CHAIR À MANGER

Année A - II Dimanche après Pentecôte, Le Saint Sacrement  (Jn 6, 51-58)                           Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

par Andrea De Vico, prêtre

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice   

 

 

    “ ‘Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel: si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour la vie du monde’. Les Juifs se querellaient entre eux: ‘Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger?’ ”

       

      Les paroles de Jésus et les perplexités des Juifs s’expliquent dans le contexte de l’économie sacrificielle du Temple de Jérusalem, capitale et fierté de la nation de Juda. Le Temple de Jérusalem était un authentique boucher industriel, et ses prêtres - entre autres - étaient également des bouchers experts. Les dizaines de milliers d’animaux destinés au sacrifice pendant l’année, étaient abattus et vidés de leur sang qui coulait sur l’autel comme une vie offerte à Dieu, tandis que la viande était consommée par les fidèles. Lorsque les Juifs ont entendu les paroles de Jésus, ma chair pour la vie du monde ..., ils ont eu l’idée absurde de penser qu’un homme serait traité comme un animal de boucherie, démembré, écartelé et donné en nourriture à d’autres hommes: une invitation au cannibalisme! Des hommes qui mangent la chair d’un autre homme? Voilà l’expression d’un fou, horrible et dégoûtante.

 

      Mais l’idée la plus scandaleuse était de lier ce banquet sacrificiel absurde à une promesse de vie éternelle, pour la vie du monde, ce qui est une prérogative divine! En plus de l’horreur qu’ils suscitent, ces mots présentent toutes les qualités d’un vrai vrai blasphème. Ce n’est pas la première fois que Jésus irrite profondément ses interlocuteurs, opposant le culte sacrificiel du Temple avec le nouveau culte qu’il est venu établir, mais cette fois il est allé au-delà de la mesure, avec ce langage de boucherie! Les interlocuteurs de Jésus, entendant ces paroles, sont profondément ébranlés et scandalisés, et beaucoup de ses disciples l’abandonnent. Dans la nature, l’être supérieur assimile généralement l’inférieur. Si je plante une salade, la salade assimile les sels minéraux du sol. Si une chèvre s’approche, elle mange la salade et elle l’assimile. Si je mange de la viande de chèvre, elle sera à mon tour assimilée de ma part. Finalement, la mort survient et elle mange tout. Dans le royaume de la nature, la dictature implacable de la chaîne alimentaire est en vigueur: tous mangent, avant de finir de se faire manger. La mort voulait faire la même chose avec le Christ:

 

      “Il arriva que la mort s’approchât du Christ pour le dévorer avec sa sécurité et son inévitabilité habituelle. Elle n’a cependant pas remarqué que la Vie était cachée dans le fruit mortel qu’elle allait manger. C’est ce qui a provoqué la fin de la dévoratrice inconsciente et incontournable. La mort l’a avalé sans crainte, et il a libéré la vie, et avec elle la multitude d’hommes” (1). 

      

      La mort a donc avalé le Christ sans savoir qu’elle avait à faire à la Vie en personne, donc elle n’a pas pu le digérer, elle a dû le vomir comme le fit la baleine avec Jonas. La grande prédatrice a fait une grosse erreur en emmenant le Christ pendant trois jours dans ses grottes! Nous aussi, tôt ou tard, la mort nous engloutira, c’est une étape nécessaire, mais elle ne peut plus nous faire peur. Puisque nous nous serons préalablement nourris de l’Eucharistie, la mort nous trouvera … quelque peu indigestes et nous ramènera à l’immortalité. Un mystique dit que l’Eucharistie est le pain nécessaire pour soutenir le pèlerinage terrestre (le viatique, le pain du voyage, le pain des pèlerins), dont le but est d’entrer dans le Royaume céleste: “Ce pain, ce corps qu’ils auront amené avec eux en partant [de ce monde], c’est ce même qui apparaîtra aux yeux de tous ... [En effet], Jean dit: nous le verrons tel qu’il est” (2). C’est vrai, les matérialistes ont bien raison: l’homme est ce qu’il mange. C’est pourquoi nous nous nourrissons du pain du ciel: pour être nous-mêmes le ciel!

 

(1) Saint Efrem Diacre, Office des lectures, Vendredi de la troisième semaine de Pâques

(2) Nicola Cabàsilas, De vita in Christo 4, 102.107

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