LA PEUR DE L’APÔTRE

Année A - XII Ordinaire (Mt 10, 26-33)                                                                                   Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Ne craignez donc pas ces gens-là … Ne craignez pas ceux qui tuent le corps sans pouvoir tuer l’âme; craignez plutôt celui qui peut faire périr dans la géhenne l’âme aussi bien que le corps ...”

      

      Cette page de l’évangile présente un discours de Jésus filtré par l’expérience difficile des premiers missionnaires de la communauté de Matthieu, dans les décennies précédant les années ’80. Dès que les chrétiens commencent à accomplir leur mission, voici les premières difficultés: l’opposition du monde, l’attitude hostile de la culture dominante, l’incompréhension de l’opinion publique.

 

      Depuis l’époque de Moïse, le peuple élu a exprimé un phénomène sans égal dans l’histoire: le prophétisme. Des hommes se sont levés pour annoncer les exigences d’une loi divine, tandis que d’autres nations de l’Orient ancien étaient dominées par les oracles, les voyants, les chamans, les haruspices et d’autres personnages de ce genre (tellement d’actualité de nos jours). Dès le début, les prophètes ont dû faire face à la réaction violente des destinataires de leur message. Ils ont annoncé la Parole de Dieu - par exemple - contre la corruption des puissants et exploitation des pauvres. Le premier des prophètes mineurs, Amos, dénonçait l’engagement illégal des travailleurs agricoles: on échangeait le travail et la vie des pauvres contre une paire de sandales!

 

      Même aujourd’hui, la présence d’un véritable apôtre s’avère dérangeante pour tout public, tandis que les magiciens et ceux qui expriment des dons de clairvoyance, sont considérés comme des gens bien-intentionnés plus gentils et rassurants, prédisant ce que l’on aimerait entendre.

 

      La mission de l’apôtre devient particulièrement douloureuse lorsqu’elle s’adresse à la communauté dans laquelle il a été envoyé. Les gens parfois sont indifférents, mal disposés, ils ne veulent rien savoir de son message, ils espionnent ce qu’il fait, ils le méprisent, ils le ridiculisent, ils le soumettent à toutes sortes de pressions. 

 

      Cela ne doit pas surprendre. Le véritable apôtre est celui qui, mû par une vocation ou par quelque chose de plus grand que lui, donne sa vie pour des gens qui - d’avance déjà - ne montrent pas un grand besoin de l’entendre. Le véritable apôtre vit cela dans sa chair, au point de se mettre en doute lui-même, de douter de sa mission, de Dieu. La fidèle proclamation de la Parole de Dieu est une mission dangereuse, parfois insoutenable, il doit annoncer des réalités étrangères à l’esprit du monde, comme cela est arrivé à Jérémie: “J’entends les calomnies de la foule … Tous mes amis guettent mes faux pas …” (Ger 20, 10)

 

      Dans la considération de l’opinion publique, si quelqu’un prétend faire quelque chose dans un esprit de service volontaire, le monde le comprend car il rentre dans ses paramètres. En fait, à un moment donné, ça fait du bien a tous de se sentir des des types bien, qui savent quoi faire pour se donner une bonne conscience. Mais si quelqu’un dit qu’il fait du bien pour l’amour de Jésus ou de son Dieu, son affirmation rencontre l’inévitable incompréhension du milieu environnant, elle est vue avec suspicion, comme s’il s’agissait d’une action peu humaniste, pas illuminée, conditionnée par la morale extrinsèque d’une récompense éternelle improbable et illusoire. Ils ne voient pas que le premier humaniste est Dieu.

 

      À cet égard, le bénévolat humanitaire semble bien plus facile et plus gratifiant qu’ un apostolat qui coopte une personne tout au long de sa vie. À un certain moment, le bénévole peut également décider de lui-même de mettre terme à son action, ou il peut choisir un autre domaine de travail plus intéressant. L’apôtre non: l’apôtre reste par définition constamment disponible pour aller là où il est appelé. Son point fort n’est pas dans l’ esprit d’initiative, mais dans son mandat.

 

      Il faut aussi constater que dans l’Église actuellement on parle beaucoup de bénévolat, et très peu d’ apostolat. Est-ce que ce changement de mots indique un recul de la Foi? Si l’Église se limitait au bénévolat, quelle raison aurait-elle de continuer à exister en tant qu’Église?

 

      Prenons l’exemple d’un pasteur ou d’un prêtre qui se limite à une pastorale professionnelle, de façade, juste pour satisfaire un minimum requis. Si l’Évangile perd de sa force d’impact et ne contraste pas avec l’injustice sociale, à quoi bon le lire tous les dimanches à l’Eglise? Il y a toute une foule de gens qui poursuivent leurs passions et leurs idolâtries, au risque de perdre une éternité de bonheur, et ce pasteur / prêtre que fait-il? Le type tout sympa qui part à la rencontre de tous sans discernement? L’organisateur d’événements? Le philanthrope? L’amateur d’art? Lorsqu’une communauté, en celui qui doit la guider, au lieu d’un aiguillon, trouve une figure rassurante qui confirme une vision traditionnelle du monde, ce n’est plus l’Évangile.

 

      Le bon pasteur ne doit pas travailler pour la sécurité du monde (ce que d’autres doivent faire), mais pour son salut. Comme seul Dieu sauve, le vrai apôtre doit continuer sans avoir peur de rien. Il y a quelqu’un qui sait tout: “Soyez sans crainte: les cheveux de votre tête sont tous comptés!” (Lc 12, 7). C’est Lui qui a vaincu le monde!

 

      Amen

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