SEL DE LA TERRE ET LUMIÈRE DU MONDE

Année A - II Ordinaire - (Mt 5, 13-16)                                                                                     Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes

par Andrea De Vico, prêtre                                                           correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur? …Vous êtes la lumière du monde … que votre lumière brille devant les hommes: alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux”

 

      Le mot sel est à l’origine de sapientia: dire sel ou sagesse est la même chose. La sagesse est le goût des choses. Un petit grain de sel sur la langue suffit à faire vibrer tout le corps. Une petite découverte ouvre l’esprit à la compréhension: Je vois! J’ai trouvé! Et encore, le sel a un pouvoir thérapeutique: il préserve,  désinfecte, tue les microbes, purifie et guérit les plaies. En plus de la sagesse et de la santé, le sel est également la métaphore de la communication. Une personne ennuyeuse et inintéressante serait insipide, sans sel. À l’époque de nos grands-parents, lorsque la cuisine n’était pas commerciale et qu’on se retrouvait tous à la table, le sel était utilisé pour entamer la conversation: ça va le sel? ai-je mis assez de sel? ai-je bien mesuré le sel? Ce plat a été préparé mille fois, pourtant, ponctuellement, la grand-mère demandait si elle avait bien dosé le sel. En fait, dans la préparation d’un repas, il n’y a pas de mesure standard. Il serait insensé de confier la quantité journalière de sel à une machine informatisée. C’est une mesure personnelle, jamais la même, et le plat d’aujourd’hui peut être meilleur que celui d’hier. À chaque jour sa mesure de sel!

 

      Le sel agit également comme indicateur des équilibres géopolitiques. Le premier signe de la crise qui a déclenché la Seconde Guerre mondiale a été le manque de sel, ou plutôt une augmentation du prix du sel. Au Frioul, une mère a prié: O Seigneur, le prix du sel a augmenté, nous ne pouvons pas acheter de sel, comment ferons-nous sans sel? Par contre, nous semblons avoir d’autres problèmes. Nous nous lamentons des gens qui ne viennent plus à la messe ou des jeunes qui se perdent derrière la mode. Nous sommes-nous demandés, nous qui sommes là, nous qui assistons, nous qui participons, nous qui pensons être en sécurité, nous qui affirmons avoir les bonnes initiatives, nous sommes-nous vus dans le miroir? Notre sel est-il savoureux? Nos actions sont-elles brillantes? Si oui, les autres y participeraient peut-être  plus volontiers, non?

 

      En étroite analogie avec le sel, et en apparente opposition avec le sel, Jésus dit: “Vous êtes la lumière” “Vous devez briller, vous devez émerger, être visible, être des transmetteurs de lumière, rendre gloire à Dieu”. Les bonnes actions sont comme la lumière: nécessairement, elles rayonnent. Plus une personne se rapproche de Dieu, plus elle devient brillante, d’ailleurs les saints ne sont-ils pas représentés avec un halo de lumière?

 

      D’un point de vue scientifique, il y a eu l’hypothèse de la lumière comme un ensemble de corpuscules très fins qui se déplacent à une folle vitesse (théorie corpusculaire); et l’hypothèse de la lumière comme une onde qui se propage de manière et avec des fréquences les plus variées (théorie ondulatoire). Des observations ultérieures ont montré, qu’en fait, la lumière se comporte parfois comme un corps, parfois comme une onde d’énergie. La théorie de la relativité a unifié les deux théories précédentes, affirmant que la matière (masse, corps) et l’énergie (force, onde) sont deux aspects de la même réalité. La matière est de l’énergie concentrée, et l’énergie est de la matière à l’état libre. Ainsi, comme le sel n’est pas seulement un produit chimique, mais qu’il se prête à exprimer l’inexprimable, il en est de même de la lumière: nous pouvons la percevoir avec les sens et la mesurer avec des instruments scientifiques, mais au-delà de cela, cette lumière se prête à d’innombrables et splendides métaphores pour dire l’indicible. Dieu est lumière, au ciel il y a de la lumière, les êtres célestes sont faits de lumière; les philosophes néoplatoniciens ont développé une mystique de la lumière, l’âme en grâce est vue dans un visage lumineux, les gens qui marchaient dans l’obscurité ont vu une grande lumière, les idées sont comme des ampoules qui s’allument ...

