JE NE VOUS LAISSERAI PAS ORPHELINS

Année A - VI Dimanche de Pâques (Jn 14, 15-21)                                                                   Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

par André De Vico, prêtre                          

correction française: correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : l’Esprit de vérité … Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous … celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui” 

      

      Orphelin est un mot pour qualifier une personne restée seule, privée de l’un ou des deux parents, mais aussi sans guide, sans soutien, sans une raison d’avoir confiance dans la vie ou en d’autres choses similaires. Celui qui souffre de la perte d’un objet vital éprouve un sentiment de solitude perçant, comme s’il n’y avait rien d’autre à espérer, sur lequel pouvoir compter.

 

      À la veille de sa passion, comme un don extrême de son amour, Jésus se soucie également d’anticiper la formation de ce vide. En règle générale, toute personne qui quitte ce monde, laisse toujours quelque chose de significatif: un testament, un héritage, un message, un enseignement. Dans l’héritage de Jésus, il y a bien plus que ce que l’on peut imaginer: la vie intérieure du disciple est entraînée dans l’orbite de la vie divine intime!

     

      Que Dieu soit là ou non, de savoir où il est, et ce qu’il fait est déjà un problème ardu. Il n’y a pas de philosophie ou de religion qui ne parle pas de Dieu, mais en même temps, comme cela arrive dans beaucoup de choses humaines, le discours que nous faisons de Lui est confus, ambigu, approximatif. Notre intelligence a tendance à se faire une idée de Dieu trop semblable à nous-même. Dès que nous essayons de représenter Dieu, nous courons le risque de le réduire à notre stature. 

 

      C’est ainsi que naissent les idoles. Même les concepts que nous nous faisons de Dieu sont des idoles mentales qui ressemblent beaucoup à des figurines en pierre et en plâtre! Même une prière, comme celle du pharisien, peut devenir une forme d’idolâtrie, quand on se met au centre de l’univers et on s’incline devant sa propre image! Cela s’explique par le besoin irrépressible de voir le visage de Dieu, de savoir quelle est son apparence. Chaque fois que nous essayons, nous risquons de tomber dans l’idolâtrie. Alors que faire?

     

    C’est ici que Jésus vient à notre secours. Dans le discours d’adieu de la dernière Cène, il parle de Dieu en utilisant non pas des concepts abstraits, mais en mettant des métaphores et des termes de relation. Jésus parle des nombreuses demeures qui sont dans la maison du Père, d’une place qu’il va nous préparer, d’une mission de l’Esprit, de la certitude que jamais nous ne serons laissés seuls. Cet amour qui circule entre le Père et le Fils, appelé l’Esprit, est communiqué au disciple fidèle! La récompense de cette fidélité consiste dans la manifestation de Jésus envers son disciple. Voici donc le visage de Dieu que nous cherchions: “Celui qui m’a vu a vu le Père” (Jn 14, 9).

      

      En effet, lorsque le disciple a bien progressé sur le chemin du Maître, il n’a pas tellement besoin d’images peintes, de concepts abstraits ou de statues en bois, pour avoir accès à la maison du Père: l’Esprit lui suffit! Ce n’est pas un don difficile, réservé aux âmes privilégiées et lointaines du monde, mais c’est un chemin ouvert à tous: aimer, garder les commandements, vivre dans l’Esprit! La religion, c’est ça! Aussi simple que ça! La grande nouvelle de la page d’aujourd’hui est que Jésus ouvre le temps du Saint-Esprit, qui est le dernier temps du monde, le dernier temps de l’âme!

 

      Lorsque nous parlons de l’Esprit, les exaltations apocalyptiques et les extrémismes spiritualistes de l’abbé Joachim de Fiore (XIIIe siècle) nous reviennent à l’esprit, lui qui a connu une grande importance, une large diffusion dans le monde séculier de son époque et qui se repropose aujourd’hui. 

 

      Joachim était un ascète très respecté, entraîné par une spéculation fervente et imprudente dans l’affirmation dangereuse des trois époques successives de l’histoire: l’époque du Père (dominée par l’Ancien Testament, par la loi, par la chair, par les laïcs mariés), l’époque du Fils (intermédiaire entre la chair et l’esprit, dominé par les clercs) et l’âge du Saint-Esprit (une Église parfaite dans l’Esprit, dominée par les moines).

 

     Joachim croyait que la société, à la fois dans l’État et dans l’Église, était profondément corrompue, et qu’il fallait la détruire, pour favoriser une renaissance définitive. Ainsi naquit l’idée fantastique d’une Eglise spirituelle du futur, en contraste avec le concept officiel d’une cité ecclésiastique de Dieu sur terre. Les charismatiques de Joachim, au nom de l’intériorisation, estimaient pouvoir remplacer les clercs moralement corrompus. Mais la tentation dangereuse d’une prétendue spiritualité pure a entraîné l’utopie dissolvante, la fierté spirituelle, la rébellion ouverte. Si la chasteté est la vertu des anges, il en faut peu pour la transformer en démon de la chasteté.

 

      C’est une leçon à considérer, surtout pour certains charismatiques d’aujourd’hui, qui s’expriment avec un tapage et une agressivité spirituelle de nature à présager un abandon aux misères de la chair. Ici et là, fleurissent des expressions de la vie communautaire et religieuse qui présupposent le mépris de l’Église officielle et hiérarchisée. Au lieu de s’engager dans une réforme réaliste de ce qui existe, de l’intérieur, ces perspicaces gestionnaires spirituels séduisent les familles, les groupes, les consciences, en alimentant le fanatisme religieux. Et lorsque les manipulations, les malversations financières et les abus sexuels des pères fondateurs sont découverts, ces expériences émettent un bruit assourdissant. Pascal dit bien: “L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête” (1)

      

      Quant à nous, demandons-nous si le temps de l’Esprit est vraiment venu, si nous avons été vraiment pris, formés, enflammés par son Don. Qu’est-ce qu’une Église sans Esprit, une Vérité sans Esprit, une Théologie, une Lecture, une Messe, une Vocation, un Mariage sans l’Esprit? Ce sont de simples constructions humaines qui deviennent avec le temps des formalismes, des moralismes, des servilismes, des culturalismes asservissants. Sans l’Esprit, le mariage lui-même peut passer du berceau au tombeau de l’amour. Parfois en adhérant à une Église, en participant à une messe ou en répondant à une vocation, il n’y a pas grand-chose de spirituel!

      

      Là où l’Esprit anime l’Église, l’Amour du Père, transmis au Fils, est partagé au fidèle disciple! Voici le temps de l’Esprit, que Jésus lui-même ouvre maintenant, grâce à ce passage de l’Evangile! Saint Bernard dit:

      

      “[L’Esprit] qui est entré en moi plus d’une fois, ne m’a jamais donné aucun signe de son irruption, ni par la voix, ni par une image visible, ni par aucune autre approche sensible. Aucun mouvement de sa part ne m’a signalé sa venue, aucune sensation ne m’a jamais prévenu qu’il s’était glissé dans mes recoins intérieurs. J’ai réalisé sa présence par certains mouvements de mon cœur: l’évasion des vices et la répression de mes envies charnelles m’ont montré la puissance de sa vertu” (2)

 

      L’Esprit: pas mal, comme héritage!

 

      1) Pascal, “Pensées”, n. 572

      2) Cf. Saint Bernard, “Sermon sur le Cantique des Cantiques”, 74, 6                                                            

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