LA VEILLÉE DU PORTIER

Année B - I Avent (Mc 13, 33-37)                                                                                           Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes   

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

       “Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison, le soir ou à minuit, au chant du coq ou le matin; s’il arrive à l’improviste, il ne faudrait pas qu’il vous trouve endormis”

      

      Avec le premier dimanche de l’Avent commence la nouvelle année liturgique, qui ne doit pas être une répétition stérile de choses déjà faites ou déjà ressenties, mais doit être nouvelle, comme la vie qui grandit et se renouvelle à chaque saison. Parfois, à la messe, il y a un sentiment d’ennui, d’indifférence, de répétition. La participation est stérile, pauvre, on finit par abandonner: si je n’ai pas d’envie, ça ne sert à rien d’aller à la messe. Mais … ce manque de sentiment ne cacherait-il pas un manque de volonté bien plus grave? N’y a-t-il pas de désir, ou n’y a-t-il pas de Foi? C’est à cause de la messe, ou à cause de mon attitude? Qu’est-ce qui compte le plus pour le Seigneur, ce que je ressens, ou ce que je veux

 

      Et puis, combien de fois suis-je allé au cinéma ou à une fête, avec des attentes si élevées qu’elles ont été ponctuellement déçues? D’un autre côté, je peux aller à la messe à contrecœur ou avec le moral plus bas que terre, mais à ce moment précis, le Seigneur me fait trouver le mot dont j’ai besoin! Je peux donc aller à la messe pour des raisons banales: parce que j’aime ça, parce que j’y suis habitué, parce que c’est comme ça qu’ils m’ont appris, parce que c’est mon devoir en cas de mariages, d’anniversaires ou de funérailles. Pour le reste rien ne change, on recommence à somnoler.

 

      La conjugaison du temps profane, si grossier et plein de misères, circonscrit au week-end qui s’oppose aux jours ouvrables, et aux vacances qui s’opposent au reste de l’année, ne tient pas la comparaison avec la richesse du temps liturgique: tout est à explorer, à savourer, à vivre! L’un diffère de l’autre comme le temps de la gueule de bois diffère d’un état de vigilance!      

 

      “Veillez donc, car vous ne savez pas quand vient le maître de la maison”. Pourquoi cet appel pressant à la vigilance? Marc réagit à la crise de la communauté primitive quant au retard apparent du Maître, ou à l’échec de son non-retour. Il a dit qu’il reviendrait: mais quand? C’est aussi une période de crise pour nous, nous sommes toujours en crise, et qui n’est pas en crise? Les épreuves de la vie, les événements néfastes, les nouvelles qui arrivent, l’avenir qui est incertain ... mais au-delà de tout ça il y a un mot qui résonne comme une trompette: veillez! Faites attention! C’est ainsi que nous devons répondre à une crise qui nous secoue, qui nous met en mouvement, qui nous fait penser à nous, qui nous rend plus attentifs. Si tout se passait à merveille, nous nous oublierions les uns les autres, nous en serions réduits à vivre dans un monde doré, désinfecté, scanné et contrôlé, en toute solitude et sans de vrais contacts réels.

       

      Pour Saint Paul: “La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche” (Rm 13, 12). Pour lui, la nuit est la nuit de cette vie, et le jour est la vie future inaugurée par le Christ, déjà d’actualité. Le temps présent dure l’espace d’une nuit: la vie que nous y menons est comme un rêve. Les choses qui se passent dans le rêve sont irréelles: on peut rêver de faire la fête et de manger à satiété, puis on se réveille et on se rend compte avoir l’estomac vide; on peut rêver de devenir riche, puis on se réveille et se retrouve plus désespéré qu’auparavant. De la même manière, lorsque nous arriverons au bout de notre vie, celui qui a profité aux dépens des autres, se verra lui-même dévoré par une faim énorme, et celui qui était si fier de ses titres et de ses conquêtes, se rendra compte n’avoir pas vraiment rien possédé. 

 

      Il y a des gens inquiets qui ont peur des fantômes, des sorcières, des mauvais sorts, des vampires. Ce sont des choses qui se collent sur le dos de ceux qui dorment. Le vampire, avant d’aspirer le sang, injecte un anesthésique pour donner à la pauvre victime une illusion temporaire de santé et de sécurité. Mais ces fantômes, une fois exposés à la lumière du jour, se dissolvent comme du brouillard au soleil. Les vampires et les mauvais sorts n’existent pas comme des choses réelles ou scientifiquement vérifiables: ils sont l’expression d’une conscience somnolente ou perturbée dans les relations avec les autres, ce sont des personnifications de responsabilités que des personnes veulent cacher à elles-mêmes pour les attribuer aux autres.

 

      Il faut dire que le diable existe, mais il n’agit pas dans les rêves: il agit plutôt dans les vices, ce qui est pire. Le diable ne réside pas dans les peurs: il est dans le péché, ce qui est pire. Les gourous qui jettent les mauvais sorts existent, mais ils n’ont pas le pouvoir de  lier ou de dissoudre quoi que ce soit: leur efficacité se trouve dans le crédit que des gens leur attribuent, et le cortège des esprits qu’ils parviennent à déchaîner se nourrissent des péchés, des distractions et de l’affaiblissement de la foi de la part des gens qui les fréquentent.

 

      Voilà donc ce que nous devons craindre: ce sentiment d’ennui, d’agacement, d’indifférence, de répétition, d’habitude, de passivité. Ce sont des choses qui aspirent le sang, enlèvent l’énergie, ralentissent l’élan, émoussent la volonté. Même la religion peut devenir une drogue, un anesthésiant de l’esprit. La personne qui commence à somnoler dans ses prières se trompe pour accomplir ses devoirs si elle ne tient pas compte de la présence des autres. Elle est distraite, elle devient irresponsable, elle ne s’intéresse plus à rien, elle vient à la messe avec l’attitude passive et habituelle de ceux qui assistent à un événement les yeux ouverts sans en comprendre grande chose. Même moi qui préside la messe je dois faire attention de ne pas finir dans cette nuit enfumée où toutes les vaches sont noires, car ce genre d’indifférence où une chose vaut l’autre, construit le néant. 

 

      Il y a un merveilleux passage à redécouvrir: “Nous proclamons ta mort Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire”. D’un seul souffle, nous disons ce que nous sommes venus faire à la messe, et pourquoi nous disons que nous sommes disciples du Christ. En une phrase, nous exprimons le passé, le présent et l’avenir de notre Foi: annoncer, célébrer, attendre laborieusement!

      

En jargon technique, cette expression est appelée acclamation anamnétique ou anamnèse, qui anticipe sur les lèvres du peuple ce que le célébrant s’apprête à dire dans la suite de la prière eucharistique. L’anamnèse peut aussi se traduire par le mot souvenir. Il ne s’agit pas d’un banal souvenir psychologique, mais un véritable souvenir, en latin: recordatio, un retour au cœur, un tout remettre au centre du cœur! Commençons donc à marcher ensemble aujourd’hui, jour après jour, d’un dimanche à l’autre. Nous avons tout intérêt à la vivre intensément, cette liturgie, et avec soin! Je ne sais pas, donc je reste éveillé!

 

Amen

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