L’ORIENTATION DE LA PRIÈRE

Année A - Ascension (Ac 1, 1-11) - ou VII Dimanche de Pâques (Jn 17, 1-11)

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fȇtes                

par Andrea De Vico, prêtre                                                         

correction française : Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Jésus leva les yeux au ciel et dit: ‘Père, l’heure est venue. Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie”.      

 

“Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel? Ce Jésus qui a été enlevé au ciel d’auprès de vous, viendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel”

 

      La prière de Jésus est orientée vers le Père, c’est évident. Puis il monte au ciel en laissant les apôtres étonnés sur terre: deux anges ont dû intervenir pour les sortir de leur état de torpeur contemplative et les appeler à des responsabilités terrestres. 

 

      Les premiers chrétiens, dans le sillage de l’expérience apostolique, ne prieront plus en direction de Jérusalem, comme le faisaient les juifs du monde entier, ni comme le feront les musulmans en direction de La Mecque, mais ils diront: “Maranathà” “Viens, Seigneur Jésus”, se tournant vers le lieu d’où le Seigneur reviendrait, le ciel, l’est, le soleil levant. La direction de la prière a donné lieu à des controverses qui ont conduit à la séparation définitive du christianisme et du judaïsme. La nouvelle Foi chrétienne s’est libérée de la centralité de l’autel juif avec ses rites de sang, et la nouvelle prière liturgique a été déviée en direction du Seigneur qui vient. Sa personne remplace l’autel, déclassé en un simple support pour les offrandes de pain et de vin. 

 

      Puis les églises ont commencé à être construites. Les bâtiments idéaux pour le nouveau culte ont été conçus comme un navire en forme de croix (lignum) pour signifier que, pour avoir le salut dans l’océan tumultueux du monde (et la mer du Web), il nous est offert le sauvetage du lignum crucis, le navire de la croix, et orienter le chemin de l’assemblée chrétienne vers le port définitif du Seigneur qui vient! La liturgie le souligne toujours avec vigueur: nous attendons sa venue!

    

      À partir des années 1700, lorsque les Lumières de la raison voulurent remplacer celles de la Foi, dans le monde catholique il y eut une sorte d’illuminisme fait-maison, et on commença à penser que le culte divin devait servir à construire l’individu et la société. Comme la culture moderne est née dans le but de détacher l’homme de Dieu, la théologie de l’époque a pris soin de légitimer la liturgie en mettant en évidence son rôle fonctionnel. La venue du Seigneur passa au second ordre, en faveur de l’attention portée au peuple. Le culte commença à être limité à un horizon humaniste. 

 

      Après Vatican II, l’idée fantastique est apparue - qui n’est écrite nulle part - que le célébrant, pendant ses fonctions, doit rester constamment positionné en direction du peuple. Il est arrivé que certains prêtres soixante-huitards, pour la frénésie de montrer leur visage au peuple, ont littéralement massacré des autels anciens et précieux. Dernièrement, on a construit des églises et des chapelles conçues pour faciliter les relations sociales d’un cercle d’amis qui se rencontrent, mais c’est faux, il y a d’autres contextes pour ce faire, un bar à vin en ferait meilleur office.

 

      Ainsi, au tournant des Lumières, la communauté a perdu la direction de la prière et a fini par se clore dans un dialogue avec  elle-même. Au lieu de se tourner physiquement et intimement vers Dieu, certains prêtres sont devenus de narcissiques théologiens. Ils se sont placés devant les gens avec des visages sombres et ils en ont profité pour exprimer leurs frustrations, ou bien ils se sont présentés comme des types socio-sympa, pour avancer leurs théories particulières au lieu d’annoncer  l’Évangile. La liturgie a échoué, s’est effondrée, et on le voit bien. En réalité, ce n’est pas la communauté qui est le centre de l’exercice culturel, mais c’est Dieu, c’est vers lui que nous nous tournons! 

 

      Il est étrange qu’un prêtre doive dire la prière eucharistique avec des mots adressés à Dieu et des expressions faciales envers le peuple. Selon l’orientation de la prière, l’assemblée et le président s’adressent  au Seigneur. Si les expressions face au peuple ou dos au peuple, signifient quelque chose pour la mentalité des Lumières,  elles n’ont aucun sens pour la théologie et la liturgie. Dans un premier temps (la Liturgie de la Parole), la position frontale entre les lecteurs-président et le reste de l’assemblée s’explique par le fait que c’est la Parole de Dieu qui revient au peuple. Mais dans un second temps (la Prière eucharistique), il est juste et bon que toute l’assemblée, à partir de celui qui la préside, tourne son cœur (et son corps) vers l’interlocuteur divin.

 

      L’autel ne doit donc pas fermer l’espace ecclésial en cercle, comme à Stonehenge, ou dans un temple de la fraternité maçonnique, ou  comme dans certaines absurdes nouvelles églises rondes, mais il doit l’ouvrir à la liturgie éternelle. Pour Benoît XVI, l’autel est le lieu du ciel déchiré, il est fait pour ouvrir le ciel, non pas pour le fermer. Il serait donc plus logique de célébrer sur un vieil autel appuyé contre le mur que d’en inventer à tout prix un nouveau dans le même presbytère, comme une barrière entre l’humanisme et la transcendance. 

 

      En tout cas, même si nous nous appliquons à l’étude de toutes les églises et liturgies anciennes, nous ne trouverons jamais une définition absolue de la position de l’autel et du célébrant dans la liturgie catholique. Cela signifie que le président n’a jamais de position définie, et qu’il n’a pas à traiter l’assemblée comme si les fidèles étaient un public suspendu à ses lèvres. Le président conscient de son ministère se sent un décentralisé, un déplacé, car en réalité au centre de tout ce qu’il fait il n’y a pas lui, mais il y a la personne du Seigneur qui vient, et ce lieu mystériquement vide sera enfin occupé par lui.

 

      Depuis que le Christ est ressuscité des morts, l’axe du monde est passé du concret solide des religions naturelles (les cercles magiques, les statues qui peuvent être vues et touchées, les autels trempés de sang ...) au chemin instable de l’histoire et de la Foi. L’autel n’est plus utilisé pour les sacrifices d’animaux, il a perdu de son importance, mais il a été requalifié comme symbole de la personne du Christ: il a fait le sacrifice une fois pour toutes. L’ancienne centralité de l’autel s’est déplacée vers la périphérie, le lieu qui rend possible le retour du Christ. À la fin d’une célébration, après avoir hâté la venue du Seigneur dans la prière, nous ne pouvons pas rester sans rien faire, et  une tâche précise en découle pour nous. 

 

      Grâce à une prière bien orientée, au moment où nous venons à l’église pour célébrer les saints mystères, à la recherche de la sécurité solide du centre, nous trouvons en fait les anges de l’Ascension qui ne se lassent jamais de secouer notre torpeur et, comme ils l’ont fait avec les Apôtres, ils nous dirigent vers la ville terrestre, vers nos engagements historiques, pratiques et concrets.

 

      Amen

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