LA VIGNE SANS FRUITS

Année A - XXVII  Ordinaire (Mt 21, 33-43)                                                                             Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice     

 

 

      “Un homme était propriétaire d’un domaine; il planta une vigne… Puis il loua cette vigne à des vignerons, et partit en voyage. Quand arriva le temps des fruits, il envoya ses serviteurs auprès des vignerons pour se faire remettre le produit de sa vigne. Mais les vignerons se saisirent des serviteurs, frappèrent l’un, tuèrent l’autre, lapidèrent le troisième ...”

      

      Les prophètes avaient élaboré la belle allégorie de la vigne pour indiquer la relation entre Dieu et Israël. Il s’occupe de cette vigne avec une grande délicatesse, comme un amour qui ne veut rien de plus qu’une réponse d’amour: “Il en attendait de beaux raisins”, mais voici la déception des fruits qui n’arrivent pas: “… mais elle en donna de mauvais” (Is 5, 2). Un peuple choisi et aimé qui répond avec ingratitude et infidélité. Comment réagit le propriétaire de la vigne, c’est- à dire Dieu? Voici: “Je vais vous apprendre ce que je ferai de ma vigne: enlever sa clôture pour qu’elle soit dévorée par les animaux, ouvrir une brèche dans son mur pour qu’elle soit piétinée. J’en ferai une pente désolée; elle ne sera ni taillée ni sarclée, il y poussera des épines et des ronces” (Is 5, 5-6). Rien de plus triste qu’une vigne abandonnée. En la voyant, on peut deviner tout le travail qui a été accompli, mais il ne reste que les traces des anciens soins. Une sylviculture abandonnée est désolante, mais elle ne donne pas le même sentiment qu’une vigne abandonnée: la relation émotionnelle n’est pas la même.

      

      Dite par Jésus, la parabole conserve les significations classiques: la vigne est Israël; le propriétaire est Dieu; les vignerons sont les prêtres et les anciens du peuple. En fait,  la parabole leur est adressée; les serviteurs envoyés pour récolter la moisson sont les prophètes, mais ils ont été maltraités, persécutés et tués. Et Jésus introduit une nouveauté dans l’histoire: le fils du maître. Qui est ce fils, et quel rôle joue-t-il? Il fait clairement allusion à lui-même, suggérant que ce fils qui est sur le point d’être tué par les vignerons c’est lui: Vous les prêtres et les anciens, locataires de la vigne du Seigneur, vous n’avez pas accepté le message de Dieu, vous avez battu et tué les prophètes, et maintenant vous rejetez le dernier messager, son fils! Assez: la vigne vous sera prise et remise à d’autres!

      

      Rapportée par Matthieu, qui met par écrit la parabole entendue par Jésus, le contenu du récit envisage un nouveau peuple qui rendra la vigne féconde: ce sont les païens qui rejoignent le nouvel Israël. Comme l’ancien Israël a rejeté le Royaume, il y aura une nouvelle assemblée (Ecclesia) de peuples du monde entier pour former un nouveau peuple. Pour Matthieu et la tradition ultérieure, la parabole indique le transfert du Royaume de Dieu d’Israël à l’Église. Mais, historiquement, même certains peuples chrétiens se sont révélés infidèles et durs, comme le vieil Israël. Des civilisations chrétiennes entières ont été emportées par l’histoire et le flambeau de la Foi s’est déplacé ailleurs. Pensons aux peuples qui surplombaient la Méditerranée: l’Afrique du Nord était chrétienne, l’Égypte était chrétienne, ainsi que la Syrie, la Turquie, le Liban ... puis Muhammad est venu. L’Évangile, proclamé pour la première fois aux peuples de l’Orient, a émigré en Occident, laissant la place à l’Islam.

 

      Pourquoi le christianisme a-t-il presque disparu de ses lieux d’origine? Est-ce par la faute de l’agression extérieure des Arabes guerriers? Non: le christianisme a succombé à une usure interne. En effet, les anciens chrétiens d’Orient se sont disputés à propos de problèmes théologiques avec la violence d’un mouvement social, ou d’une révolution culturelle, finissant par embrasser l’hérésie plus facilement que la Foi. L’infidélité a été la véritable cause de leur chute. Le problème n’était donc pas dans la pression islamique, mais dans une crise de production inhérente à la vigne elle-même: “Il en attendait de beaux raisins, mais elle en donna de mauvais”. En conclusion: Je vais enlever la vigne et je vais la donner à d’autres.

 

      Aujourd’hui encore, on semble être témoins d’une telle chose. Dans la vieille Europe, il y a des nations entières qui abandonnent la Foi, et à l’autre bout du monde, il y a de nouvelles entrées pour l’Église en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Que deviendront les peuples d’Europe sans la Foi? Ont-ils hâte d’un brillant avenir de laïcité et de démocratie?

 

      Tout comme l’agriculteur s’attend à ce que la vigne porte du fruit, Dieu attend de ce peuple qu’il porte le fruit de la justice. Bien sûr, nous sommes toujours dans l’Église, dans une assemblée ordinaire du dimanche, nous avons le sens des traditions et des institutions, mais le fruit, la possibilité de récolter ce fruit, existe-t-il encore? Parfois, nous perdons la vraie raison qui doit nous pousser à l’action: l’Évangile. Nous faisons des choses uniquement par devoir, ou nous sommes pris par le démon de la paresse: je ne veux pas ... je m’en fiche ... ça ne m’intéresse plus ... Nos espaces religieux reproduisent parfois la même violence que les paysans de la parabole: la non-réception, la non-écoute, le jugement, le rejet, la marginalisation, le mépris, l’abus ...

 

      L’Évangile nous prévient: dès que nous devenons improductifs, le Royaume sera transféré à d’autres. Le Père Turoldo, poète et religieux de l’Ordre des Servites,  l’un des plus grands écrivains italiens du XXème  siècle, persécuté par une certaine hiérarchie à cause de ses idées, disait: “Qui sait si nous travaillons encore pour le Royaume de Dieu, qui sait si ce Royaume nous appartient toujours, qui sait s’il n’est pas passé entre d’autres mains!” Heureusement, Dieu continue de choisir ce que nous rejetons: le premier sera le dernier, et si cela ne nous convient pas, le Royaume sera donné à d’autres.

         

      Amen

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