L’ATTENTE DE SIMÉON ET LA PRIÈRE D’ANNE

Présentation du Seigneur au Temple (Lc 2, 22-40)                                                                  Réflexion sur l’Évangile du dimanche et des Fêtes par André De Vico, prêtre                                                            

correction française: Nicolas Donzé, toxicologue;

Anne Mayoraz, éducatrice

 

 

      “Maintenant, ô Maître souverain, tu peux laisser ton serviteur s’en aller en paix, selon ta parole. Car mes yeux ont vu le salut que tu préparais à la face des peuples: lumière qui se révèle aux nations et donne gloire à ton peuple Israël”  

 

      Ce passage d’Evangile nous offre un dernier et magnifique rayon des liturgies de Noël. Il y a la Sainte Famille qui est présentée trois fois par Luc comme observant la loi. Joseph amène deux petites colombes pour racheter symboliquement le prix de la parentalité, comme signe de l’appartenance de l’Enfant à Dieu et non à ses parents. Une vie vient de leur être confiée. Ensuite, il y a la rencontre apparemment fortuite avec deux personnes de dévotion. Marie met son Enfant dans les bras de Siméon, un vieil homme qui depuis longtemps attend l’accomplissement de son désir. On sait que les mères sont par nature jalouses de leur nouveau-né, qu’elles ne le pose pas volontiers dans les bras d’un étranger, et si l’une d’entre elle le fait, elle suit son bébé du coin des yeux et ne le quitte pas un instant. Mais quand une mère confie son bébé librement, comme Marie le fait aujourd’hui au temple, c’est comme si elle faisait un don, demandant à la fois protection et bénédiction.

 

      Un enfant présenté à deux aînés: cela ne suggère-t-il pas la rencontre entre l’Ancien et le Nouveau Testament, le temps de l’attente et celui de l’accomplissement? Siméon et Anne sont dit justes et religieux: c’est une formule habituelle pour qualifier les gens pieux, qui passent le meilleur temps de leurs journées à l’ombre de la sainteté de Dieu. Ces deux-là ne sont pas des spécialistes du sacré, mais de simples fidèles réguliers du temple comme il y en a beaucoup aujourd’hui dans nos églises. Siméon attendait la consolation qui vient le rencontrer aujourd’hui, et Anne y reconnaît la présence de Dieu.

 

      Le directeur qui organise le tout est le Saint-Esprit: c’est Lui qui éveille l’attente ardente du Messie chez Siméon, c’est sous son action que ses pas prennent la direction du temple à cette heure-là, suivant un timing qui permet la rencontre. Il lui offre la clairvoyance nécessaire pour pouvoir reconnaître le Messie dans un Enfant. Il lui inspire une vision messianique universelle qui part d’Israël et rejoint les autres peuples. En effet Siméon, longtemps imprégné des textes sacrés, actualise les textes d’Isaïe qui parlaient d’espoir et de consolation: “Alors se révélera la gloire du Seigneur, et tout être de chair verra que la bouche du Seigneur a parlé” (Is 40, 5); “Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre” (Is 49, 6). “Et les nations verront ta justice; tous les rois verront ta gloire” (Is 62, 2). Sauf que dans Isaïe les verbes sont au futur : ils verront. Aujourd’hui, devant cet enfant, c’est chose faite : ils ont vu!

 

      Cette rencontre fugace ne représente pas le désir d’un moment, mais celui d’une vie qui se réalise magnifiquement: Siméon sort de l’ombre un bref instant, il reconnaît l’enfant et l’indique à tout le monde. L’explosion de sa satisfaction personnelle, par le biais des Saintes Écritures, devient une prière liturgique publique, et nous la répétons tous les soirs à la prière des complies! À à cet instant, Siméon déclare sa disponibilité pour son dernier voyage: maintenant il peut chanter la paix et la sérénité, maintenant il peut rejoindre ses pères et les amis qu’il a vu partir avant lui. Agé, il était resté seul et il attendait précisément ce moment-là! Anne aussi se détache soudain du fond opaque de sa quotidienneté et est décrite par le narrateur avec une certaine précision: c’est une femme âgée, veuve, qui vit au Temple depuis plusieurs années “servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière”. Aucun de ses mots n’est rapporté dans cette page: il est simplement dit qu’“elle proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant” publiquement. Elle est une prophétesse: elle sait donc reconnaître la présence de Dieu !

