LES PREMIÈRES PAROLES

Année B - III Ordinaire (Mc 1, 14-20)                                                                                    

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue; Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Après l’arrestation de Jean, Jésus partit pour la Galilée proclamer l’Évangile de Dieu; il disait: ‘Les temps sont accomplis: le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez à l’Évangile’ ”  

      

      Dans ce passage, nous trouvons les premiers mots prononcés par Jésus au début de sa prédication, sur les rives du lac de Galilée. Ce sont des mots qui débordent d’optimisme: “Le règne de Dieu est tout proche. Convertissez-vous et croyez”. La proximité du Royaume de Dieu / Royaume des cieux est une métaphore pour dire que Dieu est dans le cœur de ceux qui l’accueillent. En comparaison, la prédication du Baptiste semble beaucoup plus menaçante et terrible: “Engeance de vipères … Produisez un fruit digne de la conversion ... Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres: tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu …”  (Mt 3, 7-9)

      

      Se convertir: qu’est-ce que cela signifie? Le mot, inventé par les anciens prophètes et utilisé par Jean-Baptiste, suggère un effort intérieur, un renoncement déchirant, un drame spirituel, une retraite dans le désert ou un couvent, une flagellation du corps et de l’âme en pénitence. En réalité, le mot hébraïque de conversion implique le concept d’un mouvement vers l’arrière, un demi-tour, dirions-nous. La conversion arrive lorsque l’on comprend qu’on est hors de la piste, on s’arrête, on a une réflexion après coup, on décide de changer de cap et de revenir à la manière précédente, de retourner vers le Seigneur, après avoir follement suivi le chemin croisé des idoles. En ce sens, la conversion a un sens moral, une réforme de sa vie, un retour à l’ancien amour. 

 

      Si pour les Juifs la conversion consiste en un retour en arrière, pour les Grecs, qui étaient plus intellectuels, la conversion se traduit par métanoïa, ce qui signifie: changement de mentalité, changement de pensée, renouvellement intérieur, mais l’idée de base est la même.

      

      Dans la bouche de Jésus, l’appel à la conversion prend une tout autre direction: non pas tant un pas en arrière fatidique ou dramatique, pour restaurer une position perdue ou déchue, mais un bond en avant, pour entrer dans le Royaume de Dieu, saisissant un salut gratuitement offert, sans énormes efforts de notre part! Il ne nous demande que la Foi! Si Jésus avait demandé l’innocence, quelqu’un aurait pu dire: je ne suis pas innocent, je ne peux pas entrer! S’il avait demandé le respect exact des préceptes de la loi, quelqu’un aurait pu prendre du recul: je ne suis pas pratiquant, je ne peux pas entrer! S’il avait demandé un certificat de pureté ou une patience avérée, quelqu’un aurait pu répondre: je ne suis ni pur ni patient, ce royaume n’est pas pour moi! 

 

      Mais non: si j’ai la Foi, j’ai aussi la clé pour ouvrir la porte, le reste viendra tout seul! Je ne suis pas sauvé parce que je me suis converti, mais je décide de me convertir parce que j’ai été sauvé! L’initiative appartient à Dieu! Ma Foi doit commencer par le don, non par le devoir! Pourquoi dois-je aller à la messe? Pour accueillir un don ou pour accomplir un devoir? Si je pense au devoir, je pourrais même rester à la maison, au lieu de me rendre au culte: après tout, rien ne change!

      

      Dans la croissance spirituelle d’une personne, nous pouvons donc identifier trois degrés de maturation. Le premier: le degré esthétique. On rentre dans l’église, on voit de l’art, on entend des musiques, des chants, on assiste à des cérémonies solennelles, on ressent quelque chose qui nous implique, nous entrons même en extase. D’accord, mais ... on peut aussi admirer le Jugement dernier de la chapelle Sixtine, et rester tel que l’on est. On peut aussi écouter la Requiem de la Messe de Mozart, et penser que la mort ne nous concerne pas du tout, au moins en ce moment. 

 

      Les chorales les plus prestigieuses du continent peuvent également venir défiler dans notre église pour chanter de belles messes, mais rien ne change vraiment dans notre vie communautaire. Les gens de la mafia apprécient également la bonne musique et viennent à la messe le dimanche et le soir de Noël. La perception de la beauté pourrait nous aider, mais en soi ce n’est pas encore la Foi.

 

      Le second: le degré éthique, celui de l’existence morale, des choix et des comportements. Une personne moralement sensible, avec le temps, est amenée à penser de cette façon: je dois observer les commandements de Dieu ... je dois appliquer la règle de la Foi ... je dois être cohérent ... D’accord, mais ... avec le temps, une personne moralement attentive court le grave risque d’un piège spirituel: je vois des gens qui ne font pas comme moi ... Je vois des gens qui ne viennent pas à la messe le dimanche, comme moi ... Je vois des gens qui mènent un style de vie douteux, contrairement à moi … Alors je commence à mesurer le comportement des autres, je les compare, je les juge, je prononce des phrases et des mots contraignants ... et comme ils s’en moquent, je commence à les menacer avec les châtiments de Dieu et les douleurs de l’enfer! Bien des prédicateurs l’ont fait! Bref, chez une personne moralement sensible, l’idée que moi j’ai raison d’être du bon côté, les autres non, s’insinue lentement.  La justice se transforme en injustice et la morale en moralisme. L’éthique peut donc aussi aider, mais elle est encore bien loin de la Foi.

      

      Le troisième degré, celui de la Grâce, est le plus ... dangereux, du fait que le don gratuit de Dieu implique l’imprévisibilité de la réponse: reconnaissance, accueil, indifférence, rejet? Pour cette raison, face à un don, la première chose qu’on enseigne aux enfants est de dire merci. À l’âge adulte, évidemment ce n’est pas la même chose de donner la vie ou de la rejeter, d’offrir de l’amour ou de le refuser. Imaginons-nous si le don devait consister en une vie divine, dite Grâce, don par excellence! Il y a des gens qui, sans distinction de culture ou de formation, peut-être sans même y penser et en toute spontanéité, vivent la vie comme un don, ressentent les choses comme une grâce reçue, donc elles sont prédisposées à la gratitude, à la participation, à l’échange … et lorsqu’ils se sentent interpellés par une initiative divine qui se manifeste dans l’histoire, ils sont enclins à se convertir, à le rencontrer. La Foi dans le Royaume est là!

       

      Le sens de la beauté et de la nécessité morale est incapable de produire ce changement, au mieux il le prépare. Si l’on veut devenir un bon artiste ou un excellent médecin, il faut simplement commencer à étudier et à pratiquer son art. Mais si on veut être citoyen du Royaume, on doit simplement reconnaître, décider, se convertir, réagir au don de Dieu avec une réponse de Foi! Le royaume de Dieu ne s’impose pas, il se propose!

 

      Amen

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