LA VOCATION DE SAMUEL

Année B - II Ordinaire (Gv 1, 35-42)                                                                                      

Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Parlez, Seigneur, car votre serviteur vous écoute” (1 Sam 3, 9)

 

      Au temps du jeune Samuel, “la Parole du Seigneur était rare”, les visions également. Samuel accomplissait le service dans le Temple, mais n’avait pas encore été informé des rudiments de la Foi: il ne connaissait pas le Seigneur. Un soir, alors que le petit garçon était déjà au lit et que la lampe n’était pas encore éteinte, il entend une voix. C’est Dieu qui l’appelle, mais le garçon croit que c’est le vieux prêtre. Une deuxième fois, le garçon se réveille au milieu de la nuit et se rend chez le prêtre qui le renvoie au lit, pensant à une imagination enfantine. C’est à la troisième fois qu’Eli commence à soupçonner une vision. Il pourrait se lever et vérifier par lui-même, mais plutôt que de se lever, il lui suggère cette réflexion: “si tu entends la même voix, dis: Parlez, Seigneur, car votre serviteur vous écoute” (1 Sam 3, 9). Une manière élégante de dire: vas-y et laisse-moi dormir en paix. Le vieil homme ne veut pas être dérangé, mais il fournit au jeune homme la clé appropriée pour interpréter son appel. Un discernement qui, malgré le bon sommeil du prêtre âgé, s’avère décisif pour le jeune Samuel. Ces mots sont devenus l’emblème de toute vocation future: Parle, Seigneur, ton serviteur t’écoute.

 

      Auparavant, Eli a été sérieusement réprimandé par un étranger pour la façon dont ses deux jeunes fils géraient les offrandes du temple. Par exemple: quand quelqu’un venait offrir un sacrifice, pendant que la viande cuisait à l’autel, les fils d’Eli se présentaient avec une fourchette à trois dents, ils la mettaient dans la grosse chaudière et prenaient pour eux toute la viande qu’ils pouvaient tirer, laissant le reste à l’autel. Avec la fourche à trois dents, on peut saisir plus de pièces qu’avec la fourche normale à deux dents. Une conduite dépravée et déshonorante: ils ont foulé aux pieds les sacrifices et se sont nourris des premiers fruits destinés au Seigneur (1 Sam 2, 12-17). Et les deux fils n’ont même pas rejeté le compromis charnel avec les femmes de garde à l’entrée de la tente. Et c’étaient des prêtres!

 

      Cette nuit-là, Samuel reçoit un terrible message du Seigneur pour son maître: “Je vais me venger d’Eli, car il savait que ses enfants déshonoraient Dieu et il ne les a pas punis” (ibid., 13). Samuel n’ose pas rapporter une telle prophétie, mais Eli veut savoir: “Quel discours a-t-il prononcé? Ne me cache rien. Dieu agit avec toi encore pire, si tu me caches un seul mot” (ibid., 17). Il n’y a rien à dire, cet Eli n’est qu’une figure mesquine: la nuit il a repoussé l’enfant parce qu’il le gênait, le jour il l’accroche avec insistance, poussé par la curiosité de savoir. 

 

      Ainsi, le garçon l’informe de la mauvaise fin qui l’attend: à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans, à l’annonce de la mort de ses enfants au combat, Eli va tomber en arrière de son siège, se briser le cou et mourir. L’attitude d’Eli représente la curiosité de toute personne qui veut connaître l’avenir à travers des réponses ou des combinaisons d’arts magiques, afin de savoir si le futur lui conviendra.

 

      Samuel, quand il est devenu adulte, a oint David pour qu’il règne sur la nation. Cette onction aura le pouvoir de consacrer la dynastie de David pour les siècles à venir. Mais pourquoi la Parole était-elle rare à l’époque de Samuel? Est-ce Dieu qui n’a pas fait entendre sa voix ou est-ce la médiation de prêtres, comme Eli et ses fils qui a fait défaut? Ils ne veulent pas être dérangés, ils ne pensent qu’aux affaires administratives et qu’à  enfoncer la fourchette dans le pot. 

 

      Il semblerait que même aujourd’hui, Dieu est silencieux et les vocations numériquement rares. Mais est-ce la Parole qui est rare ou bien les auditeurs? Que se passe-t-il dans les coulisses du Temple du Seigneur? La prophétie s’est-elle éteinte ou est-ce que certaines qualités discutables des ministres de l’autel agissent comme un écran? Les jeunes sont là, mais il y a aussi des anciennes vocations qui veulent simplement n’être pas dérangées dans leurs affaires!

 

      Dans la vocation chrétienne, le prêtre, appelé par le Christ et ordonné à ses frères, n’est pas un administrateur, il n’est pas un liturgiste parfumé d’encens, ni un travailleur social, ni un psychologue, ni un musicien, ni un connaisseur d’art ou un joyeux animateur d’événements divers … Un tel prêtre ferait plus de bruit que de travail, avec comme arrière-plan des gestes uniquement pétillants et extérieurs. 

 

      En vérité, le prêtre du Christ doit aller là où sont les hommes, parler aux cœurs, jeter des filets, pêcher l’humanité perdue. Ce n’est pas le geste qui fait le prêtre, ce n’est pas l’habitude, ce n’est pas la culture, ce ne sont pas les relations mondaines, l’amitié des puissants ou l’attente d’une promotion dans les rangs ecclésiastiques. Ce n’est pas sa parure, mais c’est l’âme qui fait le prêtre! L’esprit n’a pas besoin de beaux vêtements pour se révéler, mais il se montre pour ce qu’il est: flamme, amour qui pointe et parle directement au cœur, avec la chasteté des regards, des actes, des mots, des œuvres. 

 

      Comment est-ce possible? C’est simple. Un vrai ministre du Christ attirera inévitablement l’attention des autres. Celui qui ne pense qu’aux affaires matérielles, en présence d’un tel prêtre, sera obligé de réfléchir: il est un homme comme moi, mais il a quelque chose que je ne peux pas définir. S’il est athée ou incrédule, il sera forcé de l’admettre: il doit y avoir Quelqu’un là-haut. S’il est un dégénéré moral, il sera poussé par une nostalgie de l’innocence: peut-être convient-il de revoir ma conduite? S’il est avare, il peut prendre une nouvelle décision: je comprends que je dois me débarrasser de ces trucs inutiles. S’il est un violent, il sera guéri par un germe de paix.

 

      Au-delà de toutes les qualités ou compétences personnelles qui sont certainement appréciables et qui plaisent, il n’y a qu’une seule caractéristique qui définit le prêtre du Christ: sa présence. On l’appelait autrefois: sainteté. Comment se fait-il qu’on n’en parle pas aujourd’hui? La Parole est-elle devenue rare? Les auditeurs se sont-ils éclipsés? Ou alors est-ce nous, les prêtres qui - comme Eli et ses fils - avons besoin de réapprendre la touche de grâce qui faciliterait la rencontre entre Dieu et l’humanité? 

 

      Amen

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