 

      Nous sommes confrontés à deux figures de vieillards accomplis. Le premier est tendu vers l’avenir, en direction du Messie et de la meilleure saison qui suivra. La seconde qui, avec son activité quotidienne et répétée,  a vu l’ombre de la sainteté divine se matérialiser dans la chair d’un enfant. À ce stade, il n’y a aucun doute: les figures de Siméon et d’Anne expriment la vocation des personnes âgées et la relation entre les générations. En particulier, les grands-parents qui attendent et accueillent leurs petits-enfants: signe que leur vie n’est pas un cycle fermé, mais un espoir pour l’avenir.

 

      Une ancienne antienne liturgique de la fête d’aujourd’hui dit: “Le vieil homme portait l’enfant, mais l’enfant dirigeait le vieil homme”. Il est facile de voir de quelle façon un grand-père heureux porte un petit-enfant dans ses bras, se faisant diriger dans la direction souhaitée par l’enfant, par sa curiosité de découvrir et de voir le monde. Il est agréable pour un jeune d’entendre une personne âgée parler de paix, de vie qui n’a pas de sens pour elle-même, mais qui prépare un avenir pour des autres,  une personne qui dit avoir aimé et qui n’attend plus que la paix. La présence d’un vieillard accompli résonne comme une invitation envers les jeunes: restez forts dans l’espérance!

 

      Grâce à la surprise de cette rencontre, Siméon a également dû changer le regard de son attente, il a dû se convertir à nouveau, malgré son âge vénérable. Le Messie tant attendu se présentait d’une manière fort différente de celle qu’Israël attendait: il n’arrive pas comme un guerrier à cheval, un libérateur puissant avec une épée à la main, mais comme une créature si fragile qu’elle doit être  tenue dans les bras d’une personne qui prendra soin de lui. Nous sommes juste aux antipodes de la logique mercantile, où la procréation tend à aboutir à un contrat, à un projet parental. Un enfant n’est plus une vie à racheter symboliquement et à recevoir comme un don (it: in affido), mais une vie envisagée de façon utilitariste, que l’on s’approprie ou qu’on loue (it: in affitto). Et si quelque chose ne correspond pas au profil souhaité, au lieu de se préparer à accueillir la vie qui vient, tout simplement on la jette, on la rejette, on l’abandonne à elle-même: c’est écrit entre parenthèses en petits caractères dans les clauses au fond du contrat.

 

      Le geste de la présentation au temple est un signe clair qu’aucun enfant n’est né pour ses parents, mais qu’il est confié à la vie, donné au monde. En présentant son enfant à Siméon, Marie dit que son rôle de mère a besoin de la présence, de la sagesse et de la prière de tous. Si ce n’est pas le cas, les enfants seront des enfants perdus, et dans la vieille Europe faite de lois, de droits et de contrats individualistes, nous vivons actuellement la perte d’une génération entière! Les grands-parents ont produit la richesse d’après-guerre, leurs enfants désormais adultes l’ont érodée et consommée, et à présent pour les petits-enfants il ne reste plus rien, à part la liberté de leurs caprices individuels.

 

      Anne “proclamait les louanges de Dieu et parlait de l’enfant”. Le temps qui passe et les années qui s’avancent offrent aux personnes âgées une nouvelle liberté: celle de parler franchement du Seigneur. Nous savons bien dans quelle mesure la Foi et l’expression de la Foi ont été intimidées et réduites au silence aujourd’hui. Cela se produit non seulement sur le lieu de travail, où la personne risque d’être marginalisée en raison de sa Foi, mais aussi dans la famille! Dans ce domaine, les grands-parents peuvent dire des choses que les parents ne peuvent plus dire. En tout cas, aucune personne aînée ne doit se permettre d’utiliser le registre des discours moralisateurs ou des critiques amères sur le comportement des jeunes, faute de quoi sa vocation de personne sage et avisée est définitivement compromise. En général, ceux qui parlent mal des jeunes n’ont jamais nourri ni les sentiments d’attente de Siméon, ni l’esprit de prière d’Anne. Les grands-parents n’ont pas à se soucier de ce qu’ils ont à dire ou de ce qu’ils peuvent faire. Ils doivent simplement être là, avec leur témoignage de vie et quelques mots éclairants. C’est une question d’esprit, de conscience!

 

      Amen

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Noël-10 - LaChandeleur-L'attenteDeSiméon
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