JEUDI SAINT, LE DRAME DE JUDAS

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

Année ABC - Jeudi Saint (Gv 13, 1-15)                                                       

par André De Vico, prêtre

correction française: merci à mes amis

 

 

      “Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge …”

 

      Dans une Création si harmonieuse et parfaite, on constate un principe de disharmonie qu’il est correct d’appeler: “Diable”, tiré du grec “dia-ballo”, qui signifie “diviser”. Le “Diable” est la personnification de la division, il est celui qui divise: “le Diviseur”. Par contre, le mot “Symbole” est tiré de “syn-ballo”, qui signifie: “mettre ensemble, unir”. Pour les chrétiens, le symbole par excellence, le “Symbole de la foi”, l’Eucharistie, est le Christ lui-même! Il n’est donc pas étonnant qu’à l’instant précis où Jésus annonce le nouveau symbole de l’unité que le Diviseur s’insinue! Jésus rompt le pain pour que tous soient un, mais Judas a déjà pris ses décisions. 

 

      Plus tard Jésus annonce la trahison, mais il ne dit pas le nom de celui qui va le trahir. Tous se regardent, extrêmement bouleversés, ne sachant pas de qui il parlait, vu qu’il était si bien caché! Pierre, pour avoir l’information, fait signe à Jean, le disciple qui est dans la confiance, et celui-ci, à voix basse, repose la question à Jésus: “Seigneur, qui est-ce?” En signe de réponse, Jésus trempe une bouchée et la donne à Judas. “Et, quand Judas eut pris la bouchée, Satan entra en lui. Jésus lui dit alors: ‘Ce que tu fais, fais-le vite’ ” (Gv 13, 25-30). Des icônes montrent la figure de Judas dans l’acte furtif de quitter la salle, en train de vomir la bouchée de la trahison. On dirait que Judas ne communie qu’extérieurement, mais qu’il n’arrive pas à digérer la bouchée, parce qu’il a déjà dans l’idée pris la décision de le trahir. La “première communion” de Judas! 

 

      Dès l’antiquité on a écrit des romans (dits “apocryphes”, “successifs”) qui se prolongent idéalement dans certains films d’aujourd’hui, qui proposent l’idée d’un Judas “prédestiné” à la trahison, parce qu’un traitre était nécessaire au fonctionnement du plan divin du salut! Le film-culte “Jésus Christ Superstar” en est un exemple: une magnifique création “rock” des années ’70, que certains jugent “magnétique, accablant, émouvant”, et d’autres comme “un blasphème contre le Christ”. En réalité, les auteurs déclarent vouloir présenter la figure du Christ telle que Judas la voyait. Le film développe la thèse que Judas ne croyait pas vraiment que Jésus était Dieu, mais qu’il n’était un simple conducteur de foules. Judas éprouvait envers lui un excès d’admiration, et il pensait de devenir lui-même un grand homme, se mettant dans son ombre, mais il en fut déçu, parce que le mouvement créé par lui, à moment donné, lui échappa. Judas l’aurait donc trahi pour cette raison: après l’avoir idolâtré, il l’a envié. 

 

      Dans la danse finale, un Judas virtuellement réhabilité pose sa question capitale: “Jésus Christ, qui es-tu? Qu’est ce que tu as sacrifié? Tu penses vraiment être ce qu’ils disent de toi?” En un mot, ce film montre Jésus du point de vue du “Diviseur”. Une telle perspective a toujours un grand impact sur le public: le point de vue de Satan est toujours plus attrayant, non pas par la beauté de Satan lui-même, mais par la fascination de sa beauté déchue. La ruine du monde serait plus intéressante que le monde lui-même. Une cathédrale qui brûle fait plus de sensation qu’une cathédrale qui exerce ses fonctions sacrées: célébrer le Mystère Pascal du Christ. Monument National, ou Mystère Pascal? En tout cas, nous sommes tous touchés et consternés! Pour revenir au film, le fait est que, afin d’éviter toute polémique, les auteurs déclarent de ne pas toucher la question de savoir si Jésus était Dieu ou non: chacun donnera sa réponse, comme au seuil d’une Cathédrale cruellement blessée par le feu, ce lundi saint 2019.     

