UNE MULTITUDE IMMENSE

Année ABC - Toussaint (Ap 7, 2-4; 9-14)                                                                                 Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

       

      “J’ai vu: et voici une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et langues. Ils se tenaient debout devant le Trône et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches, avec des palmes à la main … L’un des Anciens prit alors la parole et me dit: ‘Ces gens vêtus de robes blanches, qui sont-ils, et d’où viennent-ils?’ … ‘Ceux-là viennent de la grande épreuve; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau’ ” 

     

      Tout au long de l’histoire, à chaque époque et dans chaque histoire, la fierté des hommes dépasse ponctuellement les limites: ils sont tous fiers de leurs mauvaises actions, ils sont tous corrompus, ils sont tous opposés à Dieu, grands et petits, riches et ceux qui rêvent de l’être, de droite ou de gauche, intelligents et ignorants, de toutes les couches sociales. Parfois il faut un changement radical, un nouveau monde qui doit renaître des cendres de l’ancien.

 

      Dans cette page d’Apocalypse, le soleil, la lune et les étoiles, les montagnes et les îles sont dévastées par une grande catastrophe. Dans ce monde dévasté, un jugement sur le destin des hommes est sur le point de s’exprimer. Ils cherchent un refuge impossible, mais ils ne trouvent aucune issue, et pour ne pas entendre le verdict qui les concerne ils invoquent même les montagnes, pour s’y enterrer.

      

      Il semble que ce jugement est sur le point de se révéler d’un moment à l’autre, mais voilà que tout reste suspendu dans les airs et la fin de ce système pervers est reportée à une date ultérieure. En fait, l’ange a donné un contre-ordre: “Ne faites pas de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres, avant que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu”. Le jugement est suspendu, de manière à permettre une nouvelle intervention salvifique de la part de Dieu.

     

      Si nous voulons voir le jugement de Dieu en action, nous n’avons certainement pas à attendre la fin du monde, encore moins la vérification de l’accomplissement d’une prophétie retrouvée dans une pyramide Maya. Ce jugement est déjà d’actualité. Les hommes, rejetant le projet divin, ont introduit les germes de la désintégration dans l’histoire, et ils en récoltent les fruits: l’effondrement des empires, l’explosion des idéologies, la fin des démocraties, l’implosion des multinationales, avec toutes leurs idoles vides … Les grands potentats semblent forts et terribles, mais ce n’est qu’un néant qui impressionne ceux qui sont prisonniers des apparences. Pour ceux qui savent regarder le monde avec les yeux de la foi, ce ne sont que des ballons gonflés: à un moment donné, l’obstacle est levé et le cours de l’histoire continue.

 

      Sur cette page, le voyant de l’Apocalypse entend “le nombre de ceux qui étaient marqués du sceau: ils étaient cent quarante-quatre mille, de toutes les tribus des fils d’Israël”. Le nombre est symbolique, le résultat de 12x12x1000, une expression de plénitude, un chiffre rond pour exprimer une idée d’exhaustivité.

      

      Puis un autre peuple apparaît, une immense multitude venant de partout. “Ceux-là viennent de la grande épreuve; ils ont lavé leurs robes, ils les ont blanchies par le sang de l’Agneau”. Ce sont ceux qui ont perdu la vie pour garder la Foi. Ce sont les témoins du Christ, ils lui ont rendu témoignage au point de donner leur sang. Ils ont mélangé leur sang dans le sang de l’Agneau, alors maintenant ils le suivent partout et participent à la même gloire.

      

      La souffrance des martyrs du Christ est également d’actualité. Jean-Paul II a dit que le martyre est une réalité contemporaine du christianisme. Le XXe siècle a été le siècle des martyrs. Il y a une vague de sang qui se propage du génocide arménien de 1915 aux massacres de 1999 au Timor oriental, en passant par le communisme bolchevique, le nazisme, les régimes dictatoriaux d’Amérique latine, les tragédies de l’Afrique, l’oppression de l’islam fondamentaliste et des victimes de la mafia. Un phénomène de masse difficile à quantifier. Une foule immense, des millions de chrétiens qui ont vécu un siècle sombre, mais qui n’ont jamais cessé de croire, d’espérer, de célébrer, comme le rapporte également un chercheur:

      

      “Je suis entré dans les vastes archives de la Commission des nouveaux martyrs, où sont rassemblés des lettres, des rapports et des souvenirs qui, ces dernières années, sont arrivés à Rome du monde entier. J’ai commencé à les parcourir. J’ai lu et je suis devenu accro. Il y avait des milliers d’histoires d’hommes et de femmes contemporains: des chrétiens tués comme tels” (1) 

      

      Bien sûr, le livre de l’Apocalypse a été écrit vers l’an quatre-vingt-dix, lors des terribles persécutions de Néron et Domitien. Dans cette situation, le voyant voit au ciel un immense chœur de gens de tous les temps et de partout, et il rapporte sa vision par écrit, pour réconforter la communauté persécutée. Mais l’Apocalypse a également été écrite pour le XXe siècle, pour nous qui en continuons la marche.

 

      Le livre se résout dans le chant de joie d’une Église persécutée qui a gagné les épreuves de l’Histoire: tous ces sacrifices n’ont pas été vains, tout ce sang n’a pas été versé en vain! L’Apocalypse termine la Bible, et la termine bien, avec la descente de la Jérusalem céleste. De même, l’histoire se termine bien, du moins pour ceux qui croient en Jésus-Christ:

              

“Seigneur, cent quarante-quatre mille, plus une immense multitude, plus moi: nous y sommes tous!”

         

(1) Andrea Riccardi , “Il secolo del martirio”, I cristiani nel novecento, Mondadori, Milano, 2000

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