LA PARABOLE SYNDICALE

Année A - XXV Ordinaire (Mt 20, 1-16)                                                                                 Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

par Andrea De Vico, prêtre                                                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice     

 

 

      “Le royaume des Cieux est comparable au maître d’un domaine qui sortit dès le matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne ... Sorti vers neuf heures ... Il sortit de nouveau vers midi, puis vers trois heures ... Vers cinq heures, il sortit encore ... ”

      

      Origène lit cette parabole du généreux maître comme une allégorie des différents âges de la vie dans lesquels les gens accueillent la Foi. Il y a ceux qui se convertissent tôt le matin, certains dans leur jeunesse, certains en pleine maturité, et certains à la dernière heure, celui de la vieillesse (Comm. Dans Matthieu, XV 36). Mais toutes les allégories sont susceptibles d’ambiguïté: comme un pantalon mal confectionné, elles s’adaptent bien à une jambe, mais elles font boîter l’autre.

 

      En fait, ce type d’explication a fourni aux personnes négligentes l’alibi de dernière minute: si je reconnais mes péchés avant de mourir, j’irai au paradis. Alors les travailleurs qui protestent ont raison: il est inutile de commencer à travailler tôt le matin, avant les autres. Si la récompense pour ceux qui servent Dieu  toute leur vie est la même que pour ceux qui arrivent au dernier moment, si à la fin il y a une amnistie générale, il vaut mieux s’amuser le plus possible et  travailler encore moins!

 

      En fait, à ce texte nous pouvons également donner le titre de parabole syndicale. Il y a des travailleurs qui protestent non pas parce qu’ils ont reçu moins que convenu, mais parce que d’autres ont reçu plus. Le travail était urgent, il était nécessaire de terminer la récolte avant l’arrivée des pluies, tous ces travailleurs ont été inscrits aux différentes heures de la journée. Le millésime est prévu excellent, les yeux du propriétaire sont pleins de satisfaction, il faut se dépêcher, il faut embaucher le plus de travailleurs possibles, même si on les trouve le dernier quart de journée. En effet, à l’époque, la journée était divisée en quatre quadrants: première heure, troisième heure, sixième heure et neuvième heure.

 

      Le soir, voici la surprise: tout le monde reçoit le même salaire, soit un denier. Ceux de la première heure se révoltent. Selon eux, une grande injustice a été commise: ils ont travaillé depuis le matin, les autres depuis seulement une heure; ils ont enduré la chaleur de la journée, pendant que les autres étaient au frais. Cela semble violer le principe de la juste récompense : juste ce qu’il faut pour organiser une manifestation. Il y a un caporal qui crie plus que tous, au nom de tous les autres, il est si indigné qu’il néglige d’appeler le maître par son nom. En réponse, ce dernier l’humilie précisément au niveau de la justice, lui rappelant ce qui a été convenu, lui donnant ironiquement un titre d’ami

 

      En effet, pourquoi donner à tout le monde le même salaire? Le maître est-il injuste, arbitraire, capricieux, prodigue insensé? Bien sûr, la récolte a été abondante et les attentes du propriétaire ont été satisfaites, au point qu’il peut même se permettre de payer le dernier autant que le premier. Encore plus inattendue est la conclusion de Jésus: “Les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers”. Qu’est-ce que cela signifie?

 

      L’histoire présente deux sommets narratifs: le recrutement des travailleurs avec la disposition finale magnanime de leur paiement, et l’indignation de ceux qui se considèrent lésés par le comportement final du patron. L’accent est mis sur le deuxième axe: c’est là que l’intention du narrateur veut arriver. 

 

      En fait, Jésus, dans son histoire, a tendance à identifier et à blâmer l’attitude de ceux qui ont un mauvais regard, parce que Dieu est bon. Ce sont les pharisiens habituels, ses ennemis jurés, qui entrent souvent en polémique avec lui, à cause du succès de sa prédication. Jaloux de leurs privilèges, ils restent loin des pécheurs qui constituaient alors une véritable classe sociale, composée de personnes exerçant des métiers impurs ou déshonorants, tels que: collecteurs d’impôts, bergers, âniers, vendeurs ambulants, tanneurs, prostituées et escrocs. Selon les pharisiens, ces métiers conduisaient à la malhonnêteté et à l’immoralité, les pécheurs qui les exerçaient étant privés de leurs droits civils et religieux (accès aux postes importants, aux tribunaux, aux synagogues ...)

     

      Avec cette parabole, Jésus veut montrer aux pharisiens combien haineuses et injustifiées sont leurs critiques de la prédication d’un royaume de Dieu qui accueille également les pécheurs. Attention: il ne s’agit pas de pécheurs au sens moral, tel que nous le comprenons, mais de pécheurs en tant que catégorie sociale: larrons, mendiants, gens en échec, racailles des prison, étrangers, gens ordinaires, rejetés ... Une foule de gens qui en fait, comme le dit Jésus, passeront un jour, devant ceux qui se croient aujourd’hui les premiers dans la société.

      

      Cet unique denier qui est offert à tous en fin de journée est le royaume de Dieu. Jésus signifie que Dieu est fait ainsi: il se comporte comme un maître généreux et bon, qui ne regarde pas le mérite, mais le besoin de la personne. Le but du récit n’est pas le paiement du travail, mais l’appel à faire partie de ce Royaume. Dieu n’est pas un comptable qui prend note de tout, même si on aime à le penser, pour se sentir plus important que les autres. C’est un Dieu qui se comporte comme un maître heureux et généreux au moment de la récolte: il y en a pour tous!

 

      L’attitude intérieure des pharisiens se répète aujourd’hui chez ceux qui pensent en termes de: nous et les autres. Chez ceux qui sont attristés par le bonheur des autres, pensant que quelque chose leur a été enlevé. Chez ceux qui ne supportent pas les autres lorsqu’ils font du bien ou lorsqu’ils s’aiment. Chez ceux qui ne pardonnent pas aux autres leur intelligence, leur beauté, leur jeunesse. Chez ceux qui murmurent contre Dieu à cause de la grâce qu’il offre au dernier de la classe. Chez ceux qui voudraient qu’un Dieu soit comptable. Chez ceux qui vont espionner les doigts de Dieu pour compter combien de faveurs il accorde aux uns et aux autres.

      

      Cette parabole syndicale n’est donc pas une petite fable moralisatrice, comme celle d’Esope, Le renard et le raisin; ce n’est même pas l’allégorie d’une promesse eschatologique facile qui justifie le désengagement de ceux qui veulent faire les malins et travailler moins. Cette parabole est le tournant entre deux mondes: entre la Loi et l’Évangile, entre le mérite et le don, entre l’éthique et la grâce, entre le dieu laïc (Mammon, le Marché) et le Dieu de Jésus-Christ. À tel point que les détenteurs de l’ancien monde, les pharisiens, les premiers, les hauts gradés, ceux qui se sentent membres d’une caste, d’un lobby, d’un club VIP ou d’une nation privilégiée, ont réagi avec férocité.

 

      Quant à l’histoire de la conversion opérée au dernier moment, cet escamotage aurait pu bien fonctionner en période de peste, quand le matin tu étais en bonne forme et le soir tu te retrouvais en train de mourir. En temps normal, la conversion doit être faite maintenant que tu te portes bien, parce que si tu ne te convertis pas maintenant, tu ne le feras pas même à l’heure de ta mort. Il n’y a pas de syndicat au paradis!

       

      Amen

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