 

      En réalité, le drame de Judas est bien plus sérieux que ces hypothèses farfelues que l’on fait pour le disculper. Si nous voulons donner des réponses appropriées au cas-Judas, ce n’est pas en s’appuyant sur la mauvaise idée de la prédestination, ni à partir de l’évangile de Jésus Christ selon Dan Brown, mais en travaillant les témoignages des quatre évangélistes, qui d’ailleurs sont les seuls à avoir vu et transmis les faits directement. Tout au plus, on pourrait ouvrir un bon chapitre de théologie sur “la prédestination de l’homme au salut, selon le plan divin”.  

 

      Il faut chercher à comprendre pour quelle raison Judas est précipité en un abysse d’abjection jusqu’à vendre son Maître pour un peu d’argent. Il a eu la grâce d’être appelé dans le nombre des Apôtres, mais évidemment l’élection divine ne suffit pas pour assurer le salut. Les Évangiles parlent d’un besoin irrésistible de possession, de sa part. Il avait la bourse du groupe, et de temps en temps il faisait des petits retraits en sa faveur, tel un sacristain indigne de confiance. Dans le cas de Judas, Satan avait profité de cette fissure, pour se glisser dans son esprit. Dans les cas d’épilepsie ou de maladie psychique, on parle facilement de “possession démoniaque”, mais on ne prête guère attention à la vraie “possession” qui se produit quand l’esprit d’un homme - pourtant physiquement en bonne santé - se laisse envahir par la mauvaise volonté de prévaloir sur les autres.

 

      Le drame de Judas ne cesse de secouer les consciences. Tout chrétien peut considérer avec horreur la possibilité d’être lui-même un Judas, s’il trahit son Maître, sa foi, sa morale, sa communauté de frères. Cela signifie que moi aussi je risque de devenir un “possédé”, quand je prends des telles décisions. C’est moi qui donne la possibilité à Satan d’“entrer” en moi, avant même de consommer mon crime! Ce n’est pas Dieu le mystère: il réside plutôt dans la part d’un homme qui, au lieu de choisir le mieux, se dirige vers le pire! Ce fameux discours de la “prédestination” de Judas à la trahison n’est qu’une mesquine excuse des mauvaises consciences qui cherchent à impliquer Dieu dans les actions qu’elles ont choisi de faire. Ce n’est pas pour rien si de temps en temps il y a quelqu’un qui cherche à réhabiliter Judas, le soustrayant à ses responsabilités, afin d’atténuer ses propres responsabilités! Il y a des gens qui abhorrent tellement toute considération des conséquences de leurs actions, qu’ils donneraient à Lucifer lui-même la possibilité de se convertir! 

 

      En réalité, ce soir de la dernière cène, Jésus a prié aussi pour Judas. Jésus ne l’abandonne même pas quand Judas, ayant ouvert son cœur à Satan, consomme sa trahison: “Mon ami, ce que tu es venu faire, fais-le!” (Mt 26, 50) “Judas, c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’homme?” (Lc 22, 48). Au moment exact où le Malin achève son chef-d’œuvre de méchanceté, Jésus jette un pont de miséricorde infinie, en appellent Judas avec le doux nom de “ami!”

 

      Nous ne savons pas si ce suprême geste d’amour de la part du Maître a fait une brèche dans son cœur, si Judas a retiré ou pas sa décision. Nous ne pouvons pas dire si l’abîme du désespoir de Judas a pu être comblé par la haute miséricorde du Christ. La trahison de Judas a été le plus odieux et diabolique des péchés, mais cela n’a pas forcément conduit à sa perte. En effet, Pierre aussi a renié le Christ, mais il a demandé pardon. Il n’y a que le désespoir du salut, qui puisse perdre un homme! Au diable la très mauvaise idée de la prédestination au mal!

 

      Amen 

      

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