à la désespérante recherche d’un nouveau partenaire, comme pour un frigo ou une télévision à changer, car devenu obsolète.

 

      Si d’un côté la publicité fait connaître les sociétés et crée des nouveaux contacts avec les clients, de l’autre elle semble se comporter comme une “sacrée coquine’’ qui a perdu le vrai sens de la vocation féminine: “âme du commerce” ou “commerce de l’âme?” Si après un premier moment d’enthousiasme nous nous retrouvons avec un sentiment de vide suite à un achat, si la robe que nous avions acheté à la boutique une fois remise à la maison ne semble plus la même, cela veut dire que nous avons été trahi, que nous cherchions l’amour et nous avons trouvé du marchandage. Rien de nouveau: dès la lointaine antiquité les hommes sont habitués à renoncer imprudemment à une partie de leur vie en échange de quelque chose qui emmène un peu de beauté, de jeunesse, de bonheur. Ce n’est donc pas de sa faute si la publicité interprète mal sa mission: elle parvient à nous chatouiller là où nous laissons le nombril à découvert, elle nous donne les envies que nous voulons. Au contraire, si au-dessus de nos pensées, au lieu des verbes: “prendre et acheter” nous apprenions à conjuguer “partager et donner”, cela permettrait de créer le ciel nouveau et la terre nouvelle de Jean et d’Isaïe. C’est à nous de les faire venir! Ce n’est pas au marché de décider ce qui est “nouveau” pour de vrai, mais à nous de mettre toute l’attention sur l’amour entre les personnes!    

 

      Un journaliste, en regardant de quelle manière Mère Teresa soignait les plaies des mourants et en lui demandant comment elle faisait pour en supporter la vue, disait qu’il ne l’aurait fait “pas même pour tout l’or du monde”. Mère Teresa répondit: “Moi non plus. Mais pour Jésus, oui!” Voici une nouveauté, la plus bouleversante de toutes: la morale des chrétiens n’est pas une idée rationnellement illuminée, et moins que jamais un échange de biens ou de services, mais c’est une Personne qui se révèle au maximum de l’amour: donner la vie pour les amis! Nous sommes aux antipodes de la morale laïque et mercantile.  

  

Amen

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