VENDREDI SAINT: LE SYNDROME DU MESSIE VAINCU

Année ABC - Vendredi Saint (Gv 18, 1 - 19, 42)                                                                      Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

par Andrea De Vico, prêtre                          

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Et Pilate leur déclara: ‘Voici l’homme’ ”

 

    Regardons la courte parabole vécue par Jésus: trente ans de vie privée, puis trois ans de vie publique, il n’y a pas de proportion. Une très courte durée de mille jours de vie. Trois ans, c’est peu et rien dans la vie d’un homme, mais ce sont les jours qui ont changé l’histoire. Regardons le style si improductif de la vie publique de Jésus: nous le voyons en compagnie des classes sociales inférieures, dans une controverse aussi épuisante qu’inefficace contre différents adversaires. Avec toutes les preuves qui auraient pu créditer sa parole, il semble qu’il n’ait vraiment pas convaincu un grand nombre de personnes et qu’au moment décisif il ait même été abandonné par les siens. Puis son étrange rapport au temps: beaucoup de prière et si peu d’action, mis à part certains événements soudains et singuliers. Nous le voyons entraîner une foule désordonnée, presque comme un agitateur social. Même par rapport à l’espace, Jésus a bougé très peu. Il a dit qu’il n’était venu que pour les brebis perdues d’Israël, à l’exception de quelques rares intrusions au-delà de la Palestine. Si peu de temps, en si peu d’espace!

 

      Il s’est battu pour la justice, mais a été exécuté. Il aimait les siens, mais l’amour déclencha une violence meurtrière: “Ils m’ont haï sans raison” (Jn 15, 25). Le mystère du mal! Qui d’entre nous peut dire n’avoir jamais été touché par le mal? Qu’est-ce que le mal? Toujours dans les lamentations du Vendredi Saint: “Mon peuple , que t'ai-je fait, et en quoi t’ai-je causé de la peine? Réponds-moi”. Dieu lui-même ne comprend pas le mal, ne comprend pas le péché, ne comprend pas ce qu’est le mal choisi, désiré, commis. Notre époque a été marquée par deux guerres mondiales et l’expérience des camps de concentration. Ce fut une véritable descente aux enfers. Il semble que Dieu soit resté silencieux et que Christ n’ait pas sauvé. La conscience du XXème siècle est la conscience de la défaite. Nous avons vécu un mal total, nous en avions une perception si directe que nous pouvions le fixer dans les yeux de l’adversaire. Un sentiment qui peut être décrit comme le syndrome du Messie vaincu.

 

      Le syndrome du Messie vaincu signifie que le mal reste dans le cœur humain, même dans celui des baptisés, même dans les structures publiques et religieuses. Quiconque fait un examen sérieux de conscience s’en rend immédiatement compte: je ne fais pas le bien que je veux, mais je fais le mal que je ne veux pas! Toutes ces églises, tous ces sacrements, toutes ces prières ... et parlons encore de la demeure de la Sainte Trinité dans l’âme du chrétien, avec tous les dons de grâce et nos bonnes intentions ... mais le mal s’installe toujours, continue de dominer une bonne partie de notre vie. L’ambiguïté du signe de la croix demeure: nous pouvons légitimement ressentir des sentiments de honte, de victoire ou de défaite. Avons-nous gagné? Avons-nous perdu? Avons-nous oublié? Qui pourra le dire?

 

      La croix de Jésus signifie que le mal ne peut pas être vaincu directement avec ses propres armes: le mal contre le mal. Le mystère du mal est dans le monde, le monde est son terrain, il ne peut pas être éradiqué en utilisant ses propres systèmes violents et sans produire une plus grande violence. La violence ne convertit pas les méchants, elle n’a pas le pouvoir de les rendre meilleurs, plus justes, plus humains. La violence ne sauve et ne sert à personne, pas même à ceux qui la commettent. Si l’on regarde ce peu de temps et ce peu d’espace vécu par Jésus:  trente ans de vie privée, trois ans de vie publique, trois jours de passion et trois heures d’agonie, on se rend compte - comme le dit Paul Claudel  - que cet étrange Messie perdant n’est pas venu pour supprimer la souffrance, encore moins l’expliquer: il est venu la remplir de sa présence. Sa croix nous apprend à vaincre le mal par le bien, à tromper le mensonge par la vérité, remplacer la mort par la vie!

 

      Amen

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ABC-Triduum-02 - VendrediSaint - LeSyndr
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