 

      Mais la lumière permet également l’ombre: elle éclaire d’un côté, et assombrit de l’autre. L’Orient est le lieu où naît le soleil, l’Occident est celui où il meurt. L’Occident est le tombeau du soleil, le tombeau de la lumière! L’Occident consomme le 85% des ressources de la planète et se bagarre pour récupérer le 15% restant. L’Occident a peur de l’invasion des pauvres tout comme les Romains craignaient les invasions des barbares. En Occident, aussi la religion est dans une phase de stagnation, de déclin. Isaïe (première lecture) propose une solution: “Le jeûne [la religion] qui me plaît, n’est-ce pas ceci: faire tomber les chaînes injustes … N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, accueillir chez toi les pauvres sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable? Alors ta lumière jaillira comme l’aurore …” (Is 58, 6-8)

 

      Facile à dire, quand le monde était plus simple. Regardons nos anciens villages: les maisons étaient pauvres, mais plus proches, plus solidaires, plus hospitalières. Les seuils des portes des maisons étaient en contact direct avec la rue. Les vagabonds et les pèlerins qui passaient, en cas de nécessité, pouvaient facilement frapper à une porte pour une gorgée d’eau, un morceau de pain, un habit. Aujourd’hui il est difficile, voire impossible, d’introduire des sans-abris chez soi, parce que nos maisons sont devenues plus belles, plus riches et plus éloignées les unes des autres. Avec toutes ces architectures, avec tout ce sens de la propriété, avec tous ces parkings privés, qui penserait laisser entrer un étranger, un mendiant, un misérable dans sa maison? Il y a des centres sociaux, il y a des services fournis par la ville! Et nous continuons de construire des maisons à l’écart les unes des autres, pour un prétendu besoin d’“espace vital”. Nous nous enfermons dans des maisons bien scellées par des doubles vitres qui bloquent la dispersion de la chaleur, empêchent le passage du froid, amortissent les bruits extérieurs, favorisent la prolifération des acariens et des allergies associées. Au dehors il y a un mur, une porte en fer et des caméras de surveillance. Mais tout cela est-il suffisant pour nous mettre en sécurité? Nous construisons des maisons extrêmement solitaires, qui reflètent notre individualisme. En effet, la façade d’une maison ressemble à notre visage, celui que nous présentons habituellement aux autres. La porte d’une maison est très similaire à celle qui a tendance à verrouiller notre cœur. Mais la maison est comme le cœur: ce n’est pas une maison, si elle n’est pas ouverte à tous. 

 

      C’est pourquoi Isaïe nous invite à sortir, à inviter, à créer de nouveaux espaces de participation. Si nous ne voulons pas finir par nous éteindre complètement et nous dégrader avec notre ancienne et belle civilisation occidentale, voici ce qu’il faut faire: enlever les portes blindées et les transformer en ponts de solidarité. Isaïe nous assure: “Alors, si tu appelles, le Seigneur répondra”. Nous ne pouvons invoquer le Seigneur tant que nous n’avons pas pensé aux affamés, aux misérables, aux sans-abris. Une véritable gifle contre l’inutilité d’un culte qui ne repose que sur l’encens et les paroles. Une claque morale pour ceux qui pensent se mettre en sécurité derrière un portail et alors peut-être demander à Dieu le compte des misères qui sont dans le monde!

 

      Nos œuvres doivent briller devant les hommes non pas parce que nous devons avoir le succès humain ou être reconnus, mais pour faire la gloire du Père! Être lumière du monde est une responsabilité. L’appel à la Foi est un appel à libérer la lumière. Non pas notre propre lumière, car personne ne peut la générer de lui-même, mais une lumière réfléchie, accueillie d’en haut. Ne jamais se mettre soi-même en valeur, mais la gloire de Dieu! Le sel peut devenir insipide, la lumière diminuer! Ce n’est pas garanti: rien ne doit être tenu pour acquis dans le chemin de la Foi.

 

      Quand Jésus dit “vous êtes le sel”, c’est comme s’il disait: “vous devez disparaître, vous fondre dans la masse, lui donner du goût, sinon vous n’êtes bons à rien”. Et quand il dit “vous êtes la lumière”, cela équivaut à: “vous devez briller, émerger, être visible, être transmetteurs de lumière, rendre gloire à Dieu”. Avec les métaphores du sel et de la lumière, la demande de Jésus est de deux ordres: “être à l’intérieur des choses, donner du goût aux choses” et “être au-dessus des choses, rendre visible le Royaume de Dieu”. 

           

      Amen